La rupture impossible d’un contrat de travail pour cause de force majeure en raison de la pandémie de covid-19
En relevant que la salariée n’avait pas cessé d’accomplir sa prestation de travail et que le gouvernement avait mis en place des mesures visant à sauvegarder les emplois durant la pandémie de covid-19, une cour d’appel considère, à bon droit, comme injustifiée la rupture du contrat de travail pour cause de force majeure.
 
                            Le covid-19 constitue-t-il un cas de force majeure ? La question fut aussitôt posée après son apparition, notamment au regard des propos tenus le 28 février 2020 par Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, suivant lesquels « l’État considère le coronavirus comme un cas de force majeure pour les entreprises ». On sait au demeurant qu’en jurisprudence, la Cour de cassation a jugé, de manière casuistique, que le covid-19 était un cas de force majeure (v. Civ. 1re, 6 juill. 2022, n° 21-11.310, inédit, JT 2022, n° 256, p. 11, obs. X. Delpech  ; Com. 26 févr. 2025, n° 23-21.266 B, Dalloz actualité, 6 mars 2025, obs. C. Hélaine ; D. 2025. 398
 ; Com. 26 févr. 2025, n° 23-21.266 B, Dalloz actualité, 6 mars 2025, obs. C. Hélaine ; D. 2025. 398  ; RTD civ. 2025. 329, obs. H. Barbier
 ; RTD civ. 2025. 329, obs. H. Barbier  ). Mais ces décisions concernaient des contrats particuliers non soumis à un régime très spécial et à des logiques politiques prégnantes, à l’instar du contrat de travail. Un employeur pouvait-il alors se prévaloir du covid-19 aux fins de rupture d’un contrat de travail sur le fondement de la force majeure ? Une réponse négative vient d’être apportée par la Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 8 octobre 2025.
). Mais ces décisions concernaient des contrats particuliers non soumis à un régime très spécial et à des logiques politiques prégnantes, à l’instar du contrat de travail. Un employeur pouvait-il alors se prévaloir du covid-19 aux fins de rupture d’un contrat de travail sur le fondement de la force majeure ? Une réponse négative vient d’être apportée par la Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 8 octobre 2025.
Au cas d’espèce, une gestionnaire crédit client a été engagée par contrat de travail à durée déterminée conclu le 20 janvier 2020. Un mois après la fin de sa période d’essai, l’employeur lui a notifié la rupture de son contrat pour cause de force majeure en raison de la pandémie de covid-19.
C’est dans ce contexte qu’elle a saisi le conseil de prud’hommes aux fins de contestation de cette rupture et de paiement de rappels de salaire et d’indemnités. Les premiers juges ont fait droit à ses demandes mais sur appel de l’employeur, la cour d’appel l’a déboutée. Celle-ci a considéré que la pandémie de covid-19 et l’interdiction de recevoir du public édictée lors de cette période revêtaient les caractères d’extériorité et d’imprévisibilité inhérents à la force majeure. Toutefois, l’exécution du contrat n’a pas été rendue impossible dès lors que l’activité de l’entreprise n’a pas totalement cessé pendant la durée de confinement, que l’empêchement était, en tout état de cause, temporaire et que des mesures gouvernementales ont été prises afin que les entreprises puissent maintenir les contrats de travail. L’employeur s’est pourvu en cassation, faisant valoir en substance que les mesures visant à permettre le maintien des contrats pendant la pandémie sont inopérantes et que le dispositif d’activité partielle n’était pas applicable à la situation d’espèce. Il reprochait, en outre, à la cour d’appel de ne pas avoir recherché, pour statuer comme elle l’a fait, si l’employeur n’avait pas été dans l’impossibilité de fournir à la salariée le travail contractuellement convenu et si à la date de l’annonce des mesures gouvernementales de fermeture les 14 et 16 mars 2020, l’employeur était en mesure de savoir que l’interdiction de recevoir du public serait temporaire et d’une durée inférieure à la durée limitée du contrat de travail de la salariée.
Les quatre branches de ce moyen n’ont pas convaincu la Cour de cassation, qui a rejeté le pourvoi. Elle estime que la cour d’appel, en relevant que la salariée n’avait pas cessé toutes ses fonctions, que l’empêchement était temporaire et que les dispositifs mis en place par le gouvernement à l’époque avaient pour dessein de sauvegarder les emplois, a démontré le caractère injustifié de la rupture du contrat de travail pour cause de force majeure. La solution s’explique, semble-t-il, tant par la possibilité pour l’employeur de fournir un travail à son cocontractant que par les mesures instaurées par le gouvernement durant la pandémie de covid-19.
La possibilité de facto d’exécution par l’employeur de son obligation
La Cour de cassation expose, en premier lieu, que les juges du fond ont relevé une baisse significative du chiffre d’affaires et non un arrêt total, outre que la salariée avait des missions essentiellement administratives et financières dont il n’était pas établi qu’elles avaient toutes cessé en raison des mesures de confinement. Ce faisant, la cour d’appel a parfaitement caractérisé la possibilité, pour l’employeur, d’exécuter son obligation de fournir une prestation de travail à la salariée.
Le contrat de travail crée trois obligations contractuelles : l’une, à la charge du salarié, consiste à accomplir la prestation de travail ; les deux autres, à la charge de l’employer, lui imposent de fournir cette prestation et de rémunérer son cocontractant. Nul doute en effet que l’employeur est tenu « de fournir un travail au salarié qui se tient à sa disposition » (Soc. 23 oct. 2013, n° 12-14.237 P, Dr. soc. 2014. 11, chron. S. Tournaux  ; 17 févr. 2010, n° 08-45.298 P, Dalloz actualité, 2 mars 2010, obs. J. Cortot ; D. 2010. 799
 ; 17 févr. 2010, n° 08-45.298 P, Dalloz actualité, 2 mars 2010, obs. J. Cortot ; D. 2010. 799  , note J. Mouly
, note J. Mouly  ; RDT 2010. 292, obs. J. Pélissier
 ; RDT 2010. 292, obs. J. Pélissier  ; 21 sept. 2022, n° 21-16.821 B). L’inexécution de cette obligation constitue une faute grave autorisant la prise d’acte de la rupture du contrat par le salarié (Soc. 3 nov. 2010, n° 09-65.254 P, D. 2011. 1246, obs. G. Borenfreund, E. Dockès, O. Leclerc, E. Peskine, J. Porta, L. Camaji, T. Pasquier, I. Odoul-Asorey et M. Sweeney
 ; 21 sept. 2022, n° 21-16.821 B). L’inexécution de cette obligation constitue une faute grave autorisant la prise d’acte de la rupture du contrat par le salarié (Soc. 3 nov. 2010, n° 09-65.254 P, D. 2011. 1246, obs. G. Borenfreund, E. Dockès, O. Leclerc, E. Peskine, J. Porta, L. Camaji, T. Pasquier, I. Odoul-Asorey et M. Sweeney  ; Dr. soc. 2011. 95, obs. C. Radé
 ; Dr. soc. 2011. 95, obs. C. Radé  ; Légipresse 2010. 404 et les obs.
 ; Légipresse 2010. 404 et les obs.  ). Il était donc précisément question de cette obligation contractuelle en l’espèce, afin d’établir si le covid-19 pouvait revêtir la qualification de cas de force majeure dans le but de permettre la rupture du contrat de travail au regard de l’inexécution, imputable à l’employeur, de son obligation de fournir une prestation de travail au salarié.
). Il était donc précisément question de cette obligation contractuelle en l’espèce, afin d’établir si le covid-19 pouvait revêtir la qualification de cas de force majeure dans le but de permettre la rupture du contrat de travail au regard de l’inexécution, imputable à l’employeur, de son obligation de fournir une prestation de travail au salarié.
L’article L. 1243-1 du code du travail prévoit que le contrat de travail à durée déterminée peut être rompu de manière anticipée en cas de force majeure. L’article 1218 du code civil qualifie de cas de force majeure tout « événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur ». Il s’ensuit que le cas de force majeure, en sus de réunir les trois caractères traditionnels, doit empêcher l’exécution de l’obligation de l’employeur, ce qui n’était, en fait, manifestement pas le cas dès lors que la cour d’appel a relevé une baisse de chiffre d’affaires ne dénotant aucun arrêt de l’activité et l’absence de preuve d’une cessation des activités exercées par la salariée.
La solution semble tout à fait justifiée, quoique l’on ne puisse lui donner une portée générale et absolue en la matière. La Cour de cassation statue dans une espèce en particulier, sur le fondement des constatations factuelles réalisées par les juges du fond. Peut-être la Cour eût-elle reconnu un cas de force majeure dans une autre espèce, au sein de laquelle un employeur aurait été dans l’impossibilité totale de fournir une prestation de travail à son salarié. Ce d’autant que l’empêchement dont se prévalait l’employeur était temporaire. Or, une impossibilité partielle et limitée dans le temps affectant l’obligation de fournir une prestation au salarié ne saurait fonder la rupture anticipée du contrat de travail pour cause de force majeure (v. par ex., Soc. 18 mars 2003, n° 01-41.096).
Au surplus, on ne pouvait considérer que l’obligation en cause, dont l’inexécution a été vainement justifiée par l’employeur au moyen de la force majeure, était l’obligation contractuelle de paiement du salaire. À cet égard, il convient de se souvenir que la Cour de cassation refuse toujours d’admettre la force majeure financière selon l’expression de Jean Carbonnier : « le débiteur d’une obligation contractuelle de somme d’argent inexécutée ne peut s’exonérer de cette obligation en invoquant un cas de force majeure » (Civ. 3e, 15 juin 2023, n° 21-10.119 B, D. 2023. 1221  ; ibid. 2024. 275, obs. R. Boffa et M. Mekki
 ; ibid. 2024. 275, obs. R. Boffa et M. Mekki  ; JT 2023, n° 269, p. 13, obs. X. Delpech
 ; JT 2023, n° 269, p. 13, obs. X. Delpech  ; RTD civ. 2023. 620, obs. H. Barbier
 ; RTD civ. 2023. 620, obs. H. Barbier  ; dans le même sens, Com. 16 sept. 2014, n° 13-20.306 P, Dalloz actualité, 2 oct. 2014, obs. X. Delpech ; D. 2014. 2217
 ; dans le même sens, Com. 16 sept. 2014, n° 13-20.306 P, Dalloz actualité, 2 oct. 2014, obs. X. Delpech ; D. 2014. 2217  , note J. François
, note J. François  ; Rev. sociétés 2015. 23, note C. Juillet
 ; Rev. sociétés 2015. 23, note C. Juillet  ; RTD civ. 2014. 890, obs. H. Barbier
 ; RTD civ. 2014. 890, obs. H. Barbier  ), attendu que l’irrésistibilité n’est pas caractérisée sitôt l’exécution rendue plus difficile ou onéreuse. En conséquence, la force majeure ne pouvait ipso facto pas être invoquée à l’égard de l’obligation contractuelle de paiement du salaire.
), attendu que l’irrésistibilité n’est pas caractérisée sitôt l’exécution rendue plus difficile ou onéreuse. En conséquence, la force majeure ne pouvait ipso facto pas être invoquée à l’égard de l’obligation contractuelle de paiement du salaire.
L’existence de jure de mesures appropriées mises en place par le gouvernement
La Cour de cassation prononce le rejet du pourvoi aux motifs que le gouvernement avait mis en place des dispositifs visant à sauvegarder les emplois qui, nonobstant qu’ils fussent postérieurs à la notification de la rupture, demeuraient prévisibles au vu des annonces.
Le cas de force majeure requiert un évènement dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées : il s’agit du caractère classique d’irrésistibilité qui fait l’objet d’une appréciation in abstracto circonstancielle, « c’est-à-dire par comparaison avec un individu ordinaire, normalement diligent, placé dans les mêmes circonstances externes que l’agent » (Rép. civ., v° Force majeure, par F. Gréau, n° 74). En fait, ce caractère n’a pu, à juste titre, être retenu par les juges du fond dès lors que le gouvernement a instauré, en l’occurrence, le chômage partiel qui permet d’affronter une baisse d’activité dans l’entreprise. Dans ces conditions, le covid-19 était tout sauf un évènement irrésistible pour les employeurs, lesquels pouvaient pleinement résister en utilisant le dispositif du chômage partiel.
En politique juridique, la solution adoptée par la Cour de cassation se comprend tout à fait, en particulier au regard de la tendance prétorienne refusant la caractérisation d’un cas de force majeure en présence de simples difficultés économiques d’une entreprise (v. par ex., Soc. 28 avr. 1986, n° 84-40.538 P, D. 1987. 474, note J.-P. Karaquillo ; 10 janv. 1990, n° 87-43.366, inédit ; 20 févr. 1996, n° 93-42.663 P, D. 1996. 633  , note C. Puigelier
, note C. Puigelier  ; RDSS 1997. 614, note E. Alfandari et S. Hennion-Moreau
 ; RDSS 1997. 614, note E. Alfandari et S. Hennion-Moreau  ). La sévérité est patente en l’espèce au travers de la motivation de l’arrêt d’appel, qui martèle que l’extension du chômage partiel est certes postérieure à la notification de la rupture, mais était « très largement prévisible au vu des annonces en ce sens effectuées par les instances gouvernementales en amont du décret ».
). La sévérité est patente en l’espèce au travers de la motivation de l’arrêt d’appel, qui martèle que l’extension du chômage partiel est certes postérieure à la notification de la rupture, mais était « très largement prévisible au vu des annonces en ce sens effectuées par les instances gouvernementales en amont du décret ».
Quelle portée donner à cette partie de l’arrêt rendu par la Cour régulatrice ? Peut-on refuser, en toute hypothèse, de reconnaître un cas de force majeure en matière sociale eu égard aux mesures instaurées par le gouvernement de l’époque, ainsi que l’a jugé la cour d’appel ? Une telle possibilité ne paraît pas incongrue. Mais dire que la Cour de cassation l’a accordée dans cet arrêt rendu le 8 octobre 2025 est captieux.
Soc. 8 oct. 2025, FS-B, n° 24-13.962
par Alexandre Nivert, Docteur en droit privé, Consultant indépendant, Chargé d'enseignement vacataire, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et Université Paris Nanterre
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