L’assurance de prêt au secours de la défaillance de la solidarité nationale

Le 12 décembre 2023, le Comité consultatif du secteur financier (CCSF) a rendu un avis, engageant les entreprises d’assurance de mettre en place une nouvelle garantie d’assurance de prêt. Celle-ci est destinée à aider les familles en charge d’un enfant malade ou gravement blessé. Son objet même la rend imperméable à toute critique. Il convient évidemment de se réjouir de l’aide précieuse ainsi apportée à des parents accaparés par la pire des inquiétudes. Pourtant, au-delà de l’épiphanie de louanges que concentre une telle mesure, celle-ci confirme un mouvement préjudiciable à la collectivité des emprunteurs : la substitution de la solidarité assurantielle privée à la solidarité nationale, défaillante.

Une nouvelle garantie « aide à la famille, » pour aider l’emprunteur, parent d’un enfant gravement malade ou victime d’un accident grave de la vie

Créé il y a vingt ans, en 2003 (C. mon. fin., art. L. 614-1 s. ; Loi n° 2003-706 du 1er août 2003, art. 22), rappelons que le CCSF a pour mission de nourrir le dialogue entre consommateurs et professionnels de la banque et de l’assurance, sous l’œil exigeant des pouvoirs publics. En principe, sa mission touche à la seule dimension relationnelle entre ces entreprises et leurs clients. Il est ainsi chargé « d’étudier les questions liées aux relations entre » les professionnels et « leurs clientèles respectives » (C. mon. fin., art. L. 614-1, al. 1er).

L’assurance de prêt, ou assurance emprunteur, se donne pour objet « de garantir en cas de survenance d’un des risques que ce contrat définit, soit le remboursement total ou partiel du montant du prêt restant dû, soit le paiement de tout ou partie des échéances dudit prêt » (C. consom., art. L. 313-29). Complément de garantie pour le prêteur, ce contrat comporte des garanties couvrant le décès, l’incapacité ou l’invalidité. Plus de neuf prêts immobiliers aux particuliers sur dix sont couverts par une garantie d’assurance (ACPR, Financement de l’habitat, 2022, p. 14) L’assurance des prêts représente un marché de plus de onze milliards d’euros de cotisations annuelles (France Assureurs, Chiffres clés 2022, p. 48). Le contrat d’assurance de prêt constitue, à la fois, une garantie supplémentaire pour le prêteur ; et un instrument de protection patrimoniale pour l’emprunteur.

Par son avis du 12 décembre 2023, le cinquième des cinq rendus en 2023, le CCSF annonce que les entreprises d’assurance proposeront, à compter « de juillet 2025 […] une garantie « aide à la famille » dans au moins un de leurs contrats d’assurance emprunteur ». Cette nouvelle garantie prendra en charge les échéances des crédits, sous réserve de conditions : elle concerne les seuls (i) prêts immobiliers, finançant (ii) la résidence principale d’un assuré (iii) contraint de cesser partiellement ou totalement son activité professionnelle pour assister son enfant mineur, atteint (iv) d’une maladie grave ou victime d’un accident grave de la vie « dans les limites et définitions qui seront prévues par le contrat. Cette garantie peut être conditionnée à la souscription d’une couverture incapacité temporaire de travail ». Elle a pour particularité de ne pas porter sur des risques attachés à la personne de l’emprunteur, mais à l’un de ses proches ; la définition légale du contrat d’assurance de prêt offre une telle souplesse.

Cette décision répond à une « tribune » publiée le 5 avril 2023 (Le Monde, 5 avr. 2023), dans laquelle des députés et des associations familiales orchestraient leur sollicitation des entreprises d’assurance en ce sens. Dix mille familles seraient concernées. Pourtant, il existe déjà des dispositifs publics nationaux remplissant cet objectif : allocation journalière de présence parentale ; allocation d’éducation de l’enfant handicapé, principalement. Des parents seront privés de cette garantie.

Les conséquences, pour l’assurance de prêt, d’une nouvelle garantie « aide à la famille » consécutives à la défaillance de la solidarité nationale

Les rapports d’attraction entre l’action politique, toujours à sec de moyens, et les poches de ressources financières émergées du marché, se montrent dominés par la convoitise. La figure du bon politique, attentif aux souffrances de la société, renonce désormais à la solidarité nationale : elle finance ses mesures sociales par des fonds privés. L’allocation journalière de présence parentale possède, précisément, la fonction de combler les conséquences financières d’une cessation d’activité d’un parent mobilisé par les soins à donner à l’enfant nécessitant « une présence soutenue et des soins contraignants » (CSS, art. L. 544-1). La difficulté de rembourser des charges de prêt, consécutive à la privation ou la baisse de revenus, fait indubitablement partie des conséquences financières du temps à consacrer à « un enfant atteint d’une maladie, d’un handicap ou victime d’un accident d’une particulière gravité » (Il s’agit notamment de maladies particulièrement graves, mettant en péril la vie de l’enfant). Sans doute les insuffisances des dernières réformes législatives (Loi n° 2023-622 du 19 juill. 2023 visant à renforcer la protection des familles d’enfants atteints d’une maladie ou d’un handicap ou victimes d’un accident d’une particulière gravité) incitent à chercher des alternatives. Il reste pourtant essentiel d’améliorer la qualité du dispositif de solidarité nationale, y compris sa réactivité aux situations dramatiques créées par la maladie grave d’un enfant.

La loi n° 2022-270 du 28 février 2022 « pour un accès plus juste, plus simple et plus transparent au marché de l’assurance emprunteur » a instauré, sous certaines conditions, l’interdiction faite aux entreprises d’assurance relavant du code des assurances, d’administrer tout questionnaire de santé au candidat à l’emprunt et à l’assurance de prêt (C. assur., art. L. 113-2-1 ; Loi n° 2022-270 du 28 févr. 2022, art. 10). Cette disposition favorable aux emprunteurs ayant affronté de graves maladies s’applique sous réserve du respect cumulé de deux conditions : la première, que la « la part assurée sur l’encours cumulé des contrats de crédit n’excède pas 200 000 € par assuré » ; la seconde, que « l’échéance de remboursement du crédit contracté est antérieure au soixantième anniversaire de l’assuré ». Cette mesure a ouvert une voie : l’exploitation de l’assurance de prêt comme substitut à la défaillance de la solidarité nationale. Avec trois conséquences : le bénéfice de l’aide financière est évidemment subordonné aux seuls emprunteurs, excluant tous les autres ; son financement est assuré par une petite communauté, et non par l’ensemble des citoyens ; ces mesures empilées augmentent le coût de l’assurance emprunteur, pour les assurés (Au cas présent, le périmètre heureusement restreint du risque et sa limitation au crédit immobilier, excluant le crédit à la consommation et celui aux professionnels, laisse supposer un coût faible, avancé comme argument en faveur de cette garantie).

Le CCSF est une instance « de droit mou » (le terme est davantage expressif en bon français). La valeur juridique de ses avis est faible. À l’expérience, ceux-ci ne sont guère contraignants, même lorsque ces avis sont repris sous la forme d’engagement professionnel par les entreprises concernées. L’ACPR dispose du droit d’en contrôler l’application. Elle peut, également, émettre soit une « position » soit une « recommandation » de bonne pratique professionnelle (C. mon. fin., art. L. 612-29-1) appuyant un avis du CCSF, voire un simple communiqué de presse (par ex., ACPR, communiqué de presse du 26 nov. 2019 relatif à l’avis du CCSF sur le démarchage téléphonique en assurance). Telle n’est pas la situation, pour l’heure et pour cet avis du CCSF du 12 décembre 2023.

Dans la formulation générale de l’avis du CCSF, la configuration technique, ainsi que la rédaction contractuelle de cette nouvelle garantie seront essentielles, notamment quant à la part et au montant des échéances effectivement prises en charge par l’assurance. Se pose la question de son extension aux contrats déjà en cours. Elle étoffe l’obligation de conseil en assurance emprunteur, qui incombe à son distributeur, quelle que soit sa nature juridique. Avec un risque de contentieux.

Les emprunteurs en crédit immobilier forment décidément une catégorie citoyenne bien à la peine. Ils subissent la politique de pénurie de crédit immobilier instaurée par les normes administratives d’octroi du Haut conseil de stabilité financière (HCSF), qui se conjuguent à la hausse des taux pour réduire de moitié la production de nouveaux crédits immobiliers aux ménages. L’assuré emprunteur continue d’être généralement contraint, par les pratiques commerciales des banques de souscrire des contrats d’assurance de prêt beaucoup plus chers pour lui. Ceci, faute de contrôle sérieux, notamment de la part de l’ACPR. En France, en 2024, la liberté de choix de l’assurance de prêt par l’emprunteur n’est toujours pas assurée : c’est l’échec premier de la dernière réforme législative, celle de la loi n° 2022-270 du 28 février 2022. L’arrimage de la garantie « aide à la famille » à un marché, de surcroît en contraction, plutôt qu’à la solidarité nationale, limite son efficacité prévisible.

Moins de prêts immobiliers, des contrats d’assurance emprunteur imposés et trop chers, une catégorie limitée de Français sommés de pallier les renoncements de la solidarité nationale : voici comment se construit le soutien, nécessairement bienvenu, à des parents dans la difficulté. Les déséquilibres phénoménaux s’empilent dans l’assurance de prêt ; ils prêtent malheureusement peu à goûter les salutations enthousiastes qui auréolent l’avis du CCSF du 12 décembre 2023, relatif à la garantie « aide à la famille ». 

 

© Lefebvre Dalloz