Larzul 2 fait des émules : après la participation irrégulière d’un non-associé, voici la convocation irrégulière des associés d’une assemblée de SARL !
Il résulte de l’article L. 223-27 du code de commerce que le défaut de convocation régulière de l’associé d’une société à responsabilité limitée (SARL) à l’assemblée générale de cette société n’entraîne la nullité des délibérations de cette assemblée que si cette irrégularité a privé l’associé de son droit d’y prendre part et qu’elle était de nature à influer sur le résultat du processus de décision.
1- C’est la troisième fois, en à peine plus d’un an, que la Cour de cassation conditionne le prononcé d’une nullité de décision sociale au critère de l’influence de l’irrégularité sur le résultat du processus de décision. Critère forgé par la chambre commerciale d’abord avec l’arrêt Larzul 2 (Com. 15 mars 2023, n° 21-18.324 FS-B, Dalloz actualité, 28 mars 2023, obs. J. Delvallée ; D. 2023. 671
, note A. Couret
; ibid. 1922, obs. E. Lamazerolles et A. Rabreau
; Rev. sociétés 2023. 377, note L. Godon
; RTD com. 2023. 381, obs. A. Lecourt
; ibid. 391, obs. J. Moury
; JCP E 2023. 1093, note B. Dondero ; JCP 2023. 658, note A. Reygrobellet ; Dr. sociétés 2023. Comm. n° 72, note J.-F. Hamelin ; BJS mai 2023. 13, note H. Le Nabasque ; RDC 2023, n° 3, p. 48, obs. M. Caffin-Moi), puis repris quelques mois plus tard (Com. 11 oct. 2023, n° 21-24.646 FS-B, Dalloz actualité, 10 nov. 2023, obs. J. Delvallée ; D. 2023. 2024
, note B. Dondero
; RTD com. 2023. 892, obs. A. Lecourt
; BRDA 2023, n° 21, p. 26 ; JCP E 2024. 1143, n° 5, obs. M. Buchberger ; Dr. sociétés 2023, n° 140, note J.-F. Hamelin ; RJDA 2024, n° 37 ; Gaz. Pal. 27 févr. 2024, p. 48, obs. D. Gallois-Cochet ; LPA 29 févr. 2024, note S. Farges).
2- Indiquons tout de suite cependant, que ce n’est pas uniquement pour cette raison que la solution rendue le 29 mai 2024 est de principe. Statuant à propos de la convocation irrégulière d’une assemblée générale de SARL, la chambre commerciale de la Cour de cassation pose en effet deux conditions cumulatives au prononcé de la nullité (v. aussi, B. Dondero, Assemblées d’associés : la nullité facultative encadrée par un test !, Lexbase Affaires, 20 juin 2024, n° 799). Concrètement, avant même d’avoir à apprécier l’incidence d’une convocation irrégulière sur le résultat du processus de décision (premier apport de l’arrêt), la Cour de cassation invite les juges saisis d’une action en nullité à rechercher si l’associé irrégulièrement convoqué a été ou non privé de son droit de prendre part aux débats (second apport de l’arrêt). Et ce n’est que si cette première condition est satisfaite que la nullité est encourue, sous réserve de l’influence que cette absence de participation a pu avoir sur le résultat du processus de décision.
3- À l’origine de cet arrêt de principe, destiné à publication au Bulletin, un conflit ouvert depuis 2015 entre deux blocs d’associés d’une SARL Brigade électronique, chacun, on l’apprend à la lecture de l’arrêt rendu par la Cour d’appel d’Angers (Angers, 25 mai 2021, n° 17/02421), ayant désigné un cogérant.
M. P., désigné par le bloc majoritaire incarné par une société de droit anglais (63 % du capital social et des droits de vote), M. E. désigné par le bloc minoritaire composé d’une SA, d’une SARL et de M. E. (47 % du capital social). Au cours d’une assemblée générale annuelle réunie le 14 octobre 2015, M. P. a été révoqué de ses fonctions de cogérant et une décision de distribution de dividendes a été adoptée. Soutenant qu’elle n’avait pas été régulièrement convoquée, motif pris de la violation de la règle en vertu de laquelle les associés sont convoqués quinze jours au moins avant la réunion de l’assemblée, par lettre recommandée (C. com., art. R. 223-20 pris en application de l’art. L. 223-27), la société de droit anglais a sollicité l’annulation des délibérations et mis en cause la responsabilité de M. E. Pour l’essentiel, la société anglaise, qui rappelait que les décisions ordinaires devaient être prises, conformément aux statuts, à la majorité de 68 % des voix, reprochait la tardivité de sa convocation, pour n’avoir été touchée à son siège social par le recommandé que six jours avant la tenue de l’assemblée.
4- En appel, les conseillers angevins font droit à la demande d’annulation. Selon ces derniers, la seule constatation de la convocation irrégulière de l’associée de SARL ne pouvait que les conduire à prononcer la nullité des décisions prises dans ces conditions, par application de l’article L. 223-27 du code de commerce.
5- L’arrêt est censuré pour manque de base légale. Dans une formule soignée, la Cour de cassation juge qu’il résulte de l’article L. 223-27 du code de commerce « que le défaut de convocation régulière de l’associé d’une SARL à l’assemblée générale de cette société n’entraîne la nullité des délibérations de cette assemblée que si cette irrégularité a privé l’associé de son droit d’y prendre part et qu’elle était de nature à influer sur le résultat du processus de décision ». En substance, il appartenait à la cour d’appel, saisie d’une nullité facultative sur le fondement de l’article L. 223-27, dernier alinéa, de rechercher, d’une part si la convocation tardive avait empêché l’associée majoritaire de prendre part aux débats, d’autre part, si cette impossibilité de participer à l’assemblée de manière effective avait été de nature à influer sur le résultat du processus de décision. C’est par cette seconde condition qu’il convient de démarrer l’analyse.
L’irrégularité de la convocation doit être de nature à influer sur le résultat du processus de décision
6- Vraisemblablement, il va falloir s’acclimater à la formule, qui revient comme une petite musique dans la jurisprudence de la Haute Cour, selon laquelle la nullité des décisions sociales ne peut être prononcée qu’à la condition que l’irrégularité dont se prévaut celui qui agit, ait été de nature à influer sur le résultat du processus de décision. Dégagé de façon remarquée avec l’arrêt Larzul 2 à propos des décisions collectives de SAS prises en violation de clauses statutaires introduites sur le fondement de l’article L. 227-9, donc au cas particulier d’une nullité facultative (Com. 15 mars 2023, préc.), ce critère a été étendu, dès le 11 octobre 2023, et c’est important, à une hypothèse de nullité de droit de création purement prétorienne, sur le fondement de l’article 1844, alinéa 1er du code civil : la participation irrégulière d’un non associé aux délibérations, consécutivement à la nullité de la cession de ses parts l’ayant rétroactivement privé de sa qualité d’associé (Com. 11 oct. 2023, préc.). Il est en effet important d’insister sur l’application de ce critère de l’influence sur le résultat du processus de décision aux hypothèses de nullités facultatives comme de droit, car il s’en infère que, dans la logique suivie par la Cour de cassation, ce critère ne se résume ni ne se confond avec l’appréciation du grief à laquelle les tribunaux en matière de nullité facultative doivent se livrer (v. infra).
7- Rappelons en outre que l’arrêt du 11 octobre 2023 marquait deux ruptures avec la jurisprudence de la troisième chambre civile de la Cour de cassation. Une première, directe, avec un arrêt du 8 juillet 2015, ayant jugé que doivent être annulées les décisions collectives auxquelles ont participé des non-associés, sans exiger, comme le fait désormais la chambre commerciale, que cette participation ait exercé une influence sur la décision adoptée (Civ. 3e, 8 juill. 2015, n° 13-27.248 P, D. 2015. 1537
; Rev. sociétés 2016. 175, note L. Godon
; RTD com. 2015. 533, obs. A. Constantin
; ibid. 2016. 145, obs. M.-H. Monsèrié-Bon
; BJS 2015. 585, note J.-P. Garçon ; Gaz. Pal. 29 sept. 2015, n° 272, obs. B. Dondero ; Dr. sociétés 2015, n° 11, comm. 189, note R. Mortier). Une seconde rupture, plus subtile, avec l’arrêt Angeli du 21 octobre 1998 (Civ. 3e, 21 oct. 1998, n° 96-16.537 P, D. 2000. 232
, obs. J.-C. Hallouin
; RDI 1999. 110, obs. J.-C. Groslière
; RTD com. 1999. 116, obs. C. Champaud et D. Danet
; Defrénois 1999. 618, note J. Honorat ; JCP E 1999, n° 2, p. 85, note Y. Guyon). À rebours de la troisième chambre civile, la chambre commerciale a effectivement choisi de placer le débat de la validité des décisions prises en présence d’un non associé, consécutivement à la nullité d’une cession de parts, non pas sur le terrain de la convocation irrégulière du cédant rétabli dans la plénitude de ses droits d’associé, mais sur celui de la participation irrégulière aux décisions collectives d’un non associé.
8- Avec l’arrêt Brigade électronique du 29 mai 2024, c’est encore à propos d’une SARL et encore, d’une certaine façon, en rupture avec la jurisprudence Angeli, que la chambre commerciale se positionne. Il faut se souvenir qu’à l’occasion de cet arrêt Angeli, la troisième chambre civile de la Cour de cassation avait, au double visa des articles 1844 et 1844-10 du code civil, jugé qu’un défaut de convocation était, en tant que tel, cause de nullité des décisions sociales, censurant un arrêt d’appel ayant donc considéré à tort, notamment, « que le non-respect du formalisme prévu par les statuts pour la convocation des associés aux assemblées générales ne peut entraîner la nullité des décisions de celles-ci que si l’absence des associés a eu une incidence sur les décisions prises » (nous soulignons). Certes, la solution du 29 mai 2024 n’est pas rendue à propos du défaut de convocation d’un associé (sur la distinction, v. infra), plus grave à l’évidence qu’une simple irrégularité, puisqu’est en cause le droit de participer au sens le plus large (rappr. B. Dondero, ss. l’arrêt commenté, préc., n° 12). Il n’en demeure pas moins que l’on peut estimer très probable que le critère de l’influence sur le résultat du processus de décision soit demain appliqué à l’hypothèse d’une absence de convocation.
9- Pour le reste, la décision commentée ne remet pas en cause la possibilité pour « tout associé », en ce compris les associés régulièrement convoqués, ce qu’avait retenu la Cour de cassation dans l’arrêt Angeli, mais uniquement les associés, de se prévaloir de l’irrégularité de la convocation (Com. 17 déc. 2002, n° 98-21.918 FS-P, D. 2003. 206
, obs. A. Lienhard
; Rev. sociétés 2003. 493, note J.-F. Barbièri
; RTD com. 2003. 322, obs. C. Champaud et D. Danet
; ibid. 323, obs. C. Champaud et D. Danet
; Dr. sociétés 2003, n° 52, note J. Monnet ; BJS 2003. 307, note P. Le Cannu, jugeant dans une SARL « que les nullités ayant pour objet la protection d’intérêts particuliers ne peuvent être invoquées que par la personne ou le groupe de personnes dont la loi assure la protection ; que, dès lors, seuls les associés sont recevables à invoquer la violation des dispositions régissant leur convocation aux assemblées générales, ainsi qu’à contester la validité des pouvoirs de la personne ayant représenté un associé à ces assemblées »).
De même et surtout, n’est pas battue en brèche l’approche collégiale du processus de formation des décisions collectives que semble retenir la chambre commerciale ; à tout le moins lorsque ces décisions collectives procèdent d’une assemblée générale, leur adoption étant alors conditionnée à une délibération préalable en réunion. Au contraire, il a été suffisamment souligné que le critère de l’influence sur le résultat du processus de décision, et non sur le seul résultat ou la seule décision, ne se limitait pas à une analyse statique des règles de formation des décisions, c’est-à-dire à une analyse consacrant la théorie du vote utile (BRDA 8/23, n° 11, ss. Com. 15 mars 2023, préc. ; A. Reygrobellet, JCP 2023. 658, note ss. Com. 15 mars 2023, préc.). Et c’est heureux, car ce critère de l’influence sur le résultat du processus de décision apporte, malgré sa part de mystère, une forme d’équilibre. D’un côté, il préserve d’une tentation trop forte pour les organes dirigeants de s’affranchir des formes et délais encadrant la convocation des associés qui ne pèseraient pas ou pèseraient peu dans la décision. Il suffit de songer aux incidences qu’aurait l’application de cette théorie du vote utile en cas de convocation irrégulière des indivisaires, qui ne votent que par mandataire, ou encore du nu-propriétaire ou de l’usufruitier de droits sociaux qui, selon la nature des décisions à prendre, n’ont pas nécessairement le droit de vote… D’un autre côté, le critère de l’influence tel que bâti et repris ici par la Cour de cassation évite d’exposer trop facilement la validité des assemblées à des irrégularités « non substantielles ».
10- Appliqué à la convocation irrégulière, le critère de l’influence sur le résultat du processus de décision invite alors à une approche en deux temps. Temps 1 : est-ce que l’associé irrégulièrement convoqué, qui n’a pu participer aux débats et au vote, disposait de voix susceptibles d’infléchir le sens des résolutions adoptées. Si tel est le cas, cette seule constatation devrait suffire, sauf cas particulier, à emporter l’annulation de l’assemblée. Sauf cas particulier, car il serait théoriquement envisageable que l’on écarte la nullité d’une décision en dépit du poids et donc de l’influence arithmétique de tel associé sur le sens de la décision. Tel pourrait être le cas lorsque la participation effective de l’associé irrégulièrement convoqué n’aurait rien changé au sens de la décision adoptée. Imaginons un associé tenu par une convention de vote, licite naturellement, qui, devant être respectée, n’aurait pas abouti à une autre solution que celle dégagée en dehors sa présence… Temps 2 : si le poids de l’associé est, arithmétiquement indifférent au sens de la décision, il convient alors de s’interroger sur l’influence qu’aurait pu exercer l’associé privé de la possibilité de prendre part aux débats. Cela suppose donc d’identifier, in concreto, s’il dispose d’une telle influence (qualité, ancienneté, compétences, etc.) et le cas échéant s’il en a déjà fait usage.
11- Dans notre affaire, le poids de la société anglaise, titulaire de 63 % des droits de vote, ne laisse aucun doute sur l’influence qu’a eue l’irrégularité de convocation sur le résultat du processus de décision. Reste néanmoins à savoir si elle a bien été privée, de manière effective en raison de l’irrégularité de sa convocation, de la possibilité de prendre part aux débats. C’est la première condition au prononcé de la nullité, parce que facultative, et pour nous le second temps de l’analyse.
L’irrégularité de la convocation doit avoir privé l’associé de son droit de prendre part aux débats
12- C’est cette condition préalable au prononcé de la nullité, celle d’une convocation irrégulière qui doit avoir eu pour effet de priver l’associé de son droit de prendre part aux débats, qui retient le plus l’attention. À cela, deux raisons au moins.
13- La première concerne le fondement de cette condition qui, en apparence, n’est pas expressément formulée par l’article L. 223-27. En apparence seulement toutefois, car on peut lui trouver un fondement solide dans le dernier alinéa de l’article L. 223-27 qui, après avoir indiqué que « toute assemblée irrégulièrement convoquée peut être annulée », précise que « toutefois, l’action en nullité n’est pas recevable lorsque tous les associés étaient présents ou représentés ». Chacun le comprend. La nullité pour convocation irrégulière est facultative, de telle sorte que le juge n’est pas tenu de la prononcer et ce, quand bien même il constaterait une telle irrégularité (déjà sur ce point, Com. 5 déc. 2000, n° 98-13.904 F-P, jugeant, sur le fondement de l’art. 57 de la loi du 24 juill. 1966 – devenu l’art. L. 223-27 – que « les juges saisis d’une demande d’annulation d’une assemblée irrégulièrement convoquée ne sont pas liés par la constatation de l’existence d’une telle irrégularité », D. 2001. 239
, obs. A. Lienhard
; RTD com. 2001. 446, obs. C. Champaud et D. Danet
; JCP E 2001, n° 22, p. 897, obs. A. Viandier et J.-J. Caussain ; BJS 2001. 262, note P. Le Cannu). En l’espèce, c’est d’ailleurs ce qui vaut la censure à la Cour d’appel d’Angers qui, en contrariété avec l’article L. 223-27, avait estimé pouvoir prononcer la nullité en se contentant de relever l’absence de convocation régulière de la société anglaise. Au surplus, le texte institue une fin de non-recevoir : pour que l’irrégularité de la convocation soit susceptible d’être invoquée en matière de SARL, encore faut-il que tous les associés n’aient pas été présents ou représentés. Dès lors, comme un auteur l’a relevé, outre que l’article L. 223-27 reprend l’adage « pas d’intérêt, pas d’action », il invite le juge à apprécier si l’irrégularité en cause a fait grief à l’associé concerné et/ou aux autres s’en prévalant (E. Guégan, Les nullités des décisions sociales, Dalloz, 2019, nos 308 et 331). La condition dégagée par la Cour de cassation nous apparaît donc bienvenue et parfaitement fondée.
14- La seconde raison pour laquelle cette nouvelle condition au prononcé de la nullité pour convocation irrégulière retient l’attention, résulte de sa portée. Manifestement, elle dépasse le seul cadre des assemblées de SARL. Cela est vrai pour les SA, SCA et SE (sur renvoi), qui connaissent une règle identique à celle prévue pour les SARL (C. com., art. L. 225-104, al. 2, « Toute assemblée irrégulièrement convoquée peut être annulée. Toutefois, l’action en nullité n’est pas recevable lorsque tous les actionnaires étaient présents ou représentés »). Cela l’est certainement aussi, à notre avis, pour d’autres formes sociales, dans la mesure où, indépendamment de la fin de non-recevoir édictée aux articles L. 223-27 et L. 225-104, la question du contentieux de la convocation irrégulière des associés aux assemblées se pose en des termes proches.
15- S’agissant des SAS, l’application de la jurisprudence Brigade électronique, ici commentée, nous paraît claire, étant donné que la violation des règles statutaires encadrant la prise des décisions collectives est sanctionnée par une nullité facultative (C. com., art. L. 227-9, al. 4). Il n’y a donc aucune raison de ne pas exiger, en cas de convocation irrégulière d’un associé de SAS, parce qu’intervenue en violation des statuts, que pour être cause de nullité, cette irrégularité ait été i) de nature à priver l’associé de son droit de prendre part à l’assemblée et ii) de nature influer sur le résultat du processus de décision.
16- Concernant les sociétés civiles, la situation est un peu différente. Cela résulte de ce que les règles encadrant la convocation des assemblées (Décr. n° 78-704 du 3 juill. 1978, art. 40 s.) ne sont ni sanctionnées par une nullité expresse, ni constitutives de dispositions impératives au sens de l’article 1844-10, alinéa 3, du code civil. Pour autant, il a été jugé dans un arrêt de chambre mixte du 16 décembre 2005, au triple visa des articles 1844, 1844-10 du code civil et 40 du décret du 3 juillet 1978 (fixant une règle analogue à celle de l’art. R. 223-20), que « les associés sont convoqués, à peine de nullité en cas de grief, quinze jours au moins avant la réunion de l’assemblée, par lettre recommandée » (Cass., ch. mixte, 16 déc. 2005, n° 04-10.986, D. 2006. 146
, obs. A. Lienhard
; ibid. 2007. 267, obs. J.-C. Hallouin et E. Lamazerolles
; AJDI 2006. 230
; Rev. sociétés 2006. 327, note B. Saintourens
; RTD civ. 2006. 372, obs. R. Perrot
; RTD com. 2006. 148, obs. M.-H. Monsèrié-Bon
; BJS avr. 2006, n° 107, p. 536, note L. Grosclaude ; Defrénois 15 juill. 2006, n° 38425, p. 1145, obs. H. Hovasse ; JCP E 2006. 1348. Concl. M. Dominguo ; JCP 2006. I. 168, n° 9, obs. J.-J. Caussain, F. Deboissy et G. Wicker ; Dr. sociétés 2006. Comm. 36, note F.-X. Lucas). Il est vrai que dans cet arrêt de chambre mixte, il s’agissait plus d’étendre le champ des nullités des décisions sociales que de le restreindre, comme le fait dans notre espèce la chambre commerciale. Mais à bien y regarder, la direction prise par l’arrêt du 29 mai 2024 n’est pas si différente. N’est-ce pas exiger la démonstration d’un grief que de conditionner la nullité facultative de décisions sociales pour violation des règles de formes encadrant la convocation des associés à la démonstration de ce que tel associé a été privé de son droit de prendre part aux débats ? Pour ces raisons, la solution rendue le 29 mai 2024 tend probablement à harmoniser les conditions de nullité résultant d’une convocation irrégulière des associés dans les différentes formes sociales précitées, que ce soit parce que la nullité est facultative ou bien parce qu’elle est suspendue à la démonstration d’un grief.
17- Au vu de ces éléments, on devine l’intérêt pratique pour un associé irrégulièrement convoqué, singulièrement dans une SARL, SA, SCA ou SE, de choisir ou non de prendre part aux débats et surtout, l’intérêt, plus largement, de bien distinguer – si on le peut – contentieux de la convocation irrégulière et contentieux de l’absence de convocation.
18- En théorie les choses sont simples. Les irrégularités de la convocation procèdent le plus souvent d’une convocation adressée par une personne qui n’en avait pas le pouvoir ; d’une convocation tardive, comme c’était le cas en l’espèce ; d’une convocation qui n’a pas touché l’associé, à la condition que cela ne lui soit pas imputable, lequel est tenu d’informer la société (le gérant) de son changement d’adresse (Civ. 3e, 25 juin 2020, n° 18-26.718, AJDI 2020. 636
; Rev. sociétés 2021. 182, note E. Guégan
; BJS oct. 2020, n° BJS121g0, note J. Heinich ; Dr. sociétés 2020. Comm. 116, note R. Mortier, à propos d’une SCI mais transposable ; Aix-en-Provence, 1er févr. 2024, n° 20/03744, BJS 2024, n° 5, p. 30, note E. Guégan) ; d’une convocation électronique alors qu’elle devait être papier ; de celle envoyée par lettre simple, ou, plus prosaïquement, de celle qui contiendrait des informations erronées : lieu, date, jour, heure de la réunion, etc.
19- En pratique néanmoins, il peut y avoir des frottements avec d’autres vices. D’abord, il convient d’observer que, pour la Cour de cassation, la violation des règles afférentes à l’ordre du jour des assemblées de SARL doit, elle aussi, être sanctionnée sur le fondement de l’article L. 223-27, dernier alinéa, du code de commerce (Com. 14 févr. 2018, n° 15-16.525 F-B, Dalloz actualité, 12 mars 2018, obs. X. Delpech ; D. 2018. 416
; Rev. sociétés 2018. 376, note B. Saintourens
; RTD com. 2018. 383, obs. A. Lecourt
; JCP E 2018. 1257, note R. Mortier et E. Guégan ; BJS 2018. 214, note J.-F. Barbièri ; Dr. sociétés 2018, n° 82, note C. Coupet). Même si cette approche peut être discutée (encore que l’art. R. 223-20 se réfère à 2 reprises à l’ordre du jour de l’assemblée), elle a au moins le mérite d’assujettir les violations des règles enserrant l’ordre du jour à une nullité facultative (rappr. dans les SA où, depuis la loi n° 2019-744 du 19 juill. 2019, dite « Mohamed-Soilihi », les atteintes à l’ordre du jour sont sanctionnées, distinctement de celles relatives à la convocation, par une nullité facultative et non plus de droit, C. com., art. L. 225-121, al. 3 et L. 225-105). Cela étant rappelé, il n’est pas certain que cet assujettissement des violations de l’ordre du jour des assemblées de SARL à la nullité facultative de l’article L. 223-27, dernier alinéa, aura pour conséquence que, demain, l’on attendra de l’associé se prévalant d’une atteinte aux règles applicables à l’ordre du jour qu’il démontre avoir été privé de son droit de prendre part de manière effective aux débats. Cela ne veut pas dire que le tribunal saisi n’a pas de pouvoir d’appréciation, bien au contraire. Cela signifie seulement que l’on s’approchera plus du grief pour atteinte au droit de participer de l’associé au sens large (dans son versant information). C’est une chose que de s’estimer insuffisamment informé ou de juger inutile de participer aux débats en raison, par exemple, du libellé des résolutions inscrites à l’ordre du jour ; c’en est une autre que d’être privé de son droit de prendre part aux débats pour convocation irrégulière. Dans les deux cas, il faut probablement considérer toutefois que l’associé devra prouver que l’irrégularité a été de nature à influer sur le résultat du processus de décision…
20- Dans le prolongement, certaines irrégularités de la convocation peuvent engendrer des atteintes à d’autres prérogatives des associés. Il se peut que la convocation ne soit pas accompagnée de toutes les informations prescrites par les textes ou encore que l’irrégularité empêche l’associé de prendre connaissance desdites informations au siège social (exercice du droit de communication not., dont la violation est elle-même sanctionnée par une nullité facultative dans les SARL, C. com., art. L. 223-26, al. 2). On songe aussi à la convocation irrégulière d’une assemblée qui débouche sur un défaut de convocation pur et simple. Tel peut être le cas d’une convocation verbale d’une partie seulement des associés (v. par ex., Paris 26 mars 1986, R. c/ SARL Prot Métallerie, Bull. Joly 1986. 619). Dans ces cas particuliers d’atteinte au droit à l’information de l’associé ou plus certainement encore, de défaut de convocation, c’est le droit de participer, voire de voter les délibérations qui est directement en cause, de sorte que la nullité n’est pas, sauf texte exprès en ce sens, facultative (en tous les cas si elle est fondée sur C. civ., art. 1844, al. 1er et C. com., art. L. 223-28, al. 1er pour les SARL ; rappr. E. Guégan, BJS 2024, n° 5, p. 30, ss Aix-en-Provence, 1er févr. 2024, préc.). On peut donc ici encore hésiter à faire application du présent arrêt Brigade électronique et dire que l’associé devrait démontrer qu’il a été privé de son droit de prendre part aux débats. D’ailleurs, en l’absence de convocation, il a été privé de son droit. Comme précédemment toutefois, on peut supposer que l’associé non convoqué devra quand même, au vu de la direction prise par la jurisprudence de la chambre commerciale, démontrer que cette absence de convocation a été de nature à influer sur le résultat du processus de décision.
21- Enfin, même si pour être considérée comme suffisamment grave, l’irrégularité de la convocation doit confiner à l’absence de convocation, et même s’il a été jugé que « la preuve de l’existence et de la régularité d’une convocation à l’assemblée générale d’une société à responsabilité limitée incombe à son gérant » (Com. 10 févr. 2021, n° 18-23.398 F-D, dans une SARL, RJDA 6/21 n° 405 ; 10 nov. 2009, n° 05-15.809 F-D, dans une SA, RTD com. 2010. 134, obs. C. Champaud et D. Danet
; ibid. 149, obs. B. Dondero et P. Le Cannu
; RJDA 2/10 n° 150), l’associé concerné par un défaut de convocation n’est pas dans la même posture que celui irrégulièrement convoqué. Dans l’hypothèse d’une convocation irrégulière, c’est à l’associé concerné qu’il appartient de prouver qu’il a été privé de son droit prendre part de manière effective à l’assemblée. Dans l’hypothèse du défaut de convocation, il ne devrait pas avoir à supporter cette preuve. En outre, il paraît douteux que l’associé non convoqué, qui a finalement pu prendre part aux débats, se voit opposer efficacement la fin de non-recevoir prévue à l’article L. 223-27 (ou à l’art. L. 225-104). Le contentieux de la convocation irrégulière et celui du défaut de convocation ne se confondent donc pas, même si, une fois encore, le critère issu de l’arrêt Larzul 2 pourrait à l’avenir s’appliquer aussi.
Com. 29 mai 2024, F-B, n° 21-21.559
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