L’arrêt strip tease ou comment le déshabillage du prix dévoile une remise illicite
Dans un arrêt du 24 avril 2024, la Cour d’appel de Paris considère que le fait de désigner des remises comme un « habillage » du prix ne révèle pas en soit un avantage dépourvu de contrepartie, mais elle semble en constituer un indice.
 
                            Les partenaires commerciaux sont rarement à l’initiative d’une remise en cause des termes de la négociation commerciale pendant leur relation, mais la fin de celle-ci est souvent l’occasion pour la partie qui a concédé des remises d’essayer d’en obtenir la restitution en les considérant indues. C’est exactement le cas de figure qui se présentait dans cette espèce. Un vendeur de produits d’hygiène et d’entretien à usage professionnel sollicitait le remboursement des remises de fin d’année qu’il avait payées au cours des années précédant la rupture en faisant valoir qu’elles constituaient des avantages sans contrepartie au sens de l’article L. 442-6, I, 1° du code de commerce (devenu art. L. 442-1 I, 1°). Les « remises » correspondaient en réalité à des services présentés sous des vocables elliptiques pseudo-commerciaux : « formation », « stratégie », « MEA », « trade », « animation ». Or, la cour constate qu’aucun document échangé entre les parties ne permet d’identifier la nature exacte des prétendus services pour pouvoir vérifier la réalité de la contrepartie rémunérée. Jusque-là, rien que de très classique et à dire vrai l’hypothèse concernait le cas de figure typique des services fictifs visé par le texte.
En revanche, il est plus rare que les pièces produites aux débats révèlent des échanges entre les parties aux termes desquels les discussions sur les tarifs évoquaient de façon récurrente un « habillage du prix ». Le demandeur faisait alors valoir que cette sémantique révélait de façon péremptoire le caractère illicite des remises ne correspondant à aucun service réel. Il soulignait que la DGCCRF a elle-même utilisé ce terme dans une note d’information (n° 2014-185) pour qualifier la dissimulation de services fictifs.
La cour devait donc déterminer si l’acheteur s’était lui-même définitivement piégé par l’emploi naïf et malheureux d’un terme assez courant pour décrire la fixation du prix dans la descente tarifaire des remises et des services. Finalement, la juridiction retient que le fait d’utiliser le terme « habillage » n’équivaut pas en lui-même à une remise illicite constituant un avantage sans contrepartie. Elle admet donc de devoir dépasser l’apparence d’une mise en scène (comme le relève, J.-M. Vertut, in Lettre de la Distribution, juin 2024, p. 7) pour rechercher la réalité des remises. Mais, pour constater qu’elle ne peut identifier aucune prestation spécifique distincte de l’opération de vente, elle ne manque pas d’observer que les remises litigieuses aboutissaient invariablement au même taux. Autrement dit, l’emploi du terme « habillage » n’aura pas été totalement accablant, mais il aura pesé comme une forme de présomption. Entre les dénominations de prétendus services que les parties qualifient maladroitement de « remises » sans qu’ils se soient matérialisés, et « l’habillage » destiné à parer le prix d’un ornement, les négociateurs seront avisés de faire correspondre les mots et les choses pour qu’en déshabillant les premiers les secondes n’apparaissent pas trop nues !
Paris, 24 avr. 2024, n° 22/11109
© Lefebvre Dalloz