L’appellation de « steak végétal » devant la Cour de justice

Dans un arrêt du 4 octobre 2024, Protéines France e.a., la Cour de justice de l’Union européenne vient préciser qu’un État membre ne peut pas interdire l’utilisation de termes traditionnellement associés aux produits d’origine animale pour désigner un produit contenant des protéines végétales à défaut d’adopter une dénomination légale.

L’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne le 4 octobre 2024 Protéines France e.a. dans l’affaire C-438/23 n’aura pas échappé à la presse généraliste. Il vient régler, en effet, une question fortement médiatisée sur l’appellation des produits contenant des protéines végétales (par ex., le fameux « steak végétal »). La solution s’accompagne d’un communiqué de presse disponible sur le site de la Cour résumant les principaux enseignements d’une décision longue de plus de 100 paragraphes. 

Reprenons la trame chronologique des faits ayant provoqué le renvoi préjudiciel. L’article L. 412-10 du code de la consommation issu de la loi n° 2020-699 du 10 juin 2020 dispose que « les dénominations utilisées pour désigner des denrées alimentaires d’origine animale ne peuvent être utilisées pour décrire, commercialiser ou promouvoir des denrées alimentaires comportant des protéines végétales. Un décret fixe la part de protéines végétales au-delà de laquelle cette dénomination n’est pas possible. Ce décret définit également les modalités d’application du présent article et les sanctions encourues en cas de manquement » (nous soulignons).

Le décret n° 2022-947 du 29 juin 2022 est venu ainsi préciser les modalités pratiques de l’interdiction érigée dans le code de la consommation. Le but du dispositif était d’assurer une certaine transparence des informations concernant les denrées alimentaires commercialisées (v. sur la dimension préventive de l’obligation de conformité, J.-D. Pellier, Droit de la consommation, 4e éd., Dalloz, coll. « Cours », 2024, p. 308, n° 214).

C’est dans un contexte tendu entre les autorités françaises et les différents acteurs économiques intéressés que le Conseil d’État a été saisi le 18 juillet 2022 dans le cadre d’un recours en annulation du décret n° 2022-947 présenté par la société Protéines France. Cette dernière « représente les intérêts des entreprises actives sur le marché français des protéines végétales » (pt n° 32 de la décision étudiée). Une ordonnance de référé du 27 juillet 2022 du Conseil d’État a pu, par ailleurs, suspendre le décret n° 2022-947 au moins partiellement (à savoir pour l’art. 2, §§ 3 et 4). Plusieurs autres sociétés ont, à leur tour, saisi le Conseil d’État, quelques mois plus tard en annulation du même décret. Les affaires ont été logiquement jointes.

Le Conseil d’État observe que les sociétés requérantes utilisent au soutien de leurs demandes respectives d’annulation le règlement (UE) n° 1169/2011 du 25 octobre 2011 concernant l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires. La juridiction estime qu’en l’état d’une difficulté sérieuse d’interprétation découlant du règlement concerné, elle ne peut que surseoir à statuer et renvoyer à la Cour de justice de l’Union plusieurs questions préjudicielles.

À titre préliminaire, notons que la Cour de justice s’est interrogée sur la persistance de l’objet du litige puisque le décret de 2022 a été abrogé par un nouveau texte en 2024. Le décret n° 2024-144 du 26 février 2024 maintient, toutefois, les interdictions du texte de 2022. Le Conseil d’État a été interrogé, dans ce contexte, par le président de la Cour le 1er mars 2024. La juridiction de renvoi répond que les questions restent déterminantes dans la mesure où plusieurs dispositions du texte ont pu être appliquées avant l’abrogation du décret de 2022. Comme on peut légitimement s’en douter, les sociétés requérantes ont pour projet de contester le décret de 2024, argument utilisé par le Conseil d’État pour maintenir sa demande de renvoi préjudiciel sur le recours en annulation du décret de 2022. C’est la raison pour laquelle la Cour de justice estime fort raisonnablement que les questions disposent toujours de leur objet. La demande n’est, en effet, pas seulement hypothétique en raison de l’application des dispositions avant l’abrogation du texte, la suspension en référé n’étant que partielle comme nous l’avons précisé. Mais surtout, le décret n° 2024-144 a lui-même été suspendu par une ordonnance de référé du Conseil d’État en date du 10 avril 2024. L’abrogation du décret de 2022 n’est donc, pour l’heure, pas acquise.

Voici les intitulés exacts des questions renvoyées à la Cour de justice de l’Union européenne :

« 1) Les dispositions de l’article 7 du règlement n° 1169/2011, qui prescrivent la délivrance aux consommateurs d’informations ne les induisant pas en erreur sur l’identité, la nature et les qualités des denrées alimentaires, doivent-elles être interprétées en ce sens qu’elles harmonisent expressément, au sens et pour l’application du paragraphe 1 de l’article 38 de ce même règlement, la question de l’utilisation de dénominations de produits d’origine animale issues des secteurs de la boucherie, de la charcuterie et de la poissonnerie pour décrire, commercialiser ou promouvoir des denrées alimentaires contenant des protéines végétales, susceptibles d’induire le consommateur en erreur, faisant ainsi obstacle à ce qu’un État membre intervienne sur cette question par l’édiction de mesures nationales réglementant ou interdisant l’usage de telles dénominations ?

2) Les dispositions de l’article 17 du règlement [UE] n° 1169/2011, qui prévoient que la dénomination par laquelle la denrée alimentaire est identifiée est, en l’absence de dénomination légale, son nom usuel ou un nom descriptif, combinées aux dispositions [de son annexe VI, partie A, point 4], doivent-elles être interprétées en ce sens qu’elles harmonisent expressément, au sens et pour l’application du paragraphe 1 de l’article 38 de ce même règlement, la question du contenu et de l’utilisation de dénominations, autres que des dénominations légales, désignant des denrées alimentaires d’origine animale pour décrire, commercialiser ou promouvoir des denrées alimentaires contenant des protéines végétales, y compris dans l’hypothèse d’une substitution totale d’ingrédients d’origine végétale à la totalité des ingrédients d’origine animale composant une denrée, faisant ainsi obstacle à ce qu’un État membre intervienne sur cette question par l’édiction de mesures nationales réglementant ou interdisant l’usage de telles dénominations ?

3) En cas de réponse positive à la première ou à la deuxième question, l’harmonisation expresse à laquelle procèdent, au sens et pour l’application du paragraphe 1 de l’article 38 du règlement [UE] n° 1169/2011, les dispositions des articles 7 et 17 de ce même règlement, combinées aux dispositions [de son annexe VI, partie A, point 4], fait-elle obstacle :
a) à ce qu’un État membre édicte une mesure nationale prévoyant d’infliger des sanctions administratives en cas de manquement aux prescriptions et interdictions résultant des dispositions de ce règlement ?
b) à ce qu’un État membre édicte une mesure nationale déterminant des taux de protéines végétales en deçà desquels l’utilisation de dénominations, autres que des dénominations légales, désignant des denrées alimentaires d’origine animale pour décrire, commercialiser ou promouvoir des denrées alimentaires contenant des protéines végétales, resterait autorisée ?

4) En cas de réponse négative à la première et à la deuxième question[s], les dispositions des articles 9 et 17 du règlement [UE] n° 1169/2011 autorisent-elles un État membre :
a) à édicter une mesure nationale déterminant des taux de protéines végétales en deçà desquels l’utilisation de dénominations, autres que des dénominations légales, désignant des denrées alimentaires d’origine animale est permise pour décrire, commercialiser ou promouvoir des denrées alimentaires contenant des protéines végétales [;]
b) à édicter une mesure nationale interdisant l’usage de certaines dénominations usuelles ou descriptives, y compris lorsqu’elles sont accompagnées d’indications complémentaires garantissant l’information loyale du consommateur [;]
c) à édicter les mesures visées au [points a) et b) de la quatrième question], uniquement à l’égard des produits fabriqués sur son territoire, sans, dans ce cas, méconnaître le principe de proportionnalité de ces mesures ? »

Étudions maintenant les réponses données dans l’arrêt du 4 octobre 2024.

Dénomination légale, nom usuel et nom descriptif

L’arrêt étudié décide de répondre en même temps aux deux premières questions préjudicielles. Le problème fondamental sous-tendu par celles-ci repose sur l’harmonisation opérée par le règlement (UE) n° 1169/2011. Or, il existe un débat d’interprétation sur ce point car aucun texte ne vient très clairement préciser les « questions expressément harmonisées » par le règlement (pt n° 51). Le centre névralgique du débat se situe évidemment autour de la thématique plus générale des informations pouvant, par leur formulation, induire en erreur le consommateur. Quand le consommateur achète un « steak végétal », pense-t-il qu’il va manger un produit avec une certaine part de viande alors que les produits en question n’en comportent pas par définition ? 

La Cour de justice propose une lecture combinée des articles 7, 9 et 17 du règlement (UE) n° 1169/2011 ainsi que de son annexe VI partie A en proposant cinq règles de base qui peuvent être résumées en trois (pt n° 62) :

  • les denrées alimentaires portent nécessairement une dénomination légale ou, à défaut, indiquent un nom usuel ou un nom descriptif. Cette dénomination doit être « précise, claire et aisément compréhensible » pour le consommateur ;
  • le consommateur ne doit pas être induit en erreur par la dénomination choisie. Or, les ingrédients font nécessairement partie des facteurs à prendre en compte ;
  • les exigences ci-dessus s’appliquent tant pour la commercialisation du produit que pour la promotion de celui-ci.

La Cour de justice rappelle ainsi que, lorsqu’un produit ne comporte pas de « parties comestibles d’animaux », une denrée alimentaire ne peut pas être appelée « viande » (par combinaison du règlement (UE) n° 1169/2011 avec l’annexe I du règlement (CE) n° 853/2004). L’accompagnement d’une précision (par ex., le mot « végétal ») est indifférent sur la question. Toute la difficulté du renvoi préjudiciel repose sur l’absence de dispositions en droit de l’Union imposant l’utilisation de dénominations légales précises pour les produits à base de protéines végétales.

Il faut donc opérer un raisonnement en différentes strates : déterminer si la France a choisi une dénomination légale et, à défaut, interpréter les règles sur les noms usuels et descriptifs au sein du règlement.

Sur la dénomination légale

D’après l’ordonnance du 27 juillet 2022 rendue en référé par le Conseil d’État, la France n’a pas fait le choix d’une dénomination légale dans le décret n° 2022-947. L’approche d’une telle absence de dénomination doit toutefois être objective d’après l’arrêt étudié aujourd’hui (pt n° 68 reprenant les concl. de l’avocate générale, pt n° 84). En d’autres termes, la Cour de justice vérifie si une dénomination légale s’infère du décret critiqué devant la juridiction de renvoi en revenant à la définition du terme en question. Pour ce faire, elle doit rappeler qu’une dénomination légale, au sens de l’article 2, § 2, n), du règlement (UE) n°1169/2011 est, tout simplement, l’association d’une expression spécifique pour une denrée élémentaire donnée

Le gouvernement italien faisait valoir, sur cette idée, un argument fort intéressant en insistant sur l’assimilation possible entre une dénomination légale et une interdiction générale de l’utilisation d’une dénomination précise pour certaines denrées alimentaires. Pour ce faire, ce dernier se fonde sur la dénomination du « lait » et des « produits laitiers ». Le raisonnement est toutefois refusé par la Cour de justice. La raison de cette absence d’équivalence est ainsi formulée : « le droit de l’Union ne prévoit pas de règle réservant à certaines denrées alimentaires, spécifiquement définies comme étant d’origine animale, l’utilisation de dénominations légales contenant des termes issus des secteurs de la boucherie, de la charcuterie et de la poissonnerie, visés par le décret n° 2022-947, ou par les termes énumérés à l’annexe I du décret n° 2024-144 » (pt n° 78, nous soulignons). L’argumentation suivie par le gouvernement italien n’avait donc pas de possibilité de prospérer. Celle-ci aurait été, pourtant, très utile pour préserver l’interdiction édictée en France. Il existe, comme l’énonce la Cour de justice, une certaine différence dans la méthodologie de cadrage propre à la dénomination du lait et des produits laitiers dont pourrait toutefois s’inspirer le législateur de l’Union si une adéquation des règles était souhaitée. C’est là que se situe probablement le nerf de la guerre entre les différents acteurs des marchés concernés. Le sujet est, toutefois, explosif compte tenu de ses enjeux économiques.

La Cour en aboutit donc fort logiquement à l’absence de « dénomination légale » au sens du règlement (UE) n° 1169/2011 contenue dans le décret n° 2022-947. Il faut ainsi étudier les noms usuels et les noms descriptifs, seules possibilités de désignation restantes selon ce même texte.

Sur le nom usuel et le nom descriptif

Le même calque est utilisé pour déterminer si ces noms font l’objet d’une harmonisation par le règlement au sens de son article 38, § 1. Sur ce point, le texte adopte lui-même une méthodologie différente dans la mesure où il ne prévoit pas explicitement que les États membres puissent adopter des mesures réglementant les noms usuels ou descriptifs (art. 2, § 2, o) et p), du règl. [UE] n° 1169/2011, a contrario). C’est ici que se trouve le cœur du raisonnement de l’arrêt du 4 octobre 2024 quand la Cour énonce que : « cette différence s’explique par le fait que, au vu des définitions retenues par le législateur de l’Union pour ces noms usuels et descriptifs, la portée de ceux-ci ne peut pas être circonscrite, de manière générale et abstraite, par des autorités nationales » (pt n° 82, nous soulignons). L’explication donnée peut paraître, après une telle recherche sur l’harmonisation de la dénomination légale, très courte. Davantage de pédagogie n’aurait sans doute pas été de refus car la réponse est loin d’être évidente.

La solution donnée au renvoi préjudiciel se dessine, dans cette optique, clairement puisque la Cour de justice empêche purement et simplement les États membres d’interdire l’usage de termes issus des secteurs de la boucherie, de la charcuterie et de la poissonnerie pour décrire, commercialiser et promouvoir des produits qui comportent des protéines végétales au lieu de protéines d’origine animale.  Plusieurs gouvernements ont toutefois émis de très fortes réserves face à cette argumentation par le biais d’observations en estimant que les textes utilisés ne régissent pas la situation dans laquelle la denrée alimentaire devient complètement autre (à savoir quand il n’existe plus aucune protéine animale dans le produit). L’arrêt du 4 octobre 2024 témoigne d’une véritable difficulté méthodologique pour résoudre la question ainsi soulevée. Il existe, en effet, une difficulté latente dans la formulation des textes issus du règlement. La Cour de justice a très certainement eu d’assez fortes difficultés pour dépasser ce doute puisqu’elle doit multiplier les arguments pour maintenir sa position face aux observations écrites des gouvernements.

Pour ce faire, l’arrêt procède par superposition d’arguments de différentes catégories et d’efficacité inégale.

  • La Cour exclut, en premier lieu, l’argumentation littérale en précisant que même si l’article 7, § 1, d), et l’annexe VI, partie A 4), du règlement (UE) n° 1169/2011 ne se réfèrent qu’au remplacement d’un composant ou d’un ingrédient, ces dispositions peuvent s’appliquer si le composant remplacé est le seul du produit. Ici, le raisonnement est axé sur une sorte d’insuffisance de l’argument littéral du moins pour justifier à lui seul l’inapplication du texte. L’efficacité de la démonstration reste assez peu importante eu égard à la formulation des dispositions étudiées.
  • Pour solidifier sa position, l’arrêt en revient donc à la définition du terme « ingrédient » et surtout de l’expression « ingrédient primaire ». La Cour précise qu’aucune exclusion des ingrédients primaires n’est opérée par le règlement. Cette affirmation est logique dans la mesure où l’article 7 adopte une formulation générale.
  • On retrouve, enfin, l’argumentation téléologique habituelle en matière de droit de la consommation sur le degré de protection élevé du consommateur. La Cour de justice en aboutit à un curieux paradoxe ainsi formulé : « or, ce niveau de protection élevé risque d’être compromis si les dispositions relatives au remplacement, dans une denrée alimentaire, d’un composant ou d’un ingrédient par un composant ou un ingrédient différent ne s’appliquent pas lorsque ce remplacement concerne un composant ou un ingrédient qui est particulièrement important au sein d’une denrée alimentaire, voire qui en constitue le seul composant ou ingrédient » (pt n° 91, nous soulignons). Difficile en l’état de suivre très précisément le raisonnement car, outre la difficulté technique de l’affirmation, la position est facile à nuancer. Si la quête de protection du consommateur nécessitait d’appliquer de manière générale le texte, il aurait sans doute fallu le préciser dans le règlement explicitement. Quoi qu’il en soit, l’argument reste parfaitement recevable et l’on peut toujours estimer que là où le texte ne distingue pas, il ne convient pas de distinguer.

En résulterait ainsi une sorte de présomption réfragable des informations fournies au consommateur permettant de protéger suffisamment celui-ci « y compris en cas de remplacement total du seul composant ou ingrédient que ceux-ci peuvent s’attendre à trouver dans une denrée alimentaire désignée par un nom usuel ou un nom descriptif contenant certains termes » (pt n° 94). Tout ceci traduit très certainement l’inadaptation croissante des outils en place en droit de l’Union (ici, le règl. [UE] n° 1169/2011) à une situation cristallisant des intérêts antagonistes entre les différents acteurs du secteur de l’alimentation. Le « steak végétal » pourrait poursuivre pleinement ce niveau d’exigence, par exemple, si l’on se fie à cette présomption réfragable faute de dénomination légale en droit français. Le droit de l’Union devra, peut-être, toutefois élaborer une modification du règlement pour cristalliser ce point précis qui ne s’en infère pas directement ou, au contraire, pour adopter une autre solution. Les intérêts contraires en présence l’exigeront probablement à un moment ou à un autre. 

Si la présomption est seulement réfragable, c’est qu’elle peut être logiquement renversée. D’où une évidente transition avec les sanctions que peuvent prévoir les États membres si le consommateur est induit en erreur.

Sur le volet des sanctions

Il ne reste plus à la Cour de justice qu’à répondre à la troisième question concernant les sanctions administratives qui se trouvaient dans les articles 6 et 7 du décret n° 2022-947. Les développements sont ici beaucoup plus courts. Il faut dire que le chemin est plus balisé dans la mesure où l’article 17 du règlement (CE) n° 178/2002 vient rappeler que les États membres fixent des sanctions « effectives, proportionnées et dissuasives » (pt n° 98) – triptyque connu du droit de la consommation dans ses différentes branches – en cas de violation des dispositions relatives aux denrées alimentaires. Or, la Cour précise que ces éléments sont transposables au règlement applicable au litige, soit le règlement (UE) n° 1169/2011.

Il est donc possible pour un État membre de prévoir des sanctions administratives en dépit de l’harmonisation expresse poursuivie par le règlement. C’est sur le second volet de la question que la réponse se rigidifie logiquement eu égard aux données étudiées. Un État membre ne peut pas édicter une « mesure nationale déterminant des taux de protéines végétales en deçà desquels resterait autorisée l’utilisation de dénominations, autres que des dénominations légales, constituées de termes issus des secteurs de la boucherie et de la charcuterie pour décrire, commercialiser ou promouvoir des denrées alimentaires contenant des protéines végétales » (pt n° 106, nous soulignons). Il ne s’agit ici que de la conséquence logique des développements précédents : dans le cas contraire, un État membre ne ferait que de dépasser indirectement l’impossibilité de réglementation des noms usuels ou des noms descriptifs que nous venons d’évoquer.

Difficile de ne pas ressentir un certain sentiment d’âpreté à la lecture de l’arrêt du 4 octobre 2024. Technique, voire complexe, la réponse donnée suscitera des réactions nuancées. La France devra se mettre en conformité avec les solutions dessinées empêchant de manière générale un État membre d’interdire l’utilisation de termes traditionnellement associés aux produits d’origine animale pour désigner un produit contenant des protéines végétales. Quant au Conseil d’État, celui-ci dispose de réponses assez nettes pour pouvoir poursuivre l’examen du recours en annulation du décret n° 2022-947. La réponse ne semble pas très difficile à prévoir compte tenu du degré d’exigence de la Cour de justice. Reste à savoir ce que décideront les autorités entre abandon pure et simple de cette quête de transparence ou choix d’une dénomination légale qui n’existe, pour l’heure, tout simplement pas.

 

CJUE 4 oct. 2024, aff. C-438/23