La « révolution pénale » contrariée de Gérald Darmanin

Le ministre de la Justice veut une « révolution pénale ». Organisation syndicales, conférences, partis politiques vont être consultés cet été dans la perspective d’un projet de loi qui serait préparé pour l’automne. Au menu : retour des très courtes peines et des peines minimales, instauration d’une peine de probation, CJIP criminelle, surpression du sursis simple.

Le 12 juin, Gérald Darmanin a eu un mot d’ordre ambitieux : faire la « révolution pénale ». Sur le plateau de BFMTV, il a indiqué qu’il fallait « changer la façon de faire ». « Au lieu d’être très dur avec des gens qui sont multirécidivistes et les envoyer en prison quand on les connaît depuis cinq fois, dix fois, quinze fois, il faut être très dur au premier fait ». Outre les peines minimales, d’autres sujets sont sur la table. Des consultations seront menées dans les prochaines semaines afin d’avancer sur un projet de loi. Il faudrait toutefois une validation par le gouvernement de ces propositions avant un débat au Parlement.

La perspective a été froidement accueillie par les magistrats, déjà las. Réformes Dati, réforme Taubira, réforme Belloubet, suppression des crédits de peines automatiques qui a rallongé l’incarcération… Dans son rapport rendu en mars, la mission d’urgence relative à l’exécution des peines soulignait que les professionnels témoignaient d’« un véritable épuisement face aux réformes successives et à la complexité de la matière ».

Ce constat est partagé par Alexandra Vaillant secrétaire générale de l’union syndicale des magistrats : « Les réformes s’enchaînent, s’accumulent et sont incohérentes. Le magistrat est pris dans des injonctions contradictoires, avec le sentiment qu’il doit porter le chapeau en cas de difficulté, alors qu’il en fait appliquer la loi »

Le retour des peines planchers

Dans le détail, plusieurs éléments ont été mis au programme. D’abord, l’idée d’instaurer une peine minimale. Il s’agirait d’une reprise des peines planchers créées en 2007, étendues en 2011 et supprimées en 2014 : en cas de récidive, ou dès la première infraction pour certaines violences volontaires, le juge devait prononcer une peine prévue par la loi, sauf motivation spéciale. La Chancellerie insiste sur le fait que les peines minimales différeront des peines planchers, en s’appliquant également aux amendes.

Toutefois, comme l’a montré Arnaud Philipe, ces peines planchers ont dans un premier temps allongé la durée des peines prononcées. Et du fait de « l’effet cliquet », leur suppression n’a ensuite pas eu d’effet sur les peines prononcées. Mais ces peines n’avaient pas d’effet sur la récidive.

Les très courtes peines

Autre mesure proposée dans le débat public : un retour sur la réforme Belloubet en permettant aux juges de prononcer des peines inférieures à un mois de prison. L’idée est déjà portée par la proposition de loi de Loïc Kervran (Horizons) adoptée par l’Assemblée et qui sera à l’ordre du jour du Sénat dès le 2 juillet. Outre la possibilité de prononcer de très courtes peines, le texte abroge les dispositions qui privilégient les aménagements pour les peines de moins d’un an. Mais, d’un autre côté, le texte rehausse le seuil d’aménagement des peines par le tribunal correctionnel d’un an à deux ans d’emprisonnement ferme.

Le chercheur Benjamin Monnery souligne que si la réforme Belloubet a poussé les aménagements, elle a aussi eu comme effet d’augmenter le quantum des peines prononcées, « du fait d’un ajustement stratégique des magistrats ». Les juges « ont prononcé huit mois de prison plutôt que six pour éviter un aménagement ab initio ». Par ailleurs, « il est faux de dire que les peines de moins de six mois sont aujourd’hui systématiquement aménagées ».

L’idée de réautoriser les très courtes peines est dans l’air du temps. Si elles ont été bannies en 2019 en raison de leur caractère désocialisant et des suicides dus au choc carcéral, d’autres voix soulignent qu’elles peuvent avoir un effet sur la récidive. La professeure Martine Herzog-Evans nuance : « les courtes peines de moins de deux semaines, peuvent avoir des effets positifs sur la récidive », en s’appuyant sur deux études de référence. Mais elle rappelle qu’au-delà, « l’incarcération a un effet criminogène : vous enfermez des personnes antisociales entre elles ». Par ailleurs, les études n’indiquent pas les profils pour lequel l’effet positif peut être observé.

La peine de probation

Autre réforme portée par le ministre : la peine de probation, déjà envisagée par Christiane Taubira en 2014. L’idée serait de fusionner toutes les peines alternatives (bracelet électronique, sursis probatoire, TIG) en une seule. Charge ensuite au juge de l’application des peines d’adapter la sanction. Pour le ministre, l’incarcération serait alors réservée pour les criminels, le narcotrafic et les atteintes aux personnes. Toutefois, Martine Herzog-Evans souligne la difficulté posée d’une peine de probation autonome. « En cas de non-respect des mesures, qui fera la révocation ? Cela ne peut être le JAP pour des raisons constitutionnelles. Or, si elle est faite par le SPIP ou un tribunal correctionnel, cela aboutira a plus d’incarcération ».

Pour Benjamin Monnery, « la peine de probation dépossède le juge correctionnel de ses prérogatives : il ne voit pas le contenu de la peine qu’il prononce ». Or, il s’agit d’un des principaux freins au prononcé des peines alternatives aujourd’hui. De même, l’idée du ministre de supprimer le sursis simple suscite l’interrogation. Pour Alexandra Vaillant, les magistrats risquent de « rabattre sur de la prison ferme, alors que les prisons débordent ». Quant au déploiement de la peine d’amende, elle se heurte à sa mauvaise exécution.

Ce mardi, le ministre lancera les états généraux de l’insertion et de la probation. Mais pour Alexandra Vaillant, « la révolution pénale ne se fera pas sans la révolution des moyens ». Martine Herzog-Evans alerte « le droit ne change pas la récidive. Ces phénomènes sont causés par d’autres facteurs que l’intervention pénale ». Enfin, la volonté répressive se heurte à la surpopulation pénale qui, aujourd’hui, atteint un seuil critique. Le ministre a déjà exclu tout mécanisme de régulation carcérale dans sa révolution pénale.

 

© Lefebvre Dalloz