L’action tendant à l’annulation d’un contrat de vente de panneaux photovoltaïques échappe à l’interdiction des poursuites
L’article L. 622-21, I, du code de commerce n’est pas applicable à une action en justice tendant à l’annulation d’un contrat de vente de panneaux photovoltaïques fondée sur un manquement à une obligation d’information précontractuelle, sur la violation de conditions de forme et sur le dol, ni à celle tendant à la résolution de ce contrat, fondée sur un manquement du vendeur à son obligation de délivrance conforme.
Tandis qu’un débiteur in bonis est confronté aux poursuites individuelles de ses créanciers, le débiteur sous procédure collective, en raison du principe d’égalité des créanciers, y échappe. Aussi bénéficie-t-il, dès l’ouverture de la procédure, de l’arrêt des poursuites individuelles ; principe auquel sont soumis la plupart de ses créanciers : ces derniers, pour espérer être payés dans le cadre de la procédure, ne pouvant plus que déclarer leur créance.
Le principe se loge à l’article L. 622-21 du code de commerce et prévoit que le jugement d’ouverture interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n’est pas mentionnée au I de l’article L. 622-17 (créanciers postérieurs privilégiés) et tendant, soit à la condamnation du débiteur au paiement d’une somme d’argent, soit à la résolution d’un contrat pour défaut de paiement d’une somme d’argent.
À la lecture de cette disposition, le domaine de l’interdiction des poursuites paraît bien déterminé. Pourtant, les questions sur la soumission de telle ou telle action au principe d’interdiction sont récurrentes en jurisprudence, ce dont témoigne, une nouvelle fois l’arrêt sous commentaire.
L’affaire
En l’espèce, des époux ont acquis des panneaux photovoltaïques auprès d’une société venderesse et ont contracté, le même jour, auprès d’une banque, un crédit affecté au financement de cette opération.
Par la suite, la société a été mise en liquidation judiciaire le 9 avril 2014.
Les 12 et 13 février 2015, le couple a assigné la banque et la société venderesse en annulation des contrats de vente et de crédit affecté et, à titre subsidiaire, en résolution de ces contrats. Plus précisément, les époux sollicitaient, à titre principal, la résolution du contrat de prestation conclu avec la société sur le fondement de la violation d’une obligation de faire et, à titre subsidiaire, son annulation pour violation de certaines dispositions d’ordre public du code de la consommation.
A priori, les époux ont obtenu gain de cause en première instance. La banque a alors interjeté appel de la décision.
Pour la cour d’appel, les demandes des époux étaient irrecevables, car soumises à la règle de l’interdiction des poursuites éditée par l’article L. 622-21 du code de commerce. En substance, c’est moins l’objet des actions que leurs conséquences qui ont influencé l’arrêt rendu par la cour d’appel. En effet, les juges du second degré ont retenu que les demandes en nullité et en résolution contre le vendeur « affecteront nécessairement le passif de la liquidation judiciaire » ; conséquence qui suffit à faire tomber les actions litigieuses dans le giron de l’article L. 622-21.
En réponse, les époux ont formé un pourvoi en cassation.
L’argumentation des demandeurs était classique. D’abord, ils rappelaient la règle selon laquelle le jugement d’ouverture d’une procédure collective interdit toute action en justice de la part des créanciers tendant à la condamnation du débiteur au paiement d’une somme d’argent ou à la résolution d’un contrat pour défaut de paiement d’une somme d’argent. Ensuite, ils en tiraient pour conclusion que les actions en nullité d’un contrat ou en résolution pour inexécution d’une obligation de faire étaient, au contraire, autorisées malgré la survenance de la liquidation judiciaire du cocontractant.
La Cour de cassation va être convaincue par l’argumentaire et casse l’arrêt d’appel.
La solution
La Cour de cassation commence par rappeler la substance de l’article L. 622-21, I, du code de commerce : à compter de l’ouverture de la procédure, seules les actions tendant à la condamnation du débiteur au paiement d’une somme d’argent ou à la résolution d’un contrat pour défaut de paiement d’une somme d’argent sont interrompues et/ou interdites lorsque des créanciers autres que ceux relevant de l’article L. 622-17 en sont à l’origine.
Or, selon la Haute juridiction, les actions litigieuses de l’espèce ne relevaient pas du domaine de l’article L. 622-21, I, du code de commerce.
En effet, la Cour de cassation indique que les époux fondaient leur demande d’annulation du contrat de vente notamment sur la violation des articles L. 111-1 et L. 121-23 du code de la consommation, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, outre des manœuvres dolosives qu’ils reprochaient au vendeur et leur demande subsidiaire de résolution sur le manquement du vendeur à son obligation de délivrance conforme.
Pour les juges du quai de l’Horloge, il en résulte que les demandeurs ne sollicitaient aucunement la condamnation du vendeur au paiement d’une somme d’argent et ils n’invoquaient pas plus le défaut de paiement d’une telle somme et ne réclamaient pas la restitution du prix de vente.
Pour l’ensemble de ces raisons, les demandes litigieuses ne se heurtaient donc pas à la règle de l’interdiction des poursuites.
Analyse de l’arrêt
Poursuivant une logique qui lui est propre, l’arrêt ici rapporté peut, de prime abord, surprendre. Ce sentiment provient du fait, qu’à première lecture, la solution édictée va à l’encontre d’un courant jurisprudentiel admettant une approche extensive du domaine de l’interdiction des poursuites que refuse d’adopter, en l’espèce, la Cour de cassation.
Cela étant, malgré ce qui précède, l’arrêt sous commentaire n’est pas isolé quant à la solution qu’il porte. En effet, au sein de la tendance jurisprudentielle susmentionnée, se détache, depuis quelques années, un second mouvement intimement lié au contentieux de l’espèce et au sein duquel le domaine de l’interdiction des poursuites est apprécié strictement, ce que confirme la solution commentée.
La tentation d’une approche extensive du domaine de l’interdiction des poursuites
À s’en tenir à la seule lecture du code de commerce, le domaine de l’interdiction des poursuites visé à l’article L. 622-21 paraît ciselé. Du reste, assez simplement, lorsqu’une action est fondée sur le défaut de paiement d’une somme d’argent, celle-ci tombe sous le coup de l’interdiction des poursuites que le juge doit au besoin relever d’office (Com. 8 mars 2023, n° 21-20.738, RTD com. 2023. 736, obs. A. Martin-Serf
).
Cela étant, le maniement de la règle n’est pas aussi simple que son exposé. Au vrai, la notion même de « sommes d’argent » est encline à diverses interprétations qui peuvent grandement influencer le giron de l’interdiction des poursuites.
À cet égard, l’on peut relever, avec d’autres auteurs, une certaine dilatation de cette notion au sein de la jurisprudence (F. Pérochon et alii, Entreprises en difficulté, 11e éd., LGDJ, 2022, n° 1053 ; A. Jacquemont, N. Borga et T. Mastrullo, Droit des entreprises en difficulté, 12e éd., LexisNexis, 2022, n° 441). En effet, il apparaît qu’en certaines circonstances la Cour de cassation a eu tendance à apprécier de façon extensive le principe de l’interdiction des poursuites pour l’appliquer à toutes les actions susceptibles de conduire, même indirectement, au paiement d’une somme d’argent par le débiteur (v. par ex., Com. 29 mai 2019, n° 16-26.989 F-B, D. 2019. 1166
; Rev. sociétés 2019. 555, obs. F. Reille
; RTD com. 2019. 765, obs. A. Martin-Serf
; ibid. 771, obs. J.-L. Vallens
).
À tout le moins, c’est suivant cette logique que la Haute juridiction a déjà eu l’occasion d’en déduire que la demande d’exécution en nature d’une obligation de faire – puisqu’elle pouvait tendre, en réalité, au paiement d’une somme d’argent – devait être soumise à la règle de l’article L. 622-21 (Com. 17 mai 2017, n° 15-21.837). Dans la même veine, la Cour de cassation a également soumis une demande d’exécution d’une obligation de faire à la règle de l’interdiction des poursuites en raison des paiements que le débiteur aurait hypothétiquement dû verser pour accomplir la prestation (Com. 17 juin 1997, n° 94-14.109 P, D. 1997. 311
, obs. A. Honorat
; RTD com. 1997. 684, obs. A. Martin-Serf
).
Au demeurant, ces quelques exemples sont particulièrement prégnants de l’apparition en jurisprudence d’un mouvement consacrant une approche assez large du domaine de l’interdiction des poursuites.
En l’espèce, c’est précisément dans ce sillage que s’inscrivait l’arrêt d’appel. Partant, selon les juges du fond, il aurait été possible de considérer que les actions litigieuses de l’espèce relevaient bien du domaine de l’interdiction des poursuites.
La logique est la suivante : puisque la demande en annulation ou en résolution du contrat de vente fait naître une obligation de restitution du prix et qu’une action en résolution du contrat de vente pour inexécution d’une obligation de faire peut se résoudre en dommages-intérêts, ces dernières ont bien une incidence – même indirecte – sur le gage commun des créanciers, ce qui aurait justifié leur soumission à la règle de l’arrêt des poursuites.
Le propos est d’autant plus exact qu’il existe un lien d’automaticité entre la résolution et/ou l’annulation d’un contrat et la restitution du prix. Pour s’en convaincre, la première chambre civile de la Cour de cassation a plusieurs fois jugé que l’annulation d’une vente entraînant de plein droit la remise des parties en l’état où elles se trouvaient antérieurement à sa conclusion, le juge n’est pas tenu, à défaut de demande expresse en ce sens, d’ordonner la restitution du prix en même temps que la reprise de la chose vendue (Civ. 1re, 25 mai 2016, n° 15-17.317 F-P+B, Dalloz actualité, 9 juin 2016, obs. T. de Ravel d’Esclapon ; D. 2016. 1199
; ibid. 2017. 375, obs. M. Mekki
; RTD civ. 2016. 854, obs. H. Barbier
; RTD com. 2016. 836, obs. B. Bouloc
; 6 févr. 2019, n° 17-25.859 F-P+B, D. 2019. 310
).
Quoi qu’il en soit, une appréhension large du domaine de l’interdiction des poursuites nous semble réaliste, car, quitte à enfoncer une porte ouverte, il faut bien reconnaître, qu’en toutes hypothèses, l’exécution d’une obligation à un coût (F. Pérochon et alii, op. cit., nº 1053) !
À ce stade, l’on réalise donc à quel point la tentation pouvait être grande pour la Cour de cassation de suivre la solution retenue par les juges du second degré.
Pourtant, tel n’a pas été le cas en l’espèce. Malgré les apparences, l’arrêt ici rapporté ne constitue nullement un revirement de jurisprudence. En réalité, la solution commentée nous paraît grandement influencée par le contexte très particulier des faits soumis à la Haute juridiction qui imposait une approche stricte du domaine de l’interdiction des poursuites.
L’adoption opportune d’une approche stricte du domaine de l’interdiction des poursuites
Commençons par une évidence : sous réserve de ce que l’on a indiqué, si l’action en question ne concerne pas le paiement d’une somme d’argent, le créancier ne saurait être frappé par l’interdiction des poursuites. Par exemple, une action en résolution d’un contrat fondée sur l’inexécution d’une obligation autre que le paiement d’une somme d’argent échappe, en principe, à la règle de l’interdiction des poursuites (Com. 15 juin 2022, nos 21-10.802 et 21-12.358 F-B, Dalloz actualité, 15 sept. 2022, obs. G. Berthelot ; D. 2022. 1149
; RTD com. 2023. 217, obs. A. Martin-Serf
).
En l’occurrence, même si cela peut sembler redondant après avoir visé le contenu de l’article L. 622-21 du code de commerce, il n’est pas anodin que la Cour de cassation mette en exergue le fait que les époux ne demandaient pas le paiement d’une somme d’argent ni ne réclamaient la restitution du prix de vente pour conclure au fait que leur action ne se heurtait pas à la règle de l’interdiction des poursuites.
En réalité, au-delà des règles du droit des entreprises en difficulté, était ici en jeu la défense de l’intérêt même des acquéreurs non pas à obtenir la restitution du prix ou une quelconque autre somme de la part du vendeur en liquidation judiciaire, mais au contraire à rechercher l’annulation du contrat de financement conclu avec un tiers extérieur à la procédure collective !
Pour comprendre cette affirmation, il faut s’intéresser à la nature de l’opération tripartite caractéristique des ventes de panneaux photovoltaïques entre un vendeur, un acquéreur et un organisme de financement. En l’occurrence, cette relation contractuelle se caractérise par un lien d’indivisibilité, de sorte que l’annulation du contrat de vente est un préalable nécessaire à l’annulation du contrat de financement, et ce, quelle que soit la cause de la résolution du contrat principal qu’est la vente (J.-Cl. Conc. Consom., v° Crédit à la consommation, fasc. n° 1100, par G. Raymond, n° 141).
Du reste, l’on perçoit ici la stratégie qui était à l’œuvre par les demandeurs au pourvoi.
À notre sens, il s’agissait pour eux d’obtenir la nullité du contrat principal conclu avec la société en liquidation judiciaire afin de tenter de se libérer d’un engagement qui a perdu son objet : le prêt conclu avec la banque.
En somme, au sein de ce montage, il convient de préciser que c’est l’établissement de crédit qui paie le vendeur. La conséquence est importante, puisque quand bien même en cas d’annulation d’une vente, les restitutions sont de plein droit (v. supra), l’acquéreur ne pouvait de toute façon prétendre, en l’espèce, à une restitution du prix. Du moins, il s’agit là d’un argument supplémentaire permettant de conforter la solution retenue en l’espèce par la Cour de cassation.
L’on se rend compte que la position de la Haute juridiction permet donc aux consommateurs « victimes » de la liquidation judiciaire du vendeur de tenter de se libérer de leurs engagements contractuels à l’égard de la banque ayant financé l’opération d’achat.
Relevons toutefois que l’initiative des acquéreurs a de grande chance de ne rester qu’au stade de la « tentative », car ils ne peuvent pas échapper aussi facilement à leur obligation de remboursement. Nous formulons cette remarque, car leur libération semble dépendre, sous toutes réserves, d’une faute du prêteur (G. Raymond, préc., n° 143 ; Civ. 1re, 9 janv. 2019, n° 17-27.955, RTD com. 2019. 195, obs. D. Legeais
; 7 oct. 2020, n° 18-20.664).
Passée cette réserve, la publication au Bulletin de l’arrêt sous commentaire nous semble bien confirmer bien la présence d’un contentieux important s’agissant des opérations de vente de panneaux photovoltaïques, notamment dans l’hypothèse où le vendeur fait l’objet d’une procédure collective. Au demeurant, les mêmes solutions avec des faits quasi similaires avaient déjà été rendues par la Cour de cassation (Com. 7 oct. 2020, nos 19-14.422 et 19-12.640 F-P+B, D. 2020. 2006
; Rev. sociétés 2020. 710, obs. L. C. Henry
; RTD com. 2020. 936, obs. B. Bouloc
; ibid. 2021. 187, obs. A. Martin-Serf
; 3 févr. 2021, n° 19-13.434 ; 5 mai 2021, n° 19-10.394).
D’une certaine manière, ces arrêts – dont l’arrêt sous commentaire fait partie – utilisent astucieusement les subtilités du droit des entreprises en difficulté au service de la protection des droits du consommateur quitte à s’éloigner quelque peu de ce qui peut être jugé dans d’autres contextes.
Com. 12 juin 2024, F-B, n° 19-14.480
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