Large appréciation de l’intérêt à agir de l’appelant d’une ordonnance d’aliénation d’un bien

La recevabilité de l’appel formé contre une ordonnance du juge d’instruction de remise à l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués d’un bien saisi en vue de son aliénation (AGRASC) est subordonnée à la seule démonstration d’un intérêt à agir. L’appel formé par le mis en examen qui se voit mettre à disposition un véhicule appartenant à la société dont il est le gérant et associé unique contre l’ordonnance aliénant ce bien est recevable, l’intérêt à agir tenant précisément à cette mise à disposition.

Aliénation d’un véhicule appartenant à la société gérée par le mis en examen

Dans le cadre d’une information ouverte des chefs d’escroqueries aggravées et tentatives, association de malfaiteurs et blanchiment aggravé, un véhicule est saisi au cours d’une perquisition réalisée chez celui qui sera mis en examen. Ce véhicule appartient à la société dont le mis en examen est gérant et associé unique.

Le véhicule étant de ces biens dont la dépréciation peut être rapide et importante, le juge d’instruction choisit de le remettre à l’AGRASC pour aliénation en mars 2022. Le mis en examen interjette appel de cette ordonnance. Cet appel présente la particularité d’être suspensif, en vertu de l’alinéa 5 de l’article 99 du code de procédure pénale auquel renvoie l’alinéa 4 de l’article 99-2.

Irrecevabilité de l’appel du mis en examen selon la chambre de l’instruction

La chambre de l’instruction ne statue sur cet appel qu’en juin 2023. On peut remarquer ici que l’absence de délai d’examen contraignant s’agissant des décisions prises en application de l’article 99-2 du code de procédure pénale paraît totalement contraire à l’objectif visé par la loi, à savoir éviter la dépréciation des biens saisis.

À cette date, la chambre de l’instruction prononce – sans avoir ouvert de débat sur ce point – l’irrecevabilité de l’action du mis en examen, en considérant que la société est l’unique propriétaire du véhicule et que ce dernier n’allègue pas la qualité actuelle de représentant légal, d’associé ou de salarié de ladite société lui donnant un droit d’usage du véhicule, ni une quelconque atteinte à ses intérêts personnels. Elle écarte donc tant la qualité que l’intérêt pour agir. Le mis en examen forme un pourvoi, et provoque une double cassation de l’arrêt de la part de la Haute juridiction.

Cassation de l’arrêt pour non-respect du contradictoire et conception trop stricte de l’intérêt à agir

D’une part, au visa des articles 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme, préliminaire et 99-2 du code de procédure pénale, la Cour de cassation pose en principe que « la chambre de l’instruction, saisie de l’appel d’une ordonnance de remise de bien à l’AGRASC en vue de son aliénation, ne peut relever d’office l’irrecevabilité de l’appel pour défaut de qualité à agir sans avoir invité au préalable les parties à présenter leurs observations ». C’est une règle découlant du contradictoire qu’elle a déjà eu l’occasion d’énoncer plusieurs fois, notamment en matière de saisies (irrecevabilité fondée sur le défaut de qualité de tiers ayant des droits sur le bien, Crim. 10 mars 2021, n° 20-83.604).

D’autre part, la Cour de cassation rappelle que l’aliénation peut intervenir sous réserve des droits des tiers, et que l’ordonnance de remise à l’AGRASC est notifiée au ministère public et, s’ils sont connus, aux propriétaires ainsi qu’aux tiers ayant des droits sur le bien. Et, par référence à un précédent arrêt, que par « partie intéressée », il faut entendre toute personne ayant un intérêt à s’opposer à une telle décision (Crim. 15 sept. 2021, n° 20-84.674, Dalloz actualité, 14 oct. 2021, obs. C. Fonteix ; D. 2021. 1675  ; AJ pénal 2021. 547, obs. M. Hy ).

La chambre criminelle relève qu’en l’espèce l’exposant « faisait valoir un intérêt à agir tenant à la mise à sa disposition du véhicule par la société qui en est propriétaire de nature à le qualifier de partie intéressée à la décision », et estime que la chambre de l’instruction « a ajouté à la loi une condition de recevabilité de l’appel contre la décision du juge d’instruction de remise à l’AGRASC du bien saisi qu’elle ne contient pas, relative à la subordination de la recevabilité de l’appel à l’existence d’une qualité à agir du demandeur ». La chambre criminelle constate elle-même clairement la recevabilité de l’appel du mis en examen, constat qui ne laisse en principe aucune marge d’appréciation à la chambre appelée à re-statuer : cette juridiction devra apprécier, au fond, les mérites du recours formé par le mis en examen.

 

Crim. 7 févr. 2024, F-B, n° 23-84.307

© Lefebvre Dalloz