L’assureur automobile peut opposer la nullité de son contrat à quelqu’un !
Si l’assureur dont le contrat est nul est tenu d’indemniser les tiers lésés à l’égard desquels la nullité est inopposable, il est en droit d’obtenir de l’assureur d’un autre véhicule impliqué dans l’accident, auquel cette nullité est opposable, le remboursement de l’intégralité des sommes qu’il a versées.
 
                            
Depuis l’arrêt Fidelidades et ses suites, on en était venu à douter que l’assureur automobile obligatoire puisse encore opposer la nullité de son contrat à quelqu’un.
Pour rappel, dans cette décision d’ailleurs mentionnée dans l’arrêt commenté (pt 8), la Cour de justice de l’Union européenne avait dit pour droit que les directives européennes relatives à l’assurance automobile obligatoire devaient être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à une réglementation nationale qui aurait pour effet que soit opposable aux tiers victimes la nullité d’un contrat d’assurance de responsabilité civile automobile résultant de fausses déclarations initiales du preneur d’assurance (CJUE 20 juill. 2017, aff. C-287/16, Fidelidade Companhia de Seguros, RCA 2017/12. Étude 13, par H. Groutel ; RGDA 2017/10, p. 536, note G. Parleani ; RGDA 2017/11, p. 552, note J. Landel ; RDC 2018/1, n° 114x3, p. 73, obs. F. Leduc ; Europe 2017/10. Comm. 361, par S. Roset). Partant, le législateur français avait créé, avec la loi dite Pacte du 22 mai 2019, un nouvel article L. 211-7-1 du code des assurances, en vertu du premier alinéa duquel « la nullité d’un contrat d’assurance souscrit au titre de l’article L. 211-1 n’est pas opposable aux victimes ou aux ayants droit des victimes des dommages nés d’un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur ainsi que ses remorques ou semi-remorques ». Et peu de temps après, la Cour de cassation alignait sa jurisprudence, applicable aux situations antérieures à l’entrée en vigueur de ce texte, en retenant qu’« interprétée à la lumière [du droit européen], la nullité édictée par l’article L. 113-8 du code des assurances n’est pas opposable aux victimes d’un accident de la circulation ou à leurs ayants droit » (Civ. 2e, 29 août 2019, n° 18-14.768 P+B+I, Dalloz actualité, 20 sept. 2019, obs. R. Bigot ; RCA 2019/10. Repère 9, par H. Groutel ; RGDA 2019/10, p. 19, note J. Landel ; BJDA 2019/65. Comm. 11, par A. Cayol ; Gaz. Pal. 2020/3, p. 60, note M. Ehrenfeld ; LEDA 2019/9, p. 1, obs. F. Gréau. V. égal., Crim. 8 sept. 2020, n° 19-84.983 P+B+I, Dalloz actualité, 12 nov. 2020, obs. R. Bigot, T. Boyer et A. Mittelette ; D. 2020. 1719 ; RCA 2020/12. Comm. 215, par H. Groutel ; RCA 2021/12. Chron. 4, obs. H. Groutel ; RGDA oct. 2020, n° 117t9, p. 22, note J. Landel).
Plus récemment, la Cour de justice ajoutait, en substance, que, sauf abus de droit, l’inopposabilité de cette nullité bénéficie à la victime passagère qui est également preneur d’assurance et auteur de la fausse déclaration de risque, et qu’après l’avoir indemnisée, l’assureur ne peut se retourner contre cette dernière pour obtenir un remboursement des sommes versées sur le fondement de la faute ainsi commise (CJUE 19 sept. 2024, aff. C-236/23, Matmut, Dalloz actualité, 18 oct. 2024, obs. V. Roulet ; RCA 2024/11. Comm. 254, obs. V. Tournaire ; RGDA 2024/10, n° RGA202b3, note J. Landel ; BJDA 2024/11. Comm. 16, obs. A. Trescases).
En dernier lieu, la Cour de cassation jugeait que « la nullité édictée par l’article L. 113-8 du code des assurances n’est pas opposable à la victime par ricochet qui est également le preneur d’assurance, à l’origine de la fausse déclaration, sauf en cas d’abus de droit » et que « l’assureur ne peut opposer à la caisse [primaire d’assurance maladie], subrogée dans les droits des victimes, la nullité du contrat d’assurance qu’il ne peut opposer à ces dernières (Civ. 2e, 23 janv. 2025, n° 23-15.983 FS-B+R, Dalloz actualité, 6 févr. 2025, obs. V. Etcheverry ; D. 2025. 652, obs. S. Ittah ; ibid. 1135, obs. A. Cayol ; RCA 2025/3. Étude 3, obs. P. Brun et V. Tournaire ; JCP 2025/15. Act. 467, obs. P. Pailler ; ibid. 2025/19. Doctr. 582, obs. L. Mayaux ; BJDA 2025/97. Comm. 13, obs. L. Perdrix ; RGDA 2025/3, n° RGA202f7, obs. J. Landel ; Gaz. Pal. 25 mars 2025, n° GPL475e6, obs. E. Helesbeux).
Mais voilà que l’arrêt commenté donne à voir un cas de figure dans lequel cette nullité peut être opposée. En l’espèce, une conductrice avait souscrit, en 2007, un contrat d’assurance automobile auprès d’un premier assureur. Par la suite, commettant une faute de conduite, elle avait percuté un autre véhicule, assuré par un second assureur. Les deux conducteurs, ainsi que les trois enfants du premier, passagers de son véhicule, avaient été blessés dans l’accident, dont cette conductrice avait été déclarée entièrement responsable. Après avoir versé certaines sommes aux victimes (et notamment à ladite conductrice, en sa qualité de représentante légale de ses enfants mineurs, pour l’indemnisation de ces derniers), son assureur avait agi en annulation du contrat d’assurance pour fausse déclaration de risque, et demandé au second assureur le remboursement des sommes versées. Tout en prononçant l’annulation du contrat, une cour d’appel l’avait débouté de cette demande, estimant que « si la nullité pour fausse déclaration intentionnelle du contrat d’assurance n’est pas opposable à la victime, elle ne l’est pas plus à son assureur, et ce d’autant plus que [cette conductrice] est la seule responsable de l’accident » (Rennes, 7 juin 2023, n° 22/05434, rendu sur renvoi après cassation, Civ. 2e, 10 févr. 2022, n° 20-12.287). L’arrêt est cependant cassé par la deuxième chambre civile, qui énonce notamment, au visa de l’article L. 113-8 du code des assurances, que « si l’assureur dont le contrat est nul est tenu d’indemniser les tiers lésés à l’égard desquels la nullité est inopposable, il est en droit d’obtenir de l’assureur d’un autre véhicule impliqué dans l’accident, auquel cette nullité est opposable, le remboursement de l’intégralité des sommes qu’il a versées » (pt 12). Par cette décision publiée au Bulletin, la Cour de cassation réaffirme ainsi l’existence d’un recours en « remboursement » de l’assureur de responsabilité automobile tenu d’indemniser la victime nonobstant la nullité du contrat d’assurance souscrit auprès de lui, et pose une limite à l’inopposabilité de la nullité du contrat d’assurance automobile obligatoire.
Le recours en « remboursement » de l’assureur dont le contrat est nul
À cet égard, l’arrêt rappelle que « La Cour de cassation a jugé, sur le fondement de l’article L. 113-8 du code des assurances, que lorsque l’assureur, dont le contrat a été annulé pour fausse déclaration, a indemnisé des victimes de l’accident pour le compte de qui il appartiendrait, il est fondé à réclamer à l’un quelconque des assureurs des véhicules impliqués la restitution de l’intégralité des sommes versées (Civ. 2e, 7 juill. 2011, n° 10-19.960) » (pt 11). L’octroi d’un tel recours en « restitution », qui suppose l’implication de plusieurs véhicules assurés par au moins deux assureurs différents, se justifie par le fonctionnement de la procédure d’indemnisation instaurée par la loi Badinter, qui impose à tout assureur d’un véhicule impliqué dans l’accident, y compris lorsqu’il invoque une exception de garantie, de respecter les exigences des articles L. 211-9 à L. 211-17 du code des assurances, le cas échéant pour le compte de qui il appartiendra (C. assur., art. L. 211-20).
Ce recours est distinct du recours en contribution à la dette ouvert aux coauteurs d’un accident de la circulation et à leurs assureurs de responsabilité (sur lequel, v. spéc., Rép. civ., v° Responsabilité – Régime des accidents de la circulation, 2019 [actu. mai 2025], par P. Oudot, spéc. nos 247 s.). En la matière, la jurisprudence retient notamment que « la contribution à la dette a lieu en proportion des fautes respectives et, [qu’]en l’absence de faute prouvée à la charge des conducteurs impliqués, la contribution se fait entre eux par parts égales » (pour un rappel et une application récente de ces principes, v. spéc., Civ. 2e, 10 oct. 2024, n° 23-12.120, FS-B, Dalloz actualité, 7 nov. 2024, obs. V. Roulet ; D. 2024. 1774 ; RTD civ. 2025. 103, note P. Joudain ; JCP 2024, n° 1450, obs. A. Pimbert ; RCA 2024. Comm. 261, obs. E. Coyault). Or, en l’espèce, seule la conductrice dont le contrat d’assurance était nul avait commis une faute de conduite. Son assureur de responsabilité automobile n’aurait donc pu obtenir quoi que ce soit, sur ce fondement, de la part du conducteur de l’autre véhicule impliqué dans l’accident ou de son assureur. C’est d’ailleurs dans cette optique que la cour d’appel relevait que ladite conductrice était « la seule responsable de l’accident » ; mais c’était là se tromper de recours.
Le recours ici en cause se distingue, aussi, du recours en remboursement systématiquement offert par les textes organisant l’inopposabilité de certaines exceptions en matière d’assurances obligatoires (sur cette question, v. spéc., V. Tournaire, L’assurance obligatoire. Proposition d’un droit commun. L’assurance obligatoire. Proposition d’un droit commun, Dalloz, coll. « Nouvelle bibliothèque de thèses », vol. 229, 2023, nos 831 s.). Tel est notamment le cas, s’agissant de l’assurance automobile obligatoire, des articles R. 211-13 et désormais L. 211-7-1 du code des assurances – inapplicables en l’espèce, ratione materiae pour le premier et ratione temporis pour le second –, qui permettent à l’assureur de responsabilité automobile ayant dû indemniser les victimes d’accidents de la circulation malgré l’existence de diverses exceptions, de se retourner contre le « responsable » de l’accident, à concurrence du montant des sommes ainsi versées. Certes, ces deux types de recours ont pour point commun de rendre concrète la différence entre l’inopposabilité de la nullité du contrat d’assurance automobile, et la privation totale d’effet de cette nullité. Mais le recours prévu par ces textes s’explique par le fait que l’assureur dont le contrat est nul indemnise les victimes pour le compte de son pseudo assuré-responsable – et non pour le compte « de qui il appartiendra », en ce compris d’autres assureurs ou le FGAO. Une certaine assimilation entre ces recours ressort néanmoins de l’arrêt commenté, qui semble délaisser l’idée d’un recours en « restitution » (pt 11), en faveur d’un recours en « remboursement » (pts 12 et 14).
Reste que l’exercice d’un tel recours aurait pu être paralysé par le développement de l’inopposabilité de la nullité du contrat d’assurance automobile obligatoire.
L’opposabilité de la nullité à l’assureur dont le contrat n’est pas nul
Après avoir été admise au profit des tiers victimes (arrêt Fidelidades), de la victime passagère, souscriptrice et auteure de la fausse déclaration intentionnelle à l’origine de la nullité (arrêt Matmut), des victimes par ricochet ainsi que des tiers payeurs subrogés dans les droits des victimes (Crim. 23 janv. 2025, n° 23-15.983, préc.), l’inopposabilité de la nullité du contrat d’assurance automobile obligatoire ne pouvait-elle pas bénéficier, aussi, à l’assureur d’un autre véhicule impliqué dans l’accident dont le contrat n’est pas nul ?
Certes, le raisonnement de la cour d’appel, qui avait estimé que « si la nullité pour fausse déclaration intentionnelle du contrat d’assurance n’est pas opposable à la victime, elle ne l’est pas plus à son assureur », était manifestement erroné, ne serait-ce que parce que, comme le souligne implicitement la Cour de cassation par l’utilisation de guillemets (pt 13), ce n’est pas en tant qu’assureur « de la victime » qu’était ici en cause l’assureur de l’autre véhicule impliqué dans l’accident, mais en qualité d’assureur de responsabilité automobile.
C’est toutefois plus généralement, au motif que « les articles 3, § 1, et 13, de la directive 2009/103/CE du 16 septembre 2009, tels qu’interprétés par la Cour de justice de l’Union européenne, ne régissent pas les rapports entre l’assureur, tenu d’indemniser les victimes nonobstant la nullité du contrat d’assurance souscrit auprès de lui, et l’assureur de tout autre véhicule impliqué dans l’accident dont le contrat n’est pas nul » (pt 10), que la deuxième chambre civile juge cette nullité opposable à ce dernier. À cet argument, on pourrait opposer que ces textes ne régissent pas, non plus, les rapports entre assureurs et tiers payeurs. Mais ce serait refaire la critique de la solution retenue en janvier dernier. Or, dans la mesure où cet argument rendait cette dernière discutable (v. spéc. ce point, P. Brun et V. Tournaire, Inopposabilité de la nullité du contrat d’assurance automobile : entre alignement et dépassement, RCA 2025/3. Étude 3, spéc. nos 9 s. et 65 s.), il justifie, au contraire, la solution retenue dans l’arrêt commenté.
Pour autant, et non sans lien avec les incertitudes nées de l’arrêt de janvier 2025, la portée de cette solution reste à déterminer. En particulier, la nullité est-elle également opposable à l’assureur dont le contrat n’est pas nul, dans l’hypothèse où c’est cette fois ce dernier qui, après avoir indemnisé les victimes, exerce un recours subrogatoire contre l’assureur d’un autre véhicule impliqué dans l’accident dont le contrat est nul ? Une réponse positive pourrait s’appuyer sur la formulation retenue au point 12, qui vise l’assureur d’un autre véhicule impliqué dans l’accident « auquel cette nullité est opposable », en toute hypothèse semble-t-il. En présence de plusieurs assureurs celui dont le contrat est nul ne serait alors jamais tenu de la charge définitive de l’indemnisation. Le doute reste cependant permis au regard de la justification adoptée, qui vise seulement « les rapports entre l’assureur, tenu d’indemniser les victimes nonobstant la nullité du contrat d’assurance souscrit auprès de lui, et l’assureur de tout autre véhicule impliqué dans l’accident dont le contrat n’est pas nul », et non l’ensemble des rapports entre assureurs. Et il est alimenté par le manque de précision de la décision de janvier 2025, à la lecture de laquelle on ne sait à quel titre la nullité est jugée inopposable aux tiers-payeurs et, en conséquence, si cette inopposabilité bénéficie uniquement aux organismes sociaux en cause en l’espèce, ou bien à tous les tiers-payeurs, ou encore à tous les créanciers subrogés dans les droits des victimes. La jurisprudence Fidelidades et ses suites n’ont donc sans doute pas fini de faire couler de l’encre.
Civ. 2e, 26 juin 2025, FS-B, n° 23-20.778
par Victorine Tournaire, Maître de conférences en droit privé, Université Lyon 1 – Partenaire de l’équipe de recherche Louis Josserand, Université Lyon 3
© Lefebvre Dalloz