L’accusé ne peut revenir sur la limitation de son appel cantonné aux peines prononcées

Le droit à un procès équitable ne permet pas à l’accusé de revenir, à l’ouverture des débats, sur la limitation de son appel cantonné aux peines prononcées, même si l’appel a été formé par ce dernier sans la présence de son avocat, dès lors que, d’une part, le code de procédure pénale ne prévoit pas, en matière criminelle, de dispositions semblables à celles énoncées en matière correctionnelle par l’article 509, alinéa 2, et que, d’autre part, le renvoi de l’affaire allongerait son délai de jugement et contrarierait la bonne administration de la justice.

En matière criminelle, l’appel n’a pas vocation à venir confirmer ou infirmer la décision rendue en premier ressort. En effet, l’appel implique le réexamen de l’affaire dans son entier (C. pr. pén., art. 380-1, al. 2). La cour d’assises d’appel doit alors juger à nouveau l’intégralité de l’affaire, puisque la décision de la cour d’assises du premier degré doit être considérée comme anéantie (AJ pénal 2009. 413, obs. G. Roussel ). Ainsi, pour être recevable, l’appel du procureur général ne peut pas être cantonné à une partie de la décision, mais doit porter sur l’ensemble des chefs d’accusation retenus contre le même accusé (Crim. 24 juin 2009, n° 08-88.262 P, Dalloz actualité, 7 sept. 2009, obs. S. Lavric ; AJ pénal 2009. 413, obs. G. Roussel ; 17 oct. 2012, n° 11-87.476 P, Dalloz actualité, 5 nov. 2012, obs. M. Léna ; D. 2012. 2522 ; AJ pénal 2013. 166, obs. J. Pronier ; 23 sept. 2015, n° 15-84.897 P, RSC 2015. 904, obs. F. Cordier ; 27 janv. 2016, n° 15-87.393 P).

En outre, cet effet dévolutif empêche l’accusé de limiter son appel à certaines déclarations de culpabilité. Toutefois, s’il le fait, son appel ne sera pas déclaré irrecevable dans la mesure où la cour d’assises statuant en appel ne s’arrête pas aux limitations irrégulières mentionnées sur la déclaration d’appel, qu’elle soit faite par l’accusé (Crim. 18 oct. 2023, n° 23-80.202 FS-B, Dalloz actualité, 8 nov. 2023, obs. M. Slimani ; D. 2023. 1858 ; AJ pénal 2024. 44, obs. R. Mesa ) ou par le procureur général (Crim. 9 oct. 2024, n° 24-85.030 FS-B, Dalloz actualité, 25 oct. 2024, obs. D. Pamart ; D. 2024. 1778 ).

Finalement, seules les hypothèses d’acquittement partiel limitent l’appel aux condamnations dont l’accusé a été l’objet (Rép. pén., Acquittement, par C. Girault). Dès lors, l’appel incident formé par le procureur général à la suite de l’appel principal de l’accusé ne saisit pas la cour d’assises d’appel des infractions dont l’intéressé a été déclaré non coupable (Crim. 4 mars 2015, n° 14-81.685 P, Dalloz actualité, 20 mars 2015, obs. J. Gallois ; D. 2015. 1395, chron. G. Barbier, B. Laurent et G. Guého ; AJ pénal 2015. 434, obs. P. de Combles de Nayves ).

Toutefois, depuis la création de l’article 380-2-1-A du code de procédure pénale par la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, le législateur permet de cantonner l’appel en matière criminelle à la décision sur la peine sans que la question de la culpabilité soit réexaminée.

Contexte de l’affaire

En l’espèce, le juge d’instruction a procédé à la mise en accusation du requérant du chef de meurtre et a ordonné son renvoi devant la cour d’assises. Cette juridiction a condamné l’accusé, pour violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner, à quinze ans de réclusion criminelle et une confiscation. L’intéressé a relevé appel de cette décision par déclaration faite au greffe de l’établissement pénitentiaire. Ce document précisait que l’appel se limitait aux peines, conformément à ce que permet l’article 380-2-1 A du code de procédure pénale.

En appel, la cour d’assises a constaté que l’appel de l’intéressé était limité à la peine. Ainsi, elle a rejeté les conclusions déposées in limine litis par l’avocat de l’intéressé visant à faire valoir l’intention de son client de former un appel total et non seulement sur la peine, et à mettre en avant l’erreur commise par le greffier sur la déclaration d’appel.

L’intéressé s’est alors pourvu en cassation. Selon lui, en rejetant les conclusions de son avocat, la cour d’assises d’appel avait violé son droit à un procès équitable garanti par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. Plus précisément, il évoquait que son droit à l’exercice des voies de recours (lequel est davantage assuré par l’art. 13 de ladite Convention) et son droit à l’assistance d’un avocat avaient été méconnus, dès lors qu’il avait indiqué dès le départ et de manière constante qu’il avait l’intention de former un appel total et que la limitation de son appel provenait d’une erreur commise par le greffier sur la déclaration d’appel.

Se posait donc la question de savoir si le droit à un procès équitable permet à l’accusé de revenir à l’audience sur la limitation de la portée de l’appel lorsqu’il a été formé par l’intéressé sans la présence de son avocat.

Répondant par la négative, la chambre criminelle a rejeté le pourvoi de l’intéressé au motif que le code de procédure pénale ne prévoit pas la possibilité pour l’accusé, en matière criminelle, de revenir sur la limitation de son appel lorsqu’il est cantonné aux peines.

Sur l’impossibilité de rectification de l’erreur

En l’espèce, l’accusé a relevé appel par déclaration faite au greffe de l’établissement pénitentiaire. Ce document précisant que l’appel était limité aux peines a été transcrit dans les mêmes termes par le greffier de la cour d’assises. Cependant, l’intéressé faisait valoir qu’il avait dès le départ l’intention de former un appel contre l’entière décision. Seulement, il n’apportait aucun élément probant au soutien de cette allégation, de sorte que l’erreur n’a pas pu être rectifiée.

Ce dernier ne pouvait pas non plus alléguer que l’appel avait été formé en l’absence de son avocat pour espérer pouvoir en modifier la portée à l’ouverture des débats. En effet, cette faculté prévue par l’article 509, alinéa 2, du code de procédure pénale est réservée à la matière correctionnelle. Elle permet au prévenu de revenir à l’audience sur la limitation de son appel aux peines prononcées, lorsque l’appel a été fait par le prévenu en l’absence de son avocat. En revanche, l’article 380-2-1 A du code de procédure pénale ne prévoit pas quant à lui, en matière criminelle, de dispositions semblables.

S’ensuit alors une différence de situation entre les prévenus et les accusés qui, certes, ne prive pas pour autant les accusés de leur droit au recours ni de celui d’être assisté par un avocat, mais les place dans une situation désavantageuse face aux prévenus.

Sur la conciliation des droits et principes relevant du droit au procès équitable

Admettant de traiter différemment les accusés des prévenus, la chambre criminelle justifie sa décision en précisant que cette distinction résulte des spécificités de la procédure applicable devant la cour d’assises. En ce sens, le second alinéa de l’article 380-2-1 A du code de procédure pénale prévoit qu’au cas où l’appel serait limité à la peine, seuls sont entendus les témoins et experts dont la déposition est nécessaire afin d’éclairer les assesseurs et les jurés sur les faits commis et la personnalité de l’accusé, sans que soient entendues les personnes dont la déposition ne serait utile que pour établir sa culpabilité.

Dès lors, accepter d’élargir la portée de l’appel à la culpabilité impliquerait de renvoyer l’affaire afin de pouvoir entendre les personnes dont la déposition serait utile pour établir la culpabilité. Or, ce renvoi allongerait considérablement les délais de jugement.

Partant, la chambre criminelle a jugé que l’objectif de bonne administration de la justice ne permet pas d’envisager que l’accusé puisse revenir, à l’ouverture des débats, sur la portée de son appel.

Finalement, cette décision illustre comment la chambre criminelle concilie les droits, principes et objectifs dont elle a à connaître, en l’occurrence en conciliant le droit à un recours juridictionnel effectif avec le droit à être jugé dans un délai raisonnable et l’objectif de bonne administration de la justice. Dans la mesure où le droit à un procès équitable, évoqué par le requérant, prévoit également le droit à être jugé dans un délai raisonnable (Conv. EDH, art. 6, § 1), la chambre criminelle a pu justifier sa décision bien qu’elle prive l’accusé d’un droit reconnu au prévenu en matière correctionnelle.

 

Crim. 23 oct. 2024, F-B, n° 24-80.331

© Lefebvre Dalloz