Le cadre des enquêtes menées par l’Autorité de la concurrence sous le prisme des pouvoirs de contrôle de l’autorité judiciaire

Jugeant que le président de la cour d’appel avait outrepassé ses compétences en statuant sur des éléments transmis après la fin de visites régulièrement autorisées et menées par l’Autorité de la concurrence, la chambre criminelle a rappelé que le cadre procédural de l’enquête lourde doit être interprété strictement tant au regard de sa temporalité que de la compétence d’attribution accordée à l’autorité judiciaire de contrôle.

Face à la complexification des infractions à la concurrence, le législateur a jugé nécessaire de doter l’autorité régulatrice de prérogatives accrues pour garantir une plus grande efficience des procédures de contrôle. Cet élargissement des pouvoirs d’investigations permet à l’Autorité de la concurrence, autorité extrajudiciaire, de mener toujours plus loin des investigations pouvant mener à des sanctions. Ainsi, si ces sanctions n’ont pas toujours une nature pénale, il ne faut pas pour autant perdre de vue l’équilibre nécessaire entre efficacité de l’enquête et protection des droits de la défense. À ce titre, la Cour de cassation réunie en chambre criminelle a rendu un arrêt intéressant le 24 septembre 2024. Par cet arrêt, la Cour a délimité les pouvoirs de contrôle du juge à l’encontre des investigations menées par l’Autorité.

Les faits sont assez simples : soupçonnant l’existence de pratiques anticoncurrentielles dans le secteur des solutions globales de caisses et des produits et services associés destinés aux commerces de tabac/presse, le rapporteur général de l’Autorité de la concurrence a saisi le juge des libertés et de la détention (JLD) afin d’obtenir, sur le fondement de l’article L. 450-4 du code de commerce, l’autorisation de procéder à des visites et saisies dans les locaux d’une société. Cette mesure a été autorisée par le JLD et régulièrement menée par l’Autorité. Lors de ces opérations, la société s’est engagée à remettre treize fichiers informatiques non saisis au jour de l’opération. Ces fichiers ont été remis à l’Autorité de la concurrence dans les jours suivants, et ce alors que la mesure était terminée.

La société décide alors de contester la régularité de la remise de ces treize fichiers en formant un recours devant le premier président de la Cour d’appel de Paris, en application des dispositions de l’article L. 450-4, alinéa 12, du code de commerce. Ce dernier constate l’irrégularité de la remise ultérieure à la mesure et ordonne la restitution des documents remis.

Sur la forme, l’attendu est remarquable à deux égards : d’une part, en ce qu’il repose sur un moyen relevé d’office par le juge de la cassation et, d’autre part, en le rendant au visa de l’article L. 450-4, alinéa 12, du code de commerce et en le publiant au Bulletin. Sur le fond, la Cour affirme de façon quelque peu lapidaire que le premier président de la cour d’appel avait méconnu sa compétence en statuant sur des remises effectuées hors des opérations de visites régulièrement effectuées.

Portée de la compétence d’attribution en matière d’enquête lourde

Pour rappel, en matière de pratiques anticoncurrentielles, l’Autorité de la concurrence dispose de deux types de procédures d’enquête : l’enquête simple et l’enquête lourde, chacune adaptée à la gravité et à la complexité des faits examinés. L’enquête simple, prévue à l’article L. 450-3 du code de commerce, permet aux agents de constater, de demander des informations et documents et pénétrer dans les lieux ouverts au public ou présentant, au moment de la visite, une activité décrite à l’alinéa 2 de l’article. À l’inverse, l’enquête lourde intervient lorsque les indices de pratiques anticoncurrentielles nécessitent une investigation approfondie. Elle donne à l’Autorité le droit de procéder à des visites et saisies au sein des entreprises, de consulter des documents confidentiels et de convoquer des dirigeants à des auditions formelles.

En soutenant que le premier président ne peut, sans méconnaître sa compétence, exercer son contrôle sur l’obtention d’éléments transmis alors que la « visite régulièrement autorisée a pris fin », la Cour se contente de rappeler que l’articulation entre enquête simple et lourde est marquée par la dichotomie entre procédure spéciale et générale. En effet, une lecture comparative des articles L. 450-4 et L. 450-3 du code de commerce permet de constater que la première est une mesure spéciale qui débute par ordonnance du JLD. De la nature spéciale de cette procédure, il faut nécessairement déduire une compétence d’attribution stricte de l’autorité juridictionnelle de contrôle. La Cour de cassation se contente de rappeler que le premier président ne contrôle que le « déroulement des opérations de visite et saisie » réalisée dans le cadre de l’enquête lourde. Ce faisant, elle fait une interprétation stricte de l’article L. 450-4 du code de commerce et notamment de son alinéa 12.

Cependant, il est intéressant de noter qu’elle persévère dans cette méthode en cloisonnant strictement le domaine temporel de l’enquête lourde, en rendant indifférente la mention portée au procès-verbal lors de la visite.

Indifférence de la mention portée au procès-verbal de visite

En précisant que le président de la cour d’appel a méconnu sa compétence « quand bien même l’engagement pris d’une telle remise serait mentionné dans le procès-verbal de visite », la Cour de cassation pose un principe intéressant : un acte initié dans le cadre d’une enquête lourde mais continué hors de ce cadre entre dans le champ d’application de l’enquête simple. En l’espèce, les investigations avaient été autorisées et se sont déroulées du 23 au 24 juin 2022. Lors de la visite, la société visitée s’est engagée à transmettre les fichiers litigieux aux autorités quelques jours plus tard. Cet engagement a été mentionné au procès-verbal dressé le jour de la visite et exécuté comme convenu. Décidant que cette mention était indifférente quant à la qualification du cadre de ces remises, la Cour a jugé qu’elles étaient étrangères à l’enquête lourde et donc au contrôle du premier président.

Cette partie de l’attendu est certainement la plus intéressante, l’interprétation de la Cour venant combler un vide laissé par la législation au sujet du domaine des opérations de l’enquête lourde. Très orthodoxe, la chambre criminelle opte une nouvelle fois pour une interprétation stricte du cadre temporel de ces enquêtes. À ce titre, il apparaît que la qualification d’une mesure procédurale dépend de la date de sa réalisation effective indépendamment des actes préparatoires antérieurs.

Une interrogation demeure quant à la manière dont la Cour pourrait appliquer cette articulation de façon générale. En l’espèce, les documents litigieux auraient normalement dû être saisis lors de la visite, tel que le prévoit l’article L. 450-4. Ils ont finalement été transmis à la demande des autorités, ce que prévoit l’article L. 450-3. Ainsi, dans ce cas de figure précis, le cadre procédural de l’enquête légère pouvait facilement se substituer à celui de l’enquête lourde. Aussi, une question demeure : la solution serait-elle identique lorsque les deux cadres procéduraux ne peuvent se substituer l’un à l’autre ?

 

Crim. 24 sept. 2024, FS-B, n° 23-82.230

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