L’accord de révision du périmètre d’une UES n’est pas un accord interentreprises

L’accord modifiant le périmètre d’une UES n’est pas un accord interentreprises au sens des articles L. 2313-9 et L. 2232-36 et suivants du code du travail. Dès lors, doivent être invités à la négociation l’ensemble des syndicats représentatifs des entités du périmètre concerné, et non les seuls syndicats représentatifs sur l’ensemble du périmètre couvert.

Un accord collectif se négocie avec les seuls « syndicats représentatifs ». Mais encore faut-il pouvoir déterminer – selon le périmètre de négociation considéré – quels sont ces syndicats.

Dans le cas particulier de la négociation d’un accord visant à étendre le périmètre d’une unité économique et sociale (UES), doit-on inviter tout syndicat représentatif dans l’une des entités concernées ou se limiter aux seuls syndicats représentatifs sur l’ensemble du périmètre couvert, comme le prévoit le régime des accords interentreprises ? En d’autres termes, peut-on appliquer le régime de l’accord interentreprises à l’accord modifiant le périmètre d’une UES ? Telle était la question ayant donné lieu à l’arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 6 mars 2024, rendu dans le contexte non anecdotique d’une opération d’acquisition par un groupe de sociétés.

En l’espèce, le groupe Capgemini, constitué en UES, après avoir fait l’acquisition d’un autre groupe de sociétés, engagea des négociations pour envisager l’extension de l’UES aux sociétés du groupe récemment intégré.

La société du groupe Capgemini pilotant les discussions choisit d’inviter à la table des négociations les syndicats représentatifs au niveau des sociétés du groupe Capgemini et du groupe absorbé. En identifiant ces derniers par l’addition, pour chaque syndicat affilié à une même fédération ou confédération, l’ensemble des suffrages obtenus au sein des deux groupes.

Ce mode de calcul a toutefois conduit à léser un syndicat, représentatif avec un score de 12,34 % au premier tour des dernières élections professionnelles dans le groupe absorbant et seulement de 8,73 % au total moyenné si l’on prend également en considération les élections au sein du groupe absorbé.

N’ayant pas été considéré représentatif à l’échelle de l’ensemble, faute d’avoir atteint le seuil de 10 %, le syndicat en question n’a en conséquence par reçu d’invitation à négocier, ce qu’il contesta devant les juridictions.

Le syndicat obtient satisfaction devant le tribunal judiciaire, qui enjoint à l’employeur de le convoquer à la négociation sur la nouvelle configuration de l’UES, avant que la cour d’appel n’infirme le jugement du tribunal, en considérant le régime de l’accord interentreprises applicable à l’espèce, dans la mesure où il s’agissait d’une négociation entre entreprises distinctes. Ce régime appelant une appréciation du seuil de 10 % sur l’ensemble, le syndicat se devait – selon le juge d’appel – d’être exclu de la table des négociations.

La chambre sociale de la Cour de cassation, saisie d’un pourvoi formé par le syndicat, va cependant censurer la décision de la cour d’appel au visa des articles L. 2313-8 et L. 2313-9 du code du travail.

L’éviction du régime de l’accord interentreprises en cas de création/modification d’une UES

L’accord collectif portant reconnaissance d’une UES a essentiellement pour objet de mettre en place un comité social et économique (CSE) selon les règles de droit commun prévu par le code du travail. Et les éminents magistrats vont de façon claire poser le principe selon lequel un tel accord ne saurait être considéré comme un accord interentreprises, en rappelant les deux catégories d’accords interentreprises.

Un tel accord est en effet d’abord celui qui vise à mettre en place un CSE spécifique entre des entreprises d’un même site ou d’une même zone (C. trav., art. L. 2313-9).

Il peut ensuite être celui conclu entre des entreprises distinctes dans le but de « définir les garanties sociales des salariés de ces entreprises » (C. trav., art. L. 2232-36 et L. 2232-37), hypothèse visée par les juges du fond.

L’accord collectif portant reconnaissance d’une UES ne peut donc être assimilé à aucun de ces deux accords. La première conséquence, clairement exprimée par la Haute juridiction, s’incarne dans le fait que l’on ne doit pas chercher à déterminer les syndicats représentatifs en appliquant le régime des accords interentreprises (approche mutualisant les résultats pour les recalculer à l’échelle globale).

Le retour à l’application du droit commun

Sur quelles règles peut-on dès lors se fonder pour identifier les syndicats habilités à négocier et dont l’invitation est incontournable ?

La jurisprudence antérieure avait eu l’occasion de préciser qu’« une unité économique et sociale ne pouvant être reconnue qu’entre des entités juridiques distinctes prises dans l’ensemble de leurs établissements et de leur personnel, toutes les organisations syndicales représentatives présentes dans ces entités [doivent] être invitées à la négociation portant sur la reconnaissance entre elles d’une unité économique et sociale » (Soc. 10 nov. 2010, n° 09-60.451 P, Dalloz actualité, 2 déc. 2010, obs. B. Inès ; Mutuelle Apreva (Sté) c/ Filippi, D. 2010. 2779  ; Dr. soc. 2011. 414, note F. Petit  ; RDT 2011. 24, étude G. Borenfreund ).

En clair, doit être invité à négocier tout syndicat dès lors qu’il est représentatif dans l’une des entités de l’UES.

S’agissant des conditions de validité d’un tel accord, la chambre sociale avait déjà pu se prononcer sur cette question, en jugeant que l’accord reconnaissant l’existence d’une UES ou modifiant son périmètre était signé « aux conditions de droit commun, par les syndicats représentatifs au sein des entités faisant partie de cette unité économique et sociale » (Soc. 14 nov. 2013, n° 13-12.712 P, Dalloz actualité, 29 nov. 2013, obs. B. Ines ; Fédération des employés et cadre Force ouvrière c/ Cosev@d Sasu (Sté), D. 2013. 2704  ; ibid. 2014. 2374, obs. P. Lokiec et J. Porta  ; Dr. soc. 2014. 186, obs. F. Petit  ; RDT 2014. 276, obs. I. Odoul-Asorey ).

Eu égard à ces éléments, la censure de l’arrêt d’appel était inévitable dès lors qu’était acceptée l’idée que l’on n’entrait ni dans l’hypothèse visée à l’article L. 2313-9, ni dans celle des articles L. 2232-36 et suivants.

L’arrêt du 6 mars 2024 vient ainsi confirmer solidement la ligne jurisprudentielle antérieurement esquissée en matière d’accord de mise en place et/ou de modification d’UES.

Une discussion aurait pu s’ouvrir sur le fait que l’accord interentreprises a vocation à « définir les garanties sociales des salariés ». Une interprétation extensive aurait pu conduire à considérer la définition de l’UES comme faisant partie de l’une de ses garanties. Cette solution aurait toutefois conduit à un élargissement important de la notion. La chambre sociale a ainsi préféré adopter une lecture plus stricte de l’article, que l’on saluera en ce que le régime des accords interentreprises pouvait conduire à exclure certains syndicats des discussions, pourtant représentatifs dans certaines entreprises, comme c’était le cas en l’espèce.

Les partenaires sociaux devront ainsi être vigilants sur la définition qu’il convient de retenir de l’« accord interentreprises » qui, à la lumière de cet arrêt, ne peut pas simplement se définir comme l’accord réunissant plusieurs entreprises distinctes aux intérêts communs. Il conviendra d’opérer une lecture attentive et non extensive des termes des articles où l’accord interentreprises est expressément prévu, et s’y tenir.

L’entreprise qui entend engager la renégociation d’un périmètre d’UES devra enfin se montrer particulièrement vigilante sur les interlocuteurs qu’elle invite à la table de négociation, qui devront être appréhendés de façon large dès lors qu’ils ont été reconnus représentatifs dans leur structure d’origine, sans quoi la licéité de l’accord s’en trouverait compromise.

 

Soc. 6 mars 2024, FS-BR, n° 22-13.672

© Lefebvre Dalloz