L’action en nullité pour dol ne dérive pas du contrat d’assurance
La Cour de cassation estime que la demande d’annulation d’un contrat d’assurance en raison du dol de l’assureur ou de son représentant n’entre pas dans les prévisions de l’article L. 114-1 du code des assurances, car elle repose sur l’existence de manœuvres pratiquées avant la conclusion du contrat.
 
                            Selon l’article L. 114-1 du code des assurances, « toutes actions dérivant d’un contrat d’assurance sont prescrites par deux ans à compter de l’évènement qui y donne naissance ». Il s’agit d’une reprise de l’article 25 de la loi Godart du 13 juillet 1930 (JO 18 juill.). À l’époque, l’objet de cette disposition était de mettre fin à des abus commis par des assureurs qui prévoyaient des délais de prescription très brefs dans les polices d’assurance (Y. Lambert-Faivre et L. Leveneur, Droit des assurances, 14e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2017, n° 330). Depuis lors, le délai de prescription biennal s’est maintenu, non sans critiques (v. Cour de cassation, Rapport annuel 2022, p. 37 s.). Par le jeu de l’adage specialia generalibus derogant, il s’applique en lieu et place du délai de prescription de droit commun de cinq ans (C. civ., art. 2224). Toutefois, le délai de prescription biennal ne vaut que pour les actions qui entrent dans le domaine d’application de l’article L. 114-1 du code des assurances.
Le 15 septembre 2010, un particulier a souscrit un contrat d’assurance sur la vie multi-support par l’intermédiaire d’un courtier. Pendant la période d’exécution du contrat, différents avenants ont été signés. Puis, par plusieurs citations signifiées entre le 9 septembre et le 30 décembre 2015, l’assuré a assigné le courtier et l’assureur devant un tribunal de grande instance. Il demandait à titre principal l’annulation de deux arbitrages en assurance-vie et le remboursement des sommes liées à ces opérations. On comprend également qu’en cours d’instance l’assuré a demandé l’annulation de certains avenants au contrat pour dol du courtier. Devant la Cour d’appel de Grenoble, la recevabilité de ses demandes a été mise en cause.
Ainsi, la cour d’appel a déclaré recevables les demandes d’annulation des avenants des 13 et 18 juin 2014, mais elle a en revanche estimé que les demandes d’annulation des avenants au contrat d’assurance sur la vie souscrits entre le 20 octobre 2010 et le 9 mars 2012 étaient prescrites et, comme telles, irrecevables.
Pour arriver à cette conclusion, la cour d’appel a fait application du délai biennal prévu à l’article L. 114-1 du code des assurances.
Dans son pourvoi, l’assuré conteste l’applicabilité de cette disposition au contentieux de l’annulation des contrats d’assurance pour dol. Selon lui, l’action en nullité pour dol ne dérive pas du contrat d’assurance, car elle tend à sanctionner un manquement à la bonne foi et à la loyauté antérieur à sa conclusion. Or, le domaine d’application de la prescription biennale est circonscrit aux actions qui « dérivent » du contrat d’assurance.
La Cour de cassation a souscrit à cette interprétation de l’article L. 114-1 du code des assurances. Au visa de ce texte et des articles 1116 et 1304 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, elle casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel de Grenoble. Viser les textes du code civil lui permet de reprendre la définition du dol (C. civ., anc. art. 1116 [comp. art. 1137]) et de rappeler que le délai de prescription de l’action en nullité ou en rescision d’une convention, dans tous les cas où il n’est pas limité à un moindre temps par une loi particulière, est de cinq ans (C. civ., anc. art. 1304). Pour exclure l’action en nullité du contrat d’assurance ou de ses avenants fondée sur le dol de l’assureur ou de son mandataire du champ d’application de la prescription biennale, la Cour de cassation retient que l’action repose sur l’existence de manœuvres pratiquées avant la conclusion du contrat, et que dès lors, elle ne dérive pas du contrat.
La confirmation d’une solution déjà établie en jurisprudence
En raison de la relative imprécision de l’expression « actions dérivant d’un contrat d’assurance », la jurisprudence a de nombreuses fois été amenée à se prononcer sur le domaine d’application de l’article L. 114-1 du code des assurances. Certaines hypothèses relèvent de l’évidence : les actions qui tendent à ce qu’une des parties au contrat exécute ses obligations à l’égard de son cocontractant dérivent bien du contrat d’assurance. Par conséquent, l’action de l’assureur en paiement des primes (Civ. 1re, 6 oct. 1993, n° 90-16.493, RTD civ. 1994. 608, obs. J. Mestre  ; RCA 1993, n° 380 ; RGAT 1994. 102, note L. Mayaux) et l’action du bénéficiaire en paiement de l’indemnité prévue par le contrat (Civ. 1re, 3 oct. 1995, n° 93-12.967, RCA 1995, n° 380) sont soumises à la prescription biennale. Il en va de même pour les actions en responsabilité fondées sur l’inexécution fautive du contrat (Civ. 2e, 28 mars 2013, n° 12-16.011, Dalloz actualité, 22 avr. 2013, obs. T. de Ravel d’Esclapon ; D. 2013. 907
 ; RCA 1993, n° 380 ; RGAT 1994. 102, note L. Mayaux) et l’action du bénéficiaire en paiement de l’indemnité prévue par le contrat (Civ. 1re, 3 oct. 1995, n° 93-12.967, RCA 1995, n° 380) sont soumises à la prescription biennale. Il en va de même pour les actions en responsabilité fondées sur l’inexécution fautive du contrat (Civ. 2e, 28 mars 2013, n° 12-16.011, Dalloz actualité, 22 avr. 2013, obs. T. de Ravel d’Esclapon ; D. 2013. 907  ; RCA 2013, n° 201 ; RGDA 2013. 598, note A. Pélissier).
 ; RCA 2013, n° 201 ; RGDA 2013. 598, note A. Pélissier).
En revanche, lorsque les conditions de formation du contrat d’assurance sont en cause, la jurisprudence a été plus fluctuante. Ainsi, dans un arrêt de 1979, la Cour de cassation a estimé que l’action en nullité du contrat d’assurance pour fausse déclaration intentionnelle de l’assuré lors de la conclusion du contrat était soumise au délai de prescription biennal (Civ. 1re, 4 janv. 1979, n° 77-13.629, RGAT 1980. 56).
Toutefois, dans un arrêt plus récent, elle a retenu qu’une demande en annulation d’un contrat en raison de la violence morale exercée par l’assureur relevait du délai de prescription de droit commun (Civ. 2e, 25 juin 2009, n° 08-14.254). De surcroît, par un arrêt de 2014, la Cour de cassation a estimé que l’action fondée sur le dol de l’assureur ne relevait pas de l’article L. 114-1 du code des assurances, car dans cette hypothèse, les stipulations du contrat d’assurance n’étaient pas en cause (Civ. 2e, 16 janv. 2014, n° 13-10.134, Dalloz actualité, 28 janv. 2014, obs. N. Kilgus ; D. 2014. 1722, chron. L. Lazerges-Cousquer, N. Touati, T. Vasseur, E. de Leiris, H. Adida-Canac, D. Chauchis et N. Palle  ; ibid. 2015. 1231, obs. M. Bacache, D. Noguéro, L. Grynbaum et P. Pierre
 ; ibid. 2015. 1231, obs. M. Bacache, D. Noguéro, L. Grynbaum et P. Pierre  ; RTD civ. 2014. 371, obs. H. Barbier
 ; RTD civ. 2014. 371, obs. H. Barbier  ; RGDA 2014. 150, note A. Pélissier ; Gaz. Pal. 2014, n° 117-119, p. 23, note D. Noguéro ; RCA 2014, n° 13). La rupture avec la solution retenue en 1979 est donc bien consommée, ce que confirme le présent arrêt. Néanmoins, la motivation de ce dernier sort du sillage des précédentes décisions.
 ; RGDA 2014. 150, note A. Pélissier ; Gaz. Pal. 2014, n° 117-119, p. 23, note D. Noguéro ; RCA 2014, n° 13). La rupture avec la solution retenue en 1979 est donc bien consommée, ce que confirme le présent arrêt. Néanmoins, la motivation de ce dernier sort du sillage des précédentes décisions.
Des solutions identiques reposant sur des motivations différentes
Pour écarter l’application de l’article L. 114-1 du code des assurances, la Cour de cassation se réfère à un critère qu’elle n’a jusqu’alors jamais expressément visé : le fait que l’action repose sur des éléments antérieurs à la conclusion du contrat.
L’argument est percutant : une action ne peut pas dériver du contrat si son bien-fondé dépend de circonstances préexistantes. Or, en l’espèce, les manœuvres du courtier ayant pour effet de vicier le consentement de l’assuré lors de la conclusion des avenants sont nécessairement antérieures à la conclusion des actes en cause.
Cette motivation présente l’avantage de ne pas remettre en question des solutions établies. Ainsi, il est de jurisprudence constante que l’action en responsabilité contre l’assureur pour manquement à son obligation précontractuelle d’information et de conseil n’est pas soumis au délai de prescription biennal (Civ. 1re, 30 janv. 2001, n° 98-18.145, D. 2001. 672  ; RGDA 2001. 53, note J. Kullmann ; JCP 2001. II. 10609, note M.-H. Maleville ; RCA 2001, n° 135 ; Civ. 2e, 10 déc. 2015, n° 14-29.214, RCA 2016, n° 94, note H. Groutel ; Procédures 2016. Chron. 3, n° 4, note V. Mazeaud). Jusqu’alors, la Cour de cassation estimait simplement que cette action ne dérivait pas du contrat d’assurance. La solution pourrait désormais être expliquée par le fait que l’action repose sur un manquement à des obligations précontractuelles, élément antérieur à la conclusion du contrat. Il en va de même pour l’action en nullité pour violence (Civ. 2e, 25 juin 2009, préc.).
 ; RGDA 2001. 53, note J. Kullmann ; JCP 2001. II. 10609, note M.-H. Maleville ; RCA 2001, n° 135 ; Civ. 2e, 10 déc. 2015, n° 14-29.214, RCA 2016, n° 94, note H. Groutel ; Procédures 2016. Chron. 3, n° 4, note V. Mazeaud). Jusqu’alors, la Cour de cassation estimait simplement que cette action ne dérivait pas du contrat d’assurance. La solution pourrait désormais être expliquée par le fait que l’action repose sur un manquement à des obligations précontractuelles, élément antérieur à la conclusion du contrat. Il en va de même pour l’action en nullité pour violence (Civ. 2e, 25 juin 2009, préc.).
Pour autant, il faut prendre garde à ne pas généraliser à l’excès cette solution. En effet, elle ne saurait être étendue à toutes les causes de nullité du contrat d’assurance. La question se pose lorsque l’action en nullité est fondée sur l’erreur, au sens de l’article 1132 du code civil. La Cour de cassation a déjà eu l’occasion d’affirmer que ce type d’action entre dans le domaine d’application de l’article L. 114-1 du code des assurances (Civ. 2e, 30 juin 2004, n° 03-14.614, RGDA 2004. 991, note L. Mayaux). Il semble que le présent arrêt n’est pas de nature à remettre en question cette solution, car, contrairement au dol, l’erreur ne repose pas sur l’existence de manœuvres pratiquées avant la conclusion du contrat. La question est plus délicate pour les actions en nullité reposant sur l’absence d’aléa concernant l’un des risques couverts (Civ. 1re, 9 nov. 1999, nos 97-16.306 et 97-16.800, D. 2000. 507  , note A. Cristau
, note A. Cristau  ; RDI 2000. 206, obs. G. Leguay
 ; RDI 2000. 206, obs. G. Leguay  ; RTD civ. 2000. 568, obs. J. Mestre et B. Fages
 ; RTD civ. 2000. 568, obs. J. Mestre et B. Fages  ; Civ. 2e, 6 mai 2021, n° 19-25.395, Dalloz actualité, 11 mai 2021, obs. R. Bigot et A. Cayol ; D. 2021. 903
 ; Civ. 2e, 6 mai 2021, n° 19-25.395, Dalloz actualité, 11 mai 2021, obs. R. Bigot et A. Cayol ; D. 2021. 903  ; ibid. 2022. 1117, obs. R. Bigot, A. Cayol, D. Noguéro et P. Pierre
 ; ibid. 2022. 1117, obs. R. Bigot, A. Cayol, D. Noguéro et P. Pierre  ). Étant donné qu’elles reposent sur une irrégularité relative à l’objet même du contrat, elles devraient nécessairement en dériver. Sauf que dans ce cas de figure, la nullité est prononcée lorsqu’un cocontractant savait que le risque s’était déjà réalisé au jour de la conclusion du contrat. Il y a donc un élément d’antériorité, la connaissance préalable de la réalisation du risque. Toutefois, rien ne laisse présager que la Cour de cassation prenne en considération ce critère dans cette situation.
). Étant donné qu’elles reposent sur une irrégularité relative à l’objet même du contrat, elles devraient nécessairement en dériver. Sauf que dans ce cas de figure, la nullité est prononcée lorsqu’un cocontractant savait que le risque s’était déjà réalisé au jour de la conclusion du contrat. Il y a donc un élément d’antériorité, la connaissance préalable de la réalisation du risque. Toutefois, rien ne laisse présager que la Cour de cassation prenne en considération ce critère dans cette situation.
Loin d’apporter une solution définitive quant au domaine d’application de la prescription biennale, l’arrêt du 21 décembre 2023 apporte en réalité son lot de questions nouvelles.
© Lefebvre Dalloz