Lancement d’un projet de réforme globale du droit des sociétés français
AFFAIRES | Société et marché financier Dans le cadre du projet RÉPONDS, l’Institut de recherche en droit des affaires de Paris a lancé une réflexion sur l’avenir du droit des sociétés français. Objectif : proposer une réforme globale en combinant approche technique et réflexion fondamentale.
Jeter les bases d’une réforme du droit des sociétés. Tel était l’objet du colloque de lancement du projet RÉPONDS (Réflexions pour un nouveau droit des sociétés) qui s’est tenu le 16 janvier dernier à la Chambre de commerce et d’industrie (CCI) Paris Île-de-France. Un projet ambitieux, initié et piloté par l’Institut de recherche en droit des affaires de Paris (IRDA Paris), et conduit en partenariat avec la CCI et avec le soutien de la Direction des affaires civiles et du Sceau (DACS) du ministère de la Justice.
Engager une réflexion sur l’avenir du droit des sociétés
« Ce projet est né de nos discussions sur la difficulté croissante d’enseigner ce droit, de l’appréhender dans sa globalité, d’en présenter les principes directeurs », a expliqué France Drummond, directrice de l’IRDA Paris et professeur à l’Université Panthéon-Assas. « Il est né de notre agacement d’avoir à rendre compte de multiples incertitudes, incohérences et contradictions, et du constat de la récurrence des questions sur lesquelles nous sommes consultés. » C’est ainsi que s’est imposée « l’idée qu’il était l’heure de se poser, de faire un bilan de l’état de notre droit des sociétés, à la veille des 60 ans de la loi du 24 juillet 1966 [sur les sociétés commerciales], et d’oser des propositions dans un objectif d’intelligibilité, de sécurité juridique et, le cas échéant, de modernisation de ce droit. »
Un projet porté par des universitaires
Un chantier qui peut paraître assez vertigineux mais « l’ambition est mesurée », a-t-elle précisé. « Nous n’avons pas pour objectif de livrer une offre de loi clé en main et nous ne sommes pas portés par une vision du droit des sociétés que nous voudrions voir prévaloir. Selon le tour que prendront les réflexions, les propositions pourront s’avérer plus ou moins ambitieuses. » La méthode combine approche technique et réflexion fondamentale. Des séminaires de restitution de ces travaux auront lieu en septembre prochain afin de procéder à des arbitrages entre les propositions. Le projet est porté par l’équipe de l’IRDA de Paris (10 professeurs et 3 maîtres de conférences) et d’autres professeurs des universités, en partenariat avec la CCI Paris Île-de-France et avec le soutien du ministère de la Justice. « La Direction des affaires civiles et du Sceau a adhéré sans réserve à la démarche et nous a offert son soutien et son concours. »
Pas de réforme d’ensemble et de multiples retouches successives
Le droit des sociétés français n’a pas fait l’objet de réforme d’ensemble depuis la loi du 24 juillet 1966 et les retouches successives dont il a fait l’objet depuis ont contribué à le rendre parfois difficilement lisible et incertain, dans un contexte économique et social qui a beaucoup évolué. « Le droit des sociétés a été malmené au fil du temps par des réformes successives parfois portées par des courants contraires, sans réelle vision d’ensemble », a déclaré le président de la CCI Paris Île-de-France, Dominique Restino. « Protection des tiers, libéralisation, contractualisation, protection des minoritaires, responsabilisation des dirigeants, simplification du fonctionnement sociétaire sont autant d’évolutions qui se sont succédé sans que l’on ne comprenne toujours la cohérence globale. Il en résulte un droit plutôt complexe, peu compréhensible et, surtout, source d’insécurité juridique pour les entreprises. »
En parallèle, le droit des sociétés français « a subi les évolutions de la société », a-t-il poursuivi. « Loi Sapin 2, loi Pacte, devoir de vigilance, reporting extra-financier sont les signes d’une mutation profonde de la vision et du rôle de l’entreprise. En tant que chefs d’entreprise, nous sommes bien conscients qu’il est nécessaire de suivre les évolutions de la société. Mais il vrai que nous sommes parfois confrontés à des difficultés d’interprétation et d’application de la réglementation, qui sont autant de freins au développement de nos activités. »
Le soutien affirmé de la Chancellerie
« La Direction des affaires civiles et du Sceau est la direction normative du ministère de la Justice » et « en matière de droit des sociétés, elle est copilote avec la Direction générale du Trésor, qui a évidemment un prisme un peu différent », a expliqué Joana Ghorayet, sous-directrice du droit économique à la DACS du ministère de la Justice. « La DACS choisit de plus en plus de travailler avec le monde universitaire parce que la difficulté qu’ont les directions normatives c’est de pouvoir travailler sur le temps long. Les injonctions politiques, le rythme des négociations européennes et le rythme politique font que nous ne parvenons plus ou très difficilement à travailler sur un temps long. Ce projet de l’IRDA, que nous avons accueilli avec beaucoup d’enthousiasme, nous permet enfin de travailler sur un temps long. (…) Vous pouvez compter sur le soutien de la Chancellerie. »
Un contexte favorable à la conduite d’un tel projet
Professeur à l’Université Panthéon-Assas, Caroline Coupet va assurer la direction scientifique de ce projet dont l’objectif est de lancer la réflexion « sur ce que pourrait être une réforme globale du droit des sociétés », a-t-elle résumé. « Nombre de propositions existent déjà, qu’elles émanent de la doctrine universitaire ou de la pratique, et elles serviront bien évidemment de socle à la réflexion. » Et si l’IRDA choisit de lancer ce projet aujourd’hui, c’est parce que « le contexte est favorable ».
Et ce, à plusieurs titres. « Le contexte législatif français, d’abord, est clément. Le droit des contrats a été réformé en 2016, et le droit des contrats spéciaux le sera, on peut l’espérer, demain (…) La voie est donc ouverte. » Et « le contexte sociétal, aussi, est favorable. Les initiatives qui entendent faire du droit des sociétés le réceptacle des politiques sociales et environnementales se sont multipliées. Ce mouvement a contribué à bousculer ce qui est attendu d’un groupement sociétaire – profit ou bien commun – et le législateur n’a pas adopté de position ferme (…).
En somme, il existe aujourd’hui plusieurs visions de ce qu’est une société et il y a un choix clair à effectuer. »
Enfin, « le contexte européen est stratégique. Le Brexit a rebattu les cartes. D’un côté, le Royaume-Uni réfléchit à la manière dont le droit des sociétés libéré des contraintes européennes pourrait être rénové. Aujourd’hui, il travaille à la re-domiciliation des sociétés étrangères qui pourraient relocaliser leur siège social sans perdre leur personnalité morale au Royaume-Uni. De multiples pistes de réformes ont été évoquées, allant de la possibilité de revenir sur les règles régissant le capital social et les distributions jusqu’à la révision des règles de participation des travailleurs. Il existe une atmosphère de concurrence normative que l’on ne peut pas ignorer. De l’autre côté, la sortie du Royaume-Uni a bouleversé les jeux d’influence dans les négociations européennes. Au moment où les réformes d’ampleur s’accélèrent à l’échelon européen, la France doit être en mesure de peser dans les débats et de porter le modèle qu’elle se sera choisi. »
Une démarche qui combine approche technique et réflexion fondamentale
En termes de méthodologie, « les voies à défricher sont nombreuses et méritent d’être hiérarchisées », a poursuivi le professeur Caroline Coupet. « A minima, il nous faut identifier les difficultés techniques récurrentes et dégager des préconisations concrètes. Ce travail devrait conduire à l’élaboration de solutions techniques de nature à débarrasser le droit français d’un certain nombre d’irritants, et il pourrait aussi conduire à suggérer quelques innovations. »
Mais « un projet académique ne peut pas faire l’économie d’une réflexion sur des questions plus fondamentales ». À commencer par celle « des fonctions » du droit des sociétés. « Le droit des sociétés doit-il rester un droit neutre ? Doit-il au contraire se substantialiser, porter d’autre valeurs, et si oui, comment les traduire concrètement ? » Autre question fondamentale : la place de la société au sein des groupements. « Le droit allemand, par exemple, ne fait pas de distinction entre la société, l’association et la GIE, et la société peut tout à fait poursuivre un but non lucratif. Le législateur belge a redéfini l’association et la société et il admet explicitement qu’une société puisse suivre un but altruiste. Cela invite à travailler sur les divisions structurantes du droit des sociétés (…) et à la diversité des formes sociales françaises. (…) Certains États comme la Nouvelle-Zélande ont ordonné leur droit des sociétés autour d’une structure unique, les options se déclinant à la carte. »
Enfin, « il faut réfléchir à la structuration formelle du droit des sociétés. Faut-il conserver l’articulation entre code civil et code de commerce ? Faut-il procéder à une unification des dispositions visant les sociétés au sein d’un même support et, si oui, lequel ? Faut-il se laisser tenter par l’élaboration d’un code des sociétés ou d’un code des groupements, au risque de se couper du droit commun que constitue le droit des contrats ? Voilà quelques-uns des terrains qu’il faudra défricher. »
CSRD, devoir de vigilance, assises de la simplification… le point sur les réformes en cours
À l’occasion du colloque de lancement du projet RÉPONDS le 16 janvier à Paris, la sous-directrice du droit économique au sein du ministère de la Justice, Joana Ghorayet, a fait le point sur les réformes en cours et en projet en matière de droit des sociétés.
En ce qui concerne la transposition de la directive sur le devoir de vigilance, « ce texte va être un véritable défi, à la fois politique et juridique, parce qu’il va falloir que nous portions collectivement une vision de ce que nous pensons être un dispositif performant de vigilance à la française », a-t-elle déclaré. Cette vision va se traduire « dans la définition de l’articulation entre les pouvoirs de l’autorité administrative et le rôle dévolu à l’autorité judiciaire », « dans ce que nous attendons précisément des entreprises dans la déclinaison de la cartographie des risques car elles ont à leur charge des obligations qui apparaissent tout de même extrêmement substantielles et lourdes » et dans « un régime de sanctions prévisible et juridiquement solide ». Et ensuite, « il va falloir porter tout cela devant le Parlement, dont on sait qu’il va être en attente très forte d’un point de vue politique ».
Pour ce qui est de la réforme du reporting de durabilité, la transposition de la directive CSRD a été préparée par la Chancellerie et la Direction du Trésor du ministère de l’Économie et des finances. « Nous avons dû travailler sur cette réforme en un temps record puisque nous avions neuf mois d’habilitation pour le faire, ce qui était objectivement très court. Je pense que nous avons abouti à une réforme de qualité. Nous avons consulté dans un temps très contraint et je remercie l’ensemble des acteurs économiques pour leur mobilisation. Cette réforme, qui est un symbole très fort de l’incursion de la RSE dans le droit des sociétés, va avoir un impact considérable sur la vie des entreprises. »
D’autres projets plus ou moins avancés vont avoir un impact sur le droit des sociétés. C’est le cas des Assises de la simplification, lancées par le ministre de l’Économie et des finances, Bruno Lemaire, qui vont « sans doute donner lieu à un projet de loi dans des conditions tendues en termes de calendrier ». C’est aussi le cas du projet de loi sur l’attractivité financière de la France, récemment annoncé par le ministre et qui devrait être présenté au Parlement au printemps prochain.
Pour l’heure, « nous ne savons pas encore si les deux vont être fusionnés ou vont cheminer en parallèle ».
© Lefebvre Dalloz