Le besoin de logement adapté survit-il au décès de la victime directe ?
Par un arrêt du 24 septembre 2025, la première chambre civile de la Cour de cassation est venue préciser les conditions d’indemnisation de l’acquisition d’un logement adapté par une victime d’ores et déjà propriétaire de son domicile et, lorsque survient son décès, l’indemnisation des aménagements de sa résidence secondaire.
Il survient parfois que les circonstances d’une affaire contraignent le juge à se positionner non seulement sur la technique de liquidation d’un poste de préjudice mais également sur les contours des éléments qui le composent. Il en est ainsi des faits à l’origine du contentieux soumis à la première chambre civile de la Cour de cassation dans l’arrêt commenté (Civ. 1re, 24 sept. 2025, n° 22-22.162) : en raison des séquelles résultant d’une erreur médicale, une femme âgée de 77 ans doit bénéficier d’un logement adapté (tant en raison de sa locomotion en fauteuil roulant que de l’accueil d’une tierce personne nocturne). Elle décède, en cours de procédure, à l’âge de 84 ans après avoir procédé, d’une part, à l’acquisition d’une maison de plain-pied – conjointement avec son époux et sa fille – et, d’autre part, aux études nécessaires à l’aménagement de la résidence secondaire du couple. Reprenant la procédure engagée, ses ayants droit n’ont pas modifié les demandes initiales, considérant que son incontestable besoin de logement adapté avait été d’ores et déjà été subi et devait donc être indemnisé en totalité.
Sur l’acquisition du logement principal par une victime d’ores et déjà propriétaire de son domicile
La Cour de cassation a admis de longue date que la victime dans la nécessité de procéder à son relogement eu égard aux séquelles qu’elle conserve du fait dommageable n’était pas limitée aux seuls frais d’aménagement mais devait également inclure – en tout ou partie – les frais d’acquisition ou d’édification d’un nouveau logement adapté (Civ. 2e, 9 oct. 1996, n° 94-19.763, D. 1996. 234
; Crim. 10 janv. 2006, n° 05-84.226 ; Civ. 2e, 11 juin 2009, n° 08-11.127 ; 3 nov. 2011, n° 10-26.997 ; 3 mars 2016, n° 15-16.271, D. 2016. 2187, obs. M. Bacache, A. Guégan-Lécuyer et S. Porchy-Simon
; 23 mai 2019, n° 18-16.651, D. 2019. 2058, obs. M. Bacache, A. Guégan et S. Porchy-Simon
; 6 mai 2021, n° 19-25.524, D. 2021. 1980, obs. M. Bacache, A. Guégan et S. Porchy-Simon
). En revanche, la question de savoir si elle devait être indemnisée de la totalité de ces coûts (englobant éventuellement les frais annexes et notamment les frais de notaire, Civ. 2e, 17 oct. 2024, n° 22-18.905, D. 2024. 2077, obs. M. Bacache, A. Guégan et S. Porchy-Simon
) ne reçoit pas la même réponse selon les conditions d’hébergement de la victime au moment de l’accident. En effet, les récentes décisions de la Haute Cour considèrent que la victime non-propriétaire de son domicile au moment des faits (qu’elle soit locataire ou hébergée par des proches) doit être indemnisée de l’intégralité des coûts d’acquisition ou d’édification (Civ. 2e, 18 mai 2017, n° 16-15.912, Dalloz actualité, 8juin 2017, obs. N. Kilgus ; D. 2017. 1701
, note G. Hilger
; ibid. 2224, obs. M. Bacache, A. Guégan-Lécuyer et S. Porchy-Simon
; 2 févr. 2017, n° 15-29.527, D. 2017. 2224, obs. M. Bacache, A. Guégan-Lécuyer et S. Porchy-Simon
) sans que l’on ne tienne compte des sommes que la victime aurait dépensé pour se loger (Civ. 2e, 5 févr. 2015, n° 14-16.015 ; 14 avr. 2016, n° 15-16.625, Dalloz actualité, 21 avr. 2016, obs. N. Kilgus ; D. 2016. 895
; ibid. 2187, obs. M. Bacache, A. Guégan-Lécuyer et S. Porchy-Simon
; ibid. 2017. 24, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz
; ibid. 375, obs. M. Mekki
). A contrario, s’agissant de la victime d’ores et déjà propriétaire de son logement, la jurisprudence tient habituellement compte de la valeur du bien occupé par la victime (éventuellement à dire d’expert) qu’elle déduit du coût total de son acquisition (par ex., Civ. 2e, 13 juin 2013, n° 10-11.834) respectant d’ailleurs à la lettre les termes de la nomenclature Dintilhac qui prévoit l’indemnisation d’un domicile « découlant de l’acquisition d’un domicile mieux adapté, prenant en compte le surcoût financier engendré par cette acquisition ». Au cas particulier de cette affaire, la demanderesse, déjà propriétaire de son domicile, avait fait l’acquisition d’un nouveau logement adapté conjointement avec son époux mais également avec sa fille qui avait d’ailleurs réalisé un apport bien supérieur à celui effectué par la victime. Logiquement, et conformément à la jurisprudence (Civ. 2e, 12 juin 2014, n° 12-29.108), les ayants droit de la victime sollicitaient donc l’indemnisation de la part que celle-ci avait personnellement supportée sans toutefois déduire la valeur du logement occupé au moment des faits. La première chambre civile, en décidant que les premiers juges avaient « à bon droit » opéré cette déduction et, en l’absence de reliquat, rejeté sa demande, est ainsi venue conforter cette jurisprudence.
La survenue du décès de la victime avant l’aménagement de sa résidence secondaire
Si l’arrêt de la première chambre vient également consacrer la possibilité pour la victime directe d’être indemnisée des aménagements réalisés dans la résidence secondaire dont elle disposait antérieurement à l’accident, comme nombre de décisions de cour d’appel l’accordent habituellement (par ex., Versailles, 9 févr. 2023, n° 21/00371), elle vient surtout en fixer les limites en éclairant la notion de « besoin » invoquée par ses ayants droit pour réclamer l’intégralité du coût des aménagements quand-bien même ceux-ci n’avaient pas été réalisés du vivant de la victime. En effet, appliquant la même méthodologie que pour les postes d’assistance par tierce personne (Crim. 21 févr. 1991, n° 90-81.542 ; Civ. 2e, 3 févr. 1993, n° 91-16.966 ; 16 nov. 1994, n° 93-11.177, D. 1994. 269
; RTD civ. 1995. 377, obs. P. Jourdain
; 4 mai 2000, n° 98-19.903, D. 2000. 154
; 5 juin 2003, n° 01-16.335, D. 2003. 1735
) et plus récemment pour les dépenses de santé (Civ. 2e, 28 nov. 2024, n° 23-15.841, Dalloz actualité, 16 déc. 2024, obs. N. Allix ; D. 2024. 2110
; RTD civ. 2025. 338, obs. P. Jourdain
), les ayants droit soutenaient que c’était le besoin d’aménagement qui devait être indemnisé jusqu’à la date du décès et qu’en vertu du principe de libre disposition, ils n’avaient pas à justifier de la dépense supportée pour leur réalisation. Si la Cour de cassation avait déjà rejeté de telles demandes en vertu de l’appréciation souveraine des juges du fonds (Crim. 24 nov. 2015, n° 14-86.592), la première chambre civile y a apporté, par cet arrêt, une réponse de principe en précisant que, « si le droit pour la victime indirecte d’obtenir réparation du préjudice subi existe dès la survenue du dommage de la victime directe, ce préjudice est évalué au jour du jugement et que, lorsque la victime directe est décédée, il est évalué pour la période comprise entre la survenue du dommage et le décès au vu des justificatifs produits par la victime indirecte ». Compte tenu de l’accroissement patrimonial que constitue pour la victime l’indemnisation de ce poste de préjudice, une telle solution ne surprend guère.
Civ. 1re, 24 sept. 2025, F-B, n° 22-22.162
par Aurélie Coviaux, Avocate spécialisée en droit du dommage corporel, Membre de l’ANADAVI
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