L’animal de compagnie, un bagage au sens du droit aérien

Au regard du régime de responsabilité qui pèse sur le transporteur aérien en application de la Convention de Montréal du 28 mai 1999 sur le transport aérien international, les animaux de compagnie ne sont pas exclus de la notion de « bagages ».

Beaucoup de personnes ne sauraient imaginer voyager sans leur animal de compagnie. Évidemment, surtout si le propriétaire de l’animal entend prendre l’avion, l’opération n’est pas dénuée de risque. Cela, une passagère qui voyageait avec sa mère et son animal de compagnie (une chienne) dans un vol reliant Buenos Aires (Argentine) à Barcelone (Espagne) l’a appris à ses dépens.

Perte d’un animal de compagnie : quel régime de responsabilité ?

En raison de sa taille et de son poids, cette chienne devait voyager en soute, dans une caisse de transport ou dans un conteneur spécial normalisé. La passagère a enregistré la caisse de transport dans laquelle se trouvait la chienne afin qu’elle soit conduite dans la soute de l’avion, sans faire de déclaration spéciale d’intérêt à la livraison au moment de la remise des bagages enregistrés.

La déclaration spéciale d’intérêt à la livraison est une formalité accomplie par le passager soit avant le voyage, soit au moment de la remise des bagages au transporteur, qui a pour effet, pour tout bagage enregistré dont la valeur est supérieure aux limites de responsabilité prévues par la réglementation – en l’occurrence la Convention de Montréal du 28 mai 1999 pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international –, en cas de destruction, perte, détérioration ou retard, de substituer le montant de sa déclaration au plafond de l’indemnité normalement applicable.

Or, la chienne s’est échappée pendant qu’elle était transportée vers l’avion, vraisemblablement sur la piste, et n’a pu être récupérée. Pour dire les choses autrement, elle a été définitivement perdue. La passagère a alors introduit un recours devant le Tribunal de commerce de Madrid contre la compagnie aérienne, Iberia, visant à obtenir la réparation de son préjudice moral qu’elle évalue à un montant de 5 000 €. Iberia a, certes, reconnu sa responsabilité et le droit de la passagère à être indemnisée, mais ce, dans la limite prévue à l’article 22, § 2, de la Convention de Montréal.

Selon ce texte, « [d]ans le transport de bagages, la responsabilité du transporteur en cas de destruction, perte, avarie ou retard est limitée à la somme de 1 000 droits de tirage spéciaux par passager, sauf déclaration spéciale d’intérêt à la livraison faite par le passager au moment de la remise des bagages enregistrés au transporteur et moyennant le paiement éventuel d’une somme supplémentaire. Dans ce cas, le transporteur sera tenu de payer jusqu’à concurrence de la somme déclarée, à moins qu’il prouve qu’elle est supérieure à l’intérêt réel du passager à la livraison ». Ce plafond de réparation, initialement fixé à 1 000 droits de tirages spéciaux (DTS), est, comme tous les autres plafonds prévus par la Convention de Montréal, réévalué tous les cinq ans en fonction de l’inflation (Conv. de Montréal, art. 24) ; il s’élève ainsi, depuis le 28 décembre 2024, à 1 519 DTS, soit environ 1 870 €.

Appliquer le plafond de réparation de l’article 22, § 2, de la Convention de Montréal, à l’hypothèse de la perte d’un animal de compagnie confié à la compagnie aérienne, comme le prétend cette dernière, repose sur un postulat qui ne manquera pas de susciter la controverse : un animal de compagnie est un bagage au sens de l’article 17, § 2, de la même Convention… donc un bien. Le débat est juridique, et même philosophique ! Il devrait, en particulier, susciter la réaction de ceux qui militent en faveur de la personnification de l’animal (v. not. sur ce débat, J.-P. Marguénaud, La personnalité juridique des animaux, D. 1998. Chron. 205 ). Le tribunal de commerce de Madrid n’a pas entendu prendre position dans ce débat et a préféré surseoir à statuer et saisir la Cour de justice par la voie préjudicielle. Sa question est rédigée en ces termes : « L’article 17, § 2, de la [Conv. de Montréal], lu en combinaison avec l’article 22, § 2, de cette convention, doit-il être interprété en ce sens que, aux fins de son application, les animaux de compagnie sont exclus de la notion de “bagages”, enregistrés ou non ? ».

Mais avant d’analyser réponse de la Cour de justice à cette question, on relèvera un point qui n’est ici pas dans le débat. La responsabilité du transporteur aérien est mise en cause, alors que l’animal, lorsqu’il s’est échappé, se trouvait encore sur la terme ferme. Cela est parfaitement cohérent. Il faut avoir à l’esprit qu’il existe une « phase terrestre » du transport aérien. En matière de transport aérien de marchandises, cette phase commence dès lors que le transporteur s’est vu confier la marchandise et que cette dernière se trouve sous la garde du transporteur, et c’est à partir de ce moment-là que la responsabilité du transporteur en cas de destruction, perte ou avarie de la marchandise (Conv. de Montréal, art. 18, § 3 – pour une illustration, Com. 8 févr. 2023, n° 21-17.932, Dalloz actualité, 13 mars 2023, obs. X. Delpech ; D. 2023. 868 , note L. Siguoirt ; ibid. 2018, obs. H. Kenfack ). En matière de bagages enregistrés, la Convention de Montréal retient également le critère de la garde comme fondement de la responsabilité du transporteur aérien (Conv. de Montréal, art. 17, § 2 ; en matière de bagages non enregistrés, en revanche, il s’agit d’une responsabilité fondée sur la faute, sans davantage de précisions).

La réponse de la Cour

La question étant posée par la juridiction de renvoi, quelle est à présent la réponse de la Cour de justice quant à la qualification de l’animal de compagnie au regard des catégories juridiques prévues par la Convention de Montréal ? Or, comme le relève la Cour, cette Convention « énumère, de manière limitative, trois catégories de transport international effectué par aéronef contre rémunération, à savoir le transport international de personnes, de bagages et de marchandises » (pt 30). Trois catégories seulement. La démarche de qualification à laquelle le juge est confronté ne devrait donc pas être insurmontable. Elle ne l’est pas tant que cela, en réalité. On en veut pour preuve l’hésitation en présence d’un transport d’une … dépouille mortelle. Il est assimilé au transport, non pas d’une personne, mais, selon le cas, à celui d’un bagage enregistré en soute ou d’une marchandise (Rép. min. n° 10951 du 19 nov. 2009, JO Sénat 20 mai 2010 ; Paris, 4 juill. 2012, n° 10/05339 ; Grenoble, 7 juill. 2020, n° 18/02970). Mettant en œuvre la méthode habituelle d’interprétation des dispositions du droit de l’Union européenne, la Cour s’attache successivement à ses termes mêmes, dans leur sens ordinaire, à son contexte ainsi qu’aux objectifs poursuivis.

La Cour relève, tout d’abord, que, dans son sens ordinaire, le terme « bagages » « se réfère, de manière générale, à tout objet qu’une personne emporte pour un voyage. Si cet objet peut se présenter sous la forme d’un contenant, tel qu’un sac, une valise ou une boîte, pouvant enfermer des effets personnels, tel n’est pas nécessairement le cas. Une poussette peut ainsi constituer un bagage » (pt 28). Elle ajoute que bien que ce sens ordinaire du terme « bagages » « renvoie à des objets, il ne permet pas, à lui seul, de conclure que les animaux de compagnie ne relèvent pas de cette notion » (pt 30). La qualification de « bagages » n’est donc pas exclue d’emblée pour un animal de compagnie transporté.

S’agissant, ensuite, du contexte dans lequel est mentionné le terme « bagages », il y a lieu d’écarter une interprétation selon laquelle un animal de compagnie relève de la notion de « passagers », dès lors que « la notion de "personnes" recouvre celle de "passagers", de telle sorte qu’un animal de compagnie ne saurait être assimilé à un « passager » (pt 32). Pour la Cour, un animal n’est donc pas une personne ! À tout le moins, comme le révèlent les travaux préparatoires ayant conduit à l’adoption de la Convention de Montréal, à laquelle se réfère la Cour, les États n’ont pas entendu « assimiler un animal de compagnie à un passager ou soumettre un tel animal au régime de responsabilité applicable aux passagers » (pt 33). Dès lors, Dès lors, il y a lieu de considérer que, aux fins d’une opération de transport aérien, un animal de compagnie relève bien de la notion de « bagages », de telle sorte que « l’indemnisation du dommage issu de la perte de celui-ci, à l’occasion d’une telle opération, est soumise au régime de responsabilité prévu pour ces derniers » (pt 34).

Cette interprétation, poursuit la Cour, est conforme aux objectifs poursuivis par la Convention de Montréal, à savoir, conformément au Préambule de celle-ci (5e al.), préserver un « équilibre équitable des intérêts » des transporteurs aériens et des passagers (pt 36). Cet équilibre est préservé, dans le cadre du régime de responsabilité du transporteur pour perte ou dommage au bagage prévu par la Convention, par l’institution d’une limitation de l’indemnisation, « qui permet aux passagers d’être indemnisés, facilement et rapidement, sans pour autant que soit imposée aux transporteurs aériens une charge de réparation très lourde » (pt 38). Or, cette limitation est contrebalancée par la possibilité, « dans l’hypothèse où un passager estime que la limite de responsabilité du transporteur aérien pour le préjudice résultant de la perte de bagages est trop basse […], de la faculté de fixer, par [une] déclaration spéciale d’intérêt à la livraison et moyennant le paiement éventuel d’une somme supplémentaire, cette limite à un montant plus important, sous réserve de l’accord du transporteur aérien » (pt 42).

Enfin, pour la Cour, le fait que la protection du bien-être des animaux constitue un objectif d’intérêt général reconnu par l’Union n’empêche pas que ceux-ci puissent être transportés en tant que « bagages » et soient considérés comme tels aux fins de la responsabilité dérivée de leur perte, à condition que leurs exigences de bien-être soient pleinement prises en compte lors de leur transport (pt 45).

Ce dont il ressort que « les animaux de compagnie ne sont pas exclus de la notion de "bagages" au sens de [la Conv. de Montréal] ».

Bagage ou marchandise ?

Est-ce à dire que les animaux de compagnie sont nécessairement des bagages ? La réponse semble positive. Il est certain que ce ne sont en aucun cas des personnes, précise la Cour (v. supra). Mais ne pourraient-ils pas être des marchandises ? Dès lors que l’arrêt vise non pas tout animal, mais spécifiquement un animal de compagnie, la réponse est assurément négative. En effet, ce type d’animal est bel et bien un bagage, en ce que c’est un objet emporté par un voyageur – qui plus est son maître – qu’il conserve près de lui ou confie à un transporteur (v. en ce sens, citant le Vocabulaire juridique Capitant, D. Gency-Tandonnet, Pertes, avaries et retard de bagages : quel régime de responsabilité ?, JT 2025, n° 289, p. 23 ). La qualification de bagage ne dépend pas de la nature du bien transporté, mais du fait qu’il a un lien très étroit avec un voyageur et que son transport est indissociable du transport de ce voyageur (même si le bagage n’est pas systématiquement acheminé au cours du même voyage que celui du passager).

En revanche, un animal qui ne serait pas « de compagnie », ce qui est le cas, par exemple, d’un animal destiné à l’alimentation humaine ou à être acheminé dans un parc zoologique, peut évidemment être transporté, y compris par voie aérienne. Mais étant alors l’objet – autonome – du transport, il se rattache alors assurément au transport de marchandises. Son transport n’est, en effet, pas lié à celui d’une personne.

 

CJUE 16 oct. 2025, aff. C-218/24

par Xavier Delpech, Rédacteur en chef de la Revue trimestrielle de droit commercial

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