L’associé du local perquisitionné n’a pas nécessairement qualité pour agir en nullité

La seule qualité d’associé d’une société dont le local a été perquisitionné ne confère pas à cette personne qualité pour agir en nullité de la perquisition, dans la mesure où elle n’est pas destinataire des règles de droit dont elle invoque l’inobservation.

Mis en examen des chefs d’infractions aux législations sur les stupéfiants et sur les armes, blanchiment et association de malfaiteurs, les requérants ont déposé des requêtes en annulation d’actes et de pièces de la procédure.

De quelques précisions sur les actes d’investigation visés par les pourvois

La première demande du requérant G. visait à requérir la nullité des procès-verbaux réalisés à l’issue de la consultation du traitement de lecture automatisée des plaques d’immatriculation (LAPI) dans la mesure où la chambre de l’instruction n’avait pas procédé à l’identification des agents ayant consulté les données du fichier, de sorte qu’elle n’a pu en contrôler leur habilitation individuelle. Ce moyen est rejeté par la chambre criminelle qui retient que l’ensemble des agents saisis en fonction à la date des réquisitions étaient tous nominativement et dûment habilités à consulter le système LAPI. Dès lors, la consultation du traitement à ces dates n’a pu qu’être effectuée par une personne spécialement et individuellement habilitée à cette fin. La Cour n’exige donc pas que l’agent soit expressément identifié. Après avoir convenu de déduire l’identification d’un agent de sa simple signature (Crim. 12 avr. 2023, n° 22-85.944 F-B, Dalloz actualité, 23 mai 2023, obs. M. Pirrotta ; AJ pénal 2023. 247 et les obs. ), elle admet ici qu’il ne soit pas identifié spécialement et individuellement dès lors qu’il fait partie d’un ensemble d’agents habilités.

Son deuxième moyen a également été écarté en ce que la chambre criminelle a jugé, conformément à sa jurisprudence antérieure (Crim. 9 févr. 2016, n° 15-85.070, Dalloz actualité, 24 févr. 2016, obs. S. Fucini ; D. 2016. 1069 , note J. Pradel  ; AJ pénal 2016. 275, obs. M.-E. Boursier  ; Dalloz IP/IT 2016. 268, obs. M. Quéméner ), que la communication de renseignements, faite volontairement aux officiers de police judiciaire, sans moyen coercitif, par les représentants des concessionnaires d’autoroutes, n’exige pas la délivrance préalable de réquisitions.

Son troisième moyen visait à demander la nullité d’une prolongation de géolocalisation, faute, pour la chambre de l’instruction, de s’être assurée du contrôle effectif de la mesure par le magistrat l’ayant mise en place. La chambre criminelle écarte ce moyen dans la mesure où la décision de prolongation prise par le juge des libertés et de la détention établit que la mesure demeurait nécessaire. L’existence du contrôle du magistrat se déduit alors de la décision de prolongation.

Le quatrième moyen, joint à celui du requérant N., mettait en avant l’irrégularité de la captation des données informatiques en ayant recours à des moyens de l’État soumis au secret de la défense nationale (dont la constitutionnalité a été affirmée : Cons. const. 8 avr. 2022, n° 2022-987 QPC, Dalloz actualité, 10 mai 2022, obs. M. Slimani ; D. 2023. 1833 , note M. Lassalle  ; ibid. 1235, obs. E. Debaets et N. Jacquinot  ; RTD civ. 2022. 628, obs. H. Barbier  ; AJ pénal 2022. 376, obs. C. Ascione Le Dréau ). Les requérants arguaient que la captation avait été réalisée sans que les parties en eussent été expressément informées et sans qu’une attestation de sincérité et des indications techniques utiles à la compréhension des résultats leur eussent été délivrées. Là encore, la chambre criminelle est venue écarter ce moyen en déclarant que le service ayant procédé à la captation des données informatiques n’était pas tenu de remettre les résultats accompagnés des indications techniques utiles à la compréhension et à leur exploitation ainsi qu’une attestation certifiant la sincérité des résultats transmis, puisqu’il résulte du supplément d’information que les données n’étaient pas chiffrées.

Dès lors, il est indifférent que le recours aux moyens de l’État résulte d’une prescription du juge d’instruction plutôt que d’une réquisition de l’officier de police judiciaire, tant que celle-ci se déroule sous l’autorité et le contrôle du magistrat qui l’a autorisée et qui peut ordonner à tout moment son interruption.

Le requérant N. faisait également valoir un défaut de motivation des mesures de géolocalisation et d’interceptions téléphoniques puisqu’elles avaient été prises sur la base de simples renseignements anonymes corroborés par des éléments qui ne constituaient en eux-mêmes l’indice d’aucune infraction. La chambre criminelle écarte ce moyen en confirmant qu’un seul renseignement anonyme peut servir à orienter et faciliter les investigations des enquêteurs. Il peut aussi, comme en l’espèce, être exploité à l’appui de mesures de géolocalisation et d’interceptions de correspondances lorsqu’il est corroboré par d’autres éléments précisément mentionnés dans les décisions autorisant ces mesures. Dès lors, la Cour admet qu’il suffit que le renseignement anonyme soit corroboré par d’autres éléments, sans qu’il soit nécessaire que ceux-ci constituent eux-mêmes l’indice d’une infraction.

Sur la qualité de l’associé à agir en nullité d’une perquisition

Enfin, dans son dernier moyen, le requérant N. soutenait que la perquisition réalisée au sein de la société dont il est associé était irrégulière.

En effet, le requérant était placé en garde à vue lorsque la perquisition a eu lieu. Il était donc à la disposition des enquêteurs et aurait pu être amené sur place de sorte à pouvoir être présent. De plus, à supposer que les enquêteurs aient préféré le maintenir au commissariat, il indiquait qu’il était disposé à désigner un représentant de son choix. Seulement, les enquêteurs sont directement allés perquisitionner les locaux en présence de deux témoins. Ainsi, et selon lui, la chambre de l’instruction a violé les articles 57 et 96 du code de procédure pénale en ce qu’elle s’est bornée d’affirmer qu’aucun représentant de la société n’était présent sur les lieux pour retenir la régularité de la perquisition.

Dès lors, la chambre criminelle devait répondre à la question de savoir si l’associé d’une société dont le local avait été perquisitionné, en son absence et sans qu’il n’ait pu désigner de représentant, pouvait soulever la nullité de la perquisition réalisée en présence de deux témoins.

La Cour de cassation répond par la négative et écarte ce moyen au motif que le requérant, en sa seule qualité d’associé de la société dont le local a été perquisitionné, n’a pas qualité pour agir en nullité de cette perquisition.

Ainsi, la qualité d’associé ne confère pas nécessairement le droit de contester la perquisition. Seul le dirigeant social tire de l’article 96 du code de procédure pénale le droit de le faire en ce qu’il est « la personne chez laquelle » la mesure est effectuée. La chambre criminelle retient cependant que la mesure peut être effectuée, si ce n’est en présence du dirigeant, au côté des personnes se comportant comme des représentants qualifiés de la société (Crim. 30 mai 1996, n° 95-85.954 P, D. 1996. 167  ; ibid. 167  ; RSC 1996. 880, obs. J.-P. Dintilhac  ; Dr. pénal 1996. Comm. 170 et 174, note Maron ; Crim. 30 mai 1997, Procédures 1997. Comm. 275, obs. Buisson ; Crim. 13 oct. 1998, n° 98-82.522 P, D. 2000. 808 , note V. Peltier  ; RTD com. 1999. 521, obs. B. Bouloc  ; Crim. 18 juin 2003, n° 03-81.979 P, AJ pénal 2003. 30, obs. J. C.  ; RSC 2004. 422, obs. J. Buisson  ; JCP 2003. IV. 2450 ; Dr. pénal 2003. Comm. 116, obs. Maron ; RSC 2004. 422, note Buisson).

En outre, l’article 96 précise que si la personne est absente ou refuse d’y assister, la perquisition a lieu en présence de deux de ses parents ou alliés présents sur les lieux ou, à défaut, en présence de deux témoins. Dès lors, et en application de cette disposition, les enquêteurs ont pu procéder à la perquisition en présence de deux témoins, et ce sans avoir eu à demander à l’associé de désigner un représentant dans la mesure où aucun allié - en l’occurrence aucun représentant de la société - n’était présent sur les lieux.

La chambre criminelle admet les requêtes en nullité dès lors que la partie atteste que l’acte la concernait directement (T. Lebreton, La qualité à agir en nullité, AJ pénal 2024. 134). Seulement, en l’espèce, l’associé n’arguait pas avoir directement été concerné par la mesure et n’avait donc pas qualité à agir.

En outre, la chambre criminelle reconnaît la qualité à agir dès lors que la règle dont la partie allègue la méconnaissance avait pour objet de préserver un droit ou un intérêt qui lui est propre (Crim. 7 sept. 2021, n° 20-87.191 P, Dalloz actualité, 28 sept. 2021, obs. M. Recotillet ; D. 2022. 1487, obs. J.-B. Perrier  ; AJ pénal 2021. 527, note G. Candela  ; RSC 2022. 94, obs. P.-J. Delage  ; ibid. 439, obs. E. Rubi-Cavagna  ; 7 sept. 2021, n° 21-80.642 P, Dalloz actualité, 28 sept. 2021, obs. M. Recotillet ; D. 2021. 1630  ; AJ pénal 2021. 484, obs. M. Recotillet  ; ibid. 527, note G. Candela  ; RSC 2022. 94, obs. P.-J. Delage  ; ibid. 439, obs. E. Rubi-Cavagna ). Aussi les juges du fond doivent-ils déterminer si le demandeur est bien le destinataire de la règle de droit dont il invoque l’inobservation. Or, en l’espèce, seuls les dirigeants et éventuellement les représentants qualifiés peuvent être identifiés comme les destinataires de l’article 96 précité.

La seule qualité d’associé ne suffit donc pas à demander la nullité pour méconnaissance de l’article 96, puisque les associés ne sont pas naturellement destinataires de ces dispositions.

Ainsi, les associés ne peuvent contester les perquisitions réalisées au sein de la société que s’ils démontent que la perquisition a été mise en œuvre à leur encontre, auquel cas ils pourront alléguer des atteintes à leurs droits personnels.

En revanche, l’associé aurait pu demander la nullité de la mesure si la méconnaissance de la formalité portait atteinte à la bonne administration de la preuve. En effet, toute partie, même tiers à l’acte contesté, peut se prévaloir de la nullité d’un acte concernant autrui dès lors que la formalité dont elle allègue la méconnaissance garantit la bonne administration de la preuve. Sont ici visées les formalités destinées à garantir l’authenticité et la fiabilité des éléments de preuve (T. Lebreton, art. préc.). Tel aurait été le cas si la perquisition avait eu lieu en l’absence de témoins (Crim. 13 sept. 2022, n° 22-80.515 P, Dalloz actualité, 29 sept. 2022, obs. J. Pidoux ; D. 2022. 1598  ; ibid. 2023. 1488, obs. J.-B. Perrier  ; AJ pénal 2022. 486, obs. R. Mesa  ; RSC 2023. 150, obs. P.-J. Delage ).

 

Crim. 5 mars 2024, F-B, n° 23-84.626

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