L’application transfrontalière du principe ne bis in idem

Le « Dieselgate » fait encore parler de lui. Il offre une belle occasion à la Cour de justice de l’Union européenne de préciser son raisonnement relatif au principe ne bis in idem et à son application dans un cadre transfrontalier. Peut-on poursuivre, et sanctionner, l’entreprise Volkswagen dans deux pays européens pour des faits similaires ? Explications à partir d’un arrêt très pédagogique.

Le point de départ de la procédure se situe en Italie où l’autorité de la concurrence décida d’infliger une amende administrative à l’entreprise Volkswagen pour avoir vendu des véhicules équipés d’un logiciel illégal, permettant de fausser la mesure des niveaux d’émission d’oxyde d’azote. Une telle pratique relevait, selon l’autorité administrative, d’une concurrence déloyale interdite par le droit de l’Union et par le droit interne.

L’entreprise contesta la sanction devant les juridictions administratives. En parallèle, le parquet allemand lui infligea une amende pour manquement au devoir de surveillance dans les activités de l’entreprise à propos du développement et de l’installation du logiciel contesté dans les véhicules. Volkswagen accepta la sanction allemande qui devint définitive le 13 juin 2018. Devant le Conseil d’État italien où la procédure était encore pendante, l’entreprise invoqua alors le principe ne bis in idem garanti à l’article 50 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ce qui conduisit à un renvoi préjudiciel en interprétation du droit de l’Union.

La qualification de la sanction

Avant toute chose, il importe de déterminer si la situation décrite relevait du champ d’application du principe ne bis in idem lequel ne concerne que les sanctions pénales. En somme, il s’agissait d’apprécier si les deux sanctions infligées à l’entreprise – celle allemande et celle italienne – étaient toutes deux de nature pénale au sens européen du terme.

La CJUE rappelle, dans cet arrêt, les trois critères pris en considération pour déterminer si une sanction peut être considérée comme pénale au sens de l’article 50 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne : la qualification de l’infraction en droit interne, la nature de l’infraction et la sévérité de la sanction. Ainsi, une sanction peut être de nature pénale au sens européen même si elle est qualifiée d’administrative par le droit national.

En l’espèce, il apparaît que la sanction italienne, bien qu’administrative dans les termes, revêt un caractère pénal car « elle poursuit une finalité répressive et présente un degré de sévérité élevé ». La situation décrite par le juge de renvoi concernait donc bien deux sanctions pénales au sens européen conduisant à l’application du principe ne bis in idem.

Le bis et l’idem

La CJUE confirme que le principe invoqué s’applique à une personne morale aussi bien que physique. En l’espèce, si l’existence d’une décision définitive antérieure ne soulève pas trop d’interrogations (bis), le second aspect de l’équation (idem) demande plus de développements. À la juridiction de renvoi qui expliquait que les faits en cause étaient « similaires » ou « analogues », la CJUE répond que, pour pouvoir appliquer le principe ne bis in idem, il faut que les faits soient « identiques ». L’appréciation relève de la compétence du juge national ; la CJUE se montre toutefois ferme sur les termes de l’analyse à mener. Ainsi, il ne suffit pas de rapprocher les situations en cause ; encore faut-il les identifier. Si tel est le cas, une atteinte au principe ne bis in idem se dessine. Peut-on la justifier ?

La restriction possible au principe

Ce dernier point est l’élément principal de l’arrêt. La CJUE précise le raisonnement à suivre pour déterminer s’il est possible de restreindre l’application du principe ne bis in idem et, donc, d’autoriser, exceptionnellement, le cumul des sanctions pénales pour des faits identiques. Ce principe n’est pas un droit absolu et l’article 52, § 1, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui autorise la restriction aux droits fondamentaux, trouve à s’appliquer.

À ce titre, les juges de Luxembourg indiquent que la poursuite d’objectifs distincts à travers les sanctions infligés peut justifier leur cumul. Ainsi, en l’espèce, le fait que la législation italienne soit axée sur la protection du consommateur ales alors que le droit allemand se fonde sur l’exigence pour les entreprises et les salariés de respecter la loi permet de les rendre complémentaires. Encore faut-il respecter le principe de proportionnalité.

La CJUE introduit alors des critères spécifiques pour considérer un cumul de sanctions comme justifié : il ne doit pas représenter « une charge excessive pour la personne en cause », il doit exister « des règles claires et précises permettant de prévoir quels actes ou omissions sont susceptibles de faire l’objet d’un cumul » et, enfin, les procédures en cause doivent avoir été menées « de manière suffisamment coordonnée et rapprochée dans le temps ».

Concernant le premier aspect, la CJUE relève que le montant de l’amende italienne correspondrait à 5 % du montant de l’amende allemande, ce qui permet de douter de son caractère excessif. Ensuite, il revient au juge national de déterminer si le droit interne est suffisamment précis et clair ; en tout état de cause, les juges européens précisent qu’en l’espèce, l’entreprise aurait pu se douter que son comportement pourrait conduire à des procédures dans « au moins deux États membres ». Ainsi, sur ce point, face à un texte clair, la charge de la preuve semble peser davantage sur la personne qui invoque le principe ne bis in idem.

Quant à la coordination des procédures, la CJUE semble regretter l’absence d’implication d’Eurojust même si elle concède que la coordination « peut s’avérer plus difficile lorsque les autorités en cause relèvent, comme en l’occurrence, d’États membres différents ». L’exigence reste cependant posée.

 

© Lefebvre Dalloz