L’allocataire de prestations familiales détient un grand pouvoir qui implique de grandes responsabilités

Seul l’allocataire de prestations familiales peut être tenu au remboursement d’un éventuel indu résultant du défaut de déclaration de changement de situation. Son concubin ne peut être solidairement responsable de ce manquement.

 

Pour pouvoir prétendre aux prestations familiales, il faut résider au moins six mois par an en France (CSS, art. R. 111-2). Il faut également avoir au moins un enfant à charge, c’est-à-dire en assumer sa charge effective et permanente (CSS, art. L. 513-1). Il s’agit ici d’une situation de fait, indépendante du lien de sang qui pourrait exister entre l’enfant et la personne qui en a la charge. Sous cet angle, « la famille dans le droit de la sécurité sociale ne se confond pas avec la famille du droit civil » (J.-Y. Kerbourc’h et C. Willmann, Droit de la sécurité sociale, 11e éd., LGDJ, 2024, p. 727). Une fois ces conditions remplies, la personne acquiert la qualité d’allocataire et peut prétendre aux bénéfices des prestations familiales. Il existe un principe d’unicité de l’allocataire des prestations familiales. Ainsi, sauf exception, une seule personne peut être désignée allocataire et, « si ce droit d’option n’est pas exercé, l’allocataire est l’épouse ou la concubine ». Cette personne bénéficie donc d’un droit à prestations mais se voit, en contrepartie, soumise à des obligations dont le non-respect engage sa responsabilité, à l’exclusion de celle de son concubin. C’est ce que rappelle l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 25 septembre 2025. En l’espèce, à la suite d’un contrôle, une caisse d’allocations familiales (CAF) a notifié à l’allocataire de prestations familiales et à son concubin, un indu de prestations et une pénalité prononcée en raison de la non-déclaration du départ d’un des enfants du foyer. Estimant ne pas être concerné, le concubin a alors formé opposition à la contrainte aux fins de recouvrement de la pénalité.

L’exclusion de la responsabilité du concubin de l’allocataire en cas de manquement relatif aux prestations

La Cour d’appel d’Amiens a rejeté le recours du concubin. Son arrêt a été cassé par la Cour de cassation qui a jugé que l’obligation de déclaration d’un changement de situation pèse uniquement sur l’allocataire de prestations, à l’exclusion de son concubin. La pénalité ne peut donc pas être mise à la charge de ce dernier. Cette position peut être rapprochée de celle qu’elle avait tenue dans un arrêt rendu le 30 novembre 2017 dans une espèce similaire. À la suite d’un contrôle concluant à l’existence d’une vie maritale, une CAF avait décerné une contrainte au concubin de l’allocataire d’une allocation de logement familiale pour obtenir le remboursement d’un solde d’indu de cette allocation (Civ. 2e, 30 nov. 2017, n° 16-24.021, D. 2017. 2483 ; ibid. 2018. 1104, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; AJ fam. 2018. 40, obs. M. Saulier ; RDSS 2018. 180, obs. T. Tauran ). La Cour de Cassation avait alors jugé qu’« il résulte de l’article 1376, devenu 1302-1 du code civil, que l’action en répétition de l’indu ne peut être engagée que contre celui qui a reçu le paiement ou pour le compte duquel le paiement a été reçu ». Elle en avait alors déduit que seule l’allocataire pouvait faire l’objet d’une contrainte, non son concubin. Si la solution est identique dans la présente affaire commentée, la motivation et le raisonnement diffèrent. En l’espèce, la Haute juridiction commence par rappeler qu’en vertu de l’article L. 114-17, I, 2°, du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable au litige, l’absence de déclaration d’un changement dans la situation justifiant le service des prestations peut faire l’objet d’une pénalité prononcée par le directeur de l’organisme chargé de la gestion des prestations familiales. Elle poursuit en affirmant qu’au regard de son objet et de sa finalité, cette pénalité peut être qualifiée de sanction pour en déduire qu’elle ne peut être infligée au concubin qui n’est tenu d’aucune obligation. C’est que l’article L. 121-1 du code pénal prévoit que « nul n’est responsable pénalement que de son propre fait », ce qui matérialise le principe de la personnalité de la responsabilité en matière pénale (F. Rousseau, De quelques réflexions sur la responsabilité collective. Aspects de droit civil et de droit pénal, D. 2011. 1983 ). Il en découle que seule la personne qui commet une infraction peut être pénalement sanctionnée. Un tel principe s’applique à toute sanction punitive lato sensu, extrapénale. Partant de là, si seul l’allocataire a l’obligation de déclarer les changements, seul l’allocataire peut être sanctionné en cas de manquement.

Un raisonnement familialiste définitivement écarté

En l’espèce, les juges amiénois ont suivi un raisonnement familialiste qui n’est pas sans rappeler celui qu’avait pu construire la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 14 septembre 2006 (Civ. 2e, 14 sept. 2006, n° 04-30.712 P). La deuxième chambre civile avait admis que les CAF pouvaient agir en répétition de l’indu contre le concubin de l’allocataire bénéficiant de l’allocation pour jeune enfant parce qu’il était « tenu envers sa fille d’une obligation alimentaire, avait bénéficié des prestations familiales comme (…) l’allocataire ». Dit autrement, bien qu’il ne fût pas désigné comme allocataire, la prestation lui profitait également. Esquissons alors l’hypothèse selon laquelle la cour d’appel, dans l’affaire commentée, a interprété l’arrêt du 30 novembre 2017, non pas comme un revirement de jurisprudence, mais comme une position à combiner avec celle retenue en 2006. En somme, si la prestation profite au concubin au regard des charges de la famille, il peut être tenu de répéter l’indu (2006). En revanche, si la prestation ne profite qu’à l’allocataire, aucune action contre le concubin n’est possible (2017). Cela expliquerait alors pourquoi les juges du fond se sont contentés de vérifier que le montant réclamé au concubin était bien « proportionné au manquement reproché ». Ils ont appliqué le principe de l’individualisation des sanctions (C. pén., art. 132-24), corollaire de l’individualisation des responsabilités signifiant « que les peines prononcées par le juge doivent être proportionnées à l’infraction concrètement commise » (Rép. pén., Question prioritaire de constitutionnalité – Impact de la question prioritaire de constitutionnalité sur la matière pénale, par A. Cappello, juin 2021, n° 201). La Cour de cassation confirme que son arrêt de 2017 était bien un revirement. Peu importe si la prestation familiale profite à l’ensemble de la famille, les devoirs relatifs à cette prestation reposent exclusivement sur l’allocataire qui doit donc assumer les conséquences de ses manquements.

Une solution à portée relativement limitée

La portée de la solution de la Cour de cassation est toutefois limitée. D’une part, rappelons, si besoin en était, que l’article 220 du code civil crée une solidarité des époux face aux dettes contractuelles « ayant pour objet l’entretien du ménage et ou l’éducation des enfants ». Les juges ont étendu cette solidarité aux dettes ménagères non contractuelles, de sorte qu’il existe une obligation solidaire au remboursement de prestations indues à une CAF dès lors que la créance a pris naissance au cours du mariage (Soc. 19 mars 1986, n° 84-13.097). Ainsi, seul le concubin de l’allocataire est épargné par la répétition de l’indu de prestations familiales, pas son conjoint.

D’autre part, la position de la Cour de cassation contraste avec celle du Conseil d’État. Dans une décision rendue le 24 juillet 2019 (CE 24 juill. 2019, n° 417399, Dalloz actualité, 16 sept. 2019, obs. C. Biget ; Lebon ; AJDA 2019. 1610 ; AJ fam. 2019. 527, obs. M. Saulier ; Dr. fam. 2019. Comm. 194, obs. S. Ben Hadj Yahia), le Conseil a jugé à propos de la répétition de l’indu relative au feu RMI (ex-RSA) qu’« alors même qu’un seul des membres du foyer a été désigné comme allocataire, les sommes qui ont été indûment perçues au titre de l’allocation peuvent en principe être récupérées en tout ou partie, tant auprès de l’allocataire que de son conjoint, partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou concubin lorsque cette personne a été prise en compte pour le calcul du revenu garanti ». Comme les juges amiénois dans l’affaire commentée, le Conseil d’État a un raisonnement familialiste, qui s’explique de la façon suivante : la prestation est familialisée, c’est-à-dire que les ressources des membres du foyer sont prises en compte pour déterminer si oui ou non le droit est ouvert, il est logique que le concubin soit tenu de répéter l’éventuel indu. En définitive, la solution de la Cour de cassation se limite à la répétition de l’indu de prestations familiales et de prestations d’aides sociales dont le contentieux relève du juge judiciaire. Pour celles dont le contentieux dépend des juridictions administratives, comme le RSA (v. not., Civ. 2e, 3 juill. 2025, n° 25-40.015, Dalloz actualité, 29 sept. 2025, obs. J. Bourdoiseau), le concubin de l’allocataire reste solidairement tenu à la répétition de l’éventuel indu.

 

Civ. 2e, 25 sept. 2025, F-B, n° 23-12.320

par Jessica Attali-Colas, Maître de conférences en droit privé, Université Jean Moulin Lyon 3, Equipe de recherche Louis Josserand

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