L’autonomie de la faute dolosive reconnue par la troisième chambre civile

Par un arrêt rendu le 30 mars 2023, la troisième chambre civile s’aligne sur la conception dualiste de la deuxième chambre civile de la faute inassurable confirmant l’autonomie de la faute dolosive par rapport à la faute intentionnelle. Elle se définit comme un acte délibéré de l’assuré commis avec la conscience du caractère inéluctable de ses conséquences dommageables sur le fondement de l’article L. 113-1 du code des assurances.

L’article L. 113-1 du code des assurances dispose que « les pertes et les dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute de l’assuré sont à la charge de l’assureur, sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police. Toutefois, l’assureur ne répond pas des pertes et dommages provenant d’une faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré ». Au-delà des exclusions conventionnelles qui peuvent exister dans le contrat d’assurance, l’alinéa 2 prévoit deux cas d’exclusion légale permettant à l’assureur de refuser sa garantie : la faute intentionnelle et la faute dolosive de l’assuré.

De la conception moniste à la conception dualiste de la faute inassurable devant la deuxième chambre civile

La Cour de cassation a longtemps retenu une conception moniste de la faute inassurable (v. par ex. Civ. 1re, 10 déc. 1991, n° 90-14.218, RGAT 1992. 364) privant l’assuré du bénéfice de la garantie offerte par le contrat d’assurance en assimilant la faute dolosive à la faute intentionnelle. Il n’y avait pas de différence entre les deux notions. Dès lors, la faute intentionnelle, qui absorbait la faute dolosive, a été définie en jurisprudence, en raison de l’absence de définition légale, comme la volonté de l’assuré de commettre le dommage tel qu’il s’est réalisé (v. par ex. Civ. 2e, 23 sept. 2004, n° 03-14.389, D. 2005. 1324  ; ibid. 1317, obs. H. Groutel  ; RDI 2004. 517, obs. L. Grynbaum ). Il importe alors que l’assuré ait voulu non seulement l’action ou l’omission à l’origine du dommage mais aussi le dommage lui-même tel qu’il est survenu dans son entièreté. Une telle conception, particulièrement étroite de la faute inassurable, est favorable aux assurés et aux victimes car on observe souvent une différence entre le dommage effectivement réalisé et la volonté de le créer tel quel. Par exemple, l’incendie provoqué par des collégiens en mettant le feu à une façade recouverte de vigne vierge de leur établissement scolaire, dans le seul but de gêner l’administration, mais qui se propage à tout le collège n’est pas constitutif d’une faute intentionnelle dans la mesure où ces adolescents n’avaient pas souhaité aboutir à un tel dommage (Civ. 1re, 21 juin 1988, n° 86-15.819).

Cependant, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a progressivement fait évoluer sa position vers une conception dualiste de la faute inassurable en admettant l’autonomie de la faute dolosive qui doit également être recherchée par les juges (v. Civ. 2e, 28 févr. 2013, n° 12-12.813, Dalloz actualité 15 mars 2013, obs. T. de Ravel d’Esclapon ; D. 2013. 2058, chron. H. Adida-Canac, R. Salomon, L. Leroy-Gissinger et F. Renault-Malignac  ; qui indique que « la cour d’appel a pu déduire que l’assureur ne caractérisait ni une faute intentionnelle ni une faute dolosive au sens de l’article L. 113-1 du code des assurances »). Une telle évolution est saluée par la doctrine (S. Abravanel-Jolly, Notion de faute intentionnelle en assurance : une nécessaire dualité, actuassurance.com, 2009, n° 11 ; M. Asselain, Violation délibérée de ses obligations professionnelles par l’assuré : à la recherche d’une sanction, RCA 2009. Étude 6). La véritable consécration est opérée par deux arrêts publiés au Bulletin rendus le 20 mai 2020 (Civ. 2e, 20 mai 2020, nos 19-14.306 et 19-11.538) qui confirment la volonté de la deuxième chambre civile d’étendre le champ de la faute inassurable et de faire exister la faute dolosive aux côtés de la faute intentionnelle. Si quelques nuances ont persisté quant à la définition de la faute dolosive, des décisions rendues en 2022 (Civ. 2e, 20 janv. 2022, n° 20-13.245, D. 2022. 166  ; ibid. 1117, obs. R. Bigot, A. Cayol, D. Noguéro et P. Pierre  ; ibid. 1993, chron. F. Jollec, C. Bohnert, C. Dudit, J. Vigneras, S. Ittah et X. Pradel  ; 10 mars 2022, n° 20-19.056) sont venues mettre un terme au débat en indiquant que la faute dolosive s’entend comme un acte délibéré de l’assuré commis avec la conscience du caractère inéluctable de ses conséquences dommageables.

L’émergence progressive de la conception dualiste de la faute inassurable devant la troisième chambre civile

Qu’en est-il de la troisième chambre civile intervenant sur les contentieux en assurance construction ? Cette conception de la faute dolosive qui se distingue de la faute intentionnelle n’a pas été suivie dans un premier temps (v. Civ. 3e, 1er juill. 2015, n° 14-19.826, RDI 2015. 425, obs. D. Noguéro ). Toutefois, un arrêt rendu le 29 juin 2017 (n° 16-18.842, RDI 2017. 485, obs. D. Noguéro ) laisse à penser que la troisième chambre civile admettait qu’une autonomie de la faute dolosive soit possible. Par ailleurs, un arrêt rendu le 10 juin 2021 (n° 20-10.774, RDI 2021. 433, obs. C. Charbonneau ) est venu de nouveau semer le doute car il semble qu’elle fasse mention de la faute dolosive sans le dire clairement. L’évolution de la troisième chambre s’est faite timidement jusqu’à l’arrêt rendu le 30 mars 2023 par lequel elle vient clarifier sa position.

En l’espèce, une société a souscrit un contrat d’assurance pour les besoins de son activité de design et d’architecture. Cette dernière a été chargée par la société McDonald’s Europe de travaux de décoration de restaurants. À la suite d’une réclamation des ayants droit d’un designer, la société a déclaré un sinistre à son assureur qui a refusé sa garantie aux motifs que l’assurée avait commis une faute dolosive en raison du caractère flagrant et massif de la contrefaçon.

La cour d’appel d’Aix-en-Provence, saisie de l’affaire, rend une décision le 20 mai 2021 par laquelle elle estime que l’assurée a commis une faute dolosive au sens de l’article L. 113-1, alinéa 2, du code des assurances. En effet, elle indique que l’assurée a utilisé sans autorisation, dans des restaurants au Royaume-Uni et en Europe des reproductions soumises à un large public dont la similitude avec des œuvres d’un tiers est incontestable alors qu’une clause d’originalité était présente dans le contrat la liant avec McDonald’s. Dès lors, elle a pris un risque ayant eu pour effet de rendre inéluctable la réalisation du dommage, excluant ainsi la garantie de l’assureur (p. 7). La société forme alors un pourvoi en cassation composé d’un moyen divisé en quatre branches.

Dans son pourvoi, au-delà des questions touchant à l’obligation d’information de l’assureur (p. 10 s.) et de la validité d’une clause d’exclusion présente dans le contrat d’assurance (p. 14 s.), c’est surtout la qualification de la faute dolosive qui était décisive (p. 5 s.). Pour l’assurée, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 113-1 du code des assurances en retenant une faute dolosive. Pour défendre l’idée selon laquelle l’assureur devait mettre en œuvre sa garantie, la société se fonde sur la conception moniste de la faute inassurable. Ainsi, aux yeux de la société, la faute dolosive suppose que l’assuré ait agi non pas seulement avec la conscience du risque de provoquer le dommage, mais aussi avec la volonté de le provoquer et d’en vouloir les conséquences, telles qu’elles se sont produites. Dès lors, une telle faute ne peut pas être retenue en l’espèce car la cour d’appel ne caractérise pas l’intention de l’architecte de provoquer le dommage et d’en rechercher les conséquences telles qu’elles se sont produites. Tout au plus, la cour d’appel a pu caractériser un risque que le dommage puisse se réaliser.

La troisième chambre civile, le 30 mars 2023, rejette intégralement le pourvoi et estime, sur le fondement de l’article L. 113-1 du code des assurances, que la faute dolosive s’entend d’un acte délibéré de l’assuré commis avec la conscience du caractère inéluctable de ses conséquences dommageables. Elle reprend ainsi mot pour mot la définition qui avait été donnée le 20 janvier 2022 (n° 20-13.245, préc.) par la deuxième chambre civile (p. 6). Elle précise également que la faute dolosive n’implique pas la volonté de son auteur de créer le dommage la distinguant très nettement de la faute intentionnelle. Ainsi, en l’espèce, la cour d’appel a caractérisé une faute dolosive de l’assuré libérant l’assureur qui n’avait pas à répondre des dommages (p. 8). Dès lors qu’une telle faute est caractérisée sur le fondement d’une disposition qui est d’ordre public, les autres branches du moyen n’avaient que peu de chance d’aboutir. Par conséquent, la Cour de cassation précise que « la croyance que peut avoir l’assuré de ce que le contrat d’assurance couvre la faute qu’il commet n’est pas de nature à écarter l’exclusion légale et d’ordre public des fautes intentionnelles ou dolosives, quelle que soit la police d’assurance souscrite » (p. 15).

L’autonomie de la faute dolosive aux côtés de la faute intentionnelle confirmée par la troisième chambre civile

L’arrêt commenté confirme l’alignement de la troisième chambre civile sur la conception dualiste de la deuxième chambre civile de la faute inassurable consacrant l’autonomie de la faute dolosive prévue à l’article L. 113-1, alinéa 2, du code des assurances. Le champ de la faute inassurable s’étend, profitant aux assureurs, au détriment des assurés.

Cependant, une question essentielle reste en suspens : comment apprécier la conscience de l’assuré ? Faut-il retenir une appréciation subjective ou bien objective ? Par ailleurs, c’est sur l’assureur que pèsera la charge de la preuve que le dommage survenu allait nécessairement se produire et que l’assuré en avait conscience. Les juges du fond devront également mener des investigations afin de déterminer cette conscience ou non de l’assuré pour caractériser la faute dolosive entraînant inéluctablement la réalisation du dommage. Face à cette évolution, « les maîtres de l’ouvrage ont intérêt, pour leur part, à se conformer à leur obligation de souscrire une assurance de dommages-ouvrage, puisque la garantie de l’assureur de responsabilité pourra plus fréquemment leur être refusée en cas de manquement délibéré du constructeur aux règles de l’art » (Lettre de la troisième chambre civile, une sélection des arrêts rendus par la troisième chambre civile de la Cour de cassation, La faute dolosive en droit des assurances, p. 9, n° 10, avr. 2023).

 

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