Le changement de nature du motif de refus d’exécution du mandat d’arrêt européen réfuté par la Cour de justice

Des années après son adoption, la décision-cadre relative au mandat d’arrêt européen suscite toujours autant d’interrogations. En témoigne les trois arrêts rendus par la Cour de justice de l’Union européenne, le 21 décembre 2023, après avoir été saisie de diverses questions préjudicielles soulevées par le Tribunal régional supérieur de Berlin. Concrètement, elles portent sur l’applicabilité, puis sur l’application de l’article 4 bis, § 1er, du texte, lequel prévoit un motif de refus facultatif en présence d’un jugement rendu par défaut.

Les faits sont relatifs à l’exécution de trois mandats d’arrêt européen (ci-après MAE) émis par l’autorité judiciaire allemande contre deux ressortissants polonais (aff. C-396/22 et C-397/22) et un ressortissant tchèque (aff. C-398/22) afin qu’ils exécutent, en Pologne ou en République tchèque, des peines privatives de liberté prononcées à l’occasion de condamnations rendues par défaut.

Dans le premier arrêt, une décision judiciaire a été rendue, par défaut, le 30 octobre 2019, à l’encontre de la personne faisant l’objet d’un MAE, par un Tribunal régional polonais. En réalité, ce jugement en englobe plusieurs : l’un auquel il était présent et qui procédait à la confusion de plusieurs peines prononcées antérieurement, l’autre durant lequel il était à nouveau absent. Cependant, les citations à comparaître aux audiences avaient été précédées d’un avis des services postaux envoyé par les autorités polonaises compétentes vers sa résidence permanente. Elles étaient donc, en vertu du droit de cet État, réputées lui avoir été signifiées (§§ 10 et 11 de l’aff. C-396/22, préc.).

Dans le deuxième arrêt, un jugement en date du 25 février 2020 a condamné un individu, lequel a interjeté appel, mais le Tribunal régional polonais l’a rejeté sans procéder à un examen sur le fond de l’affaire. Durant l’intégralité de la procédure, l’intéressé n’a pas comparu en personne et n’a pas non plus été représenté par un avocat. S’il avait réceptionné la citation à comparaître en première instance et les motifs du jugement, à l’adresse indiquée aux autorités polonaises compétentes à l’occasion de son arrestation comme étant celle de sa résidence permanente, il n’en allait pas de même lors de la procédure d’appel. Elle avait, en effet, été réceptionnée non pas par l’intéressé, mais par sa compagne. À ce titre, l’autorité judiciaire d’émission du MAE n’a pas été en mesure de prouver que celle-ci l’avait effectivement remise à l’intéressé (§§ 8, 9 et 10 de l’aff. C-397/22, préc.).

Dans le troisième arrêt, un jugement a été rendu le 19 juin 2020, lequel a été réformé en appel, en faveur de l’intéressé, par une Cour régionale tchèque. Si ce dernier a comparu en personne à l’audience en première instance, il n’en va pas de même lors de la procédure d’appel. La citation à comparaître en appel envoyée à l’adresse indiquée aux autorités tchèques compétentes, comme étant celle de sa résidence permanente, a été déposée dans sa boîte aux lettres le 17 août 2020. Or, sans prévenir les autorités tchèques, il aurait, entre-temps, déménagé en Allemagne, l’empêchant alors de prendre connaissance de la citation à comparaître. Pour autant, au regard du droit tchèque, cette dernière était réputée avoir été notifiée à l’intéressé le dixième jour suivant l’invitation à la récupérer (§§ 7, 8, 9 et 10 de l’aff. C-398/22, préc.).

Les trois intéressés avaient été arrêtés sur le fondement du MAE puis placés en détention provisoire par les autorités allemandes en vue de leurs remises aux États d’émission. Néanmoins, le procureur général de Berlin a demandé que ces dernières soient déclarées illicites (§ 13 de l’aff. C-396/22 ; § 14 de l’aff. C-397/22 ; § 13 de l’aff. C-398/22), voire d’annuler les MAE (§ 14 de l’aff. C-397/22 ; § 13 de l’aff. C-398/22). En effet, une règlementation allemande oblige à refuser l’exécution d’un MAE lorsque l’intéressé a fait l’objet d’une condamnation par défaut au sein de l’État d’émission de la demande alors que la décision-cadre en fait un motif facultatif de refus. À ce titre, le Tribunal régional supérieur de Berlin a décidé de surseoir à statuer et de poser diverses questions préjudicielles à la Cour de justice.

Elles portaient sur le sens de l’article 4 bis, § 1, de la décision-cadre 2002/584/JAI relative au MAE et aux procédures de remise entre États membres, telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299/JAI du Conseil, du 26 février 2009 (ci-après la décision-cadre). Cette disposition propre aux « décisions rendues à l’issue d’un procès auquel l’intéressé n’a pas comparu en personne » énonce que « l’autorité judiciaire d’exécution peut également refuser d’exécuter le mandat d’arrêt européen délivré aux fins d’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté, si l’intéressé n’a pas comparu en personne au procès qui a mené à la décision ». En suivant, le texte liste diverses hypothèses obligeant l’exécution du MAE si « en temps utile » : soit l’intéressé a été cité à personne et a été informé de la date et du lieu fixés pour le procès qui a mené à la décision, soit en a été informé officiellement et effectivement par d’autres moyens, de telle sorte qu’il a été établi de manière non équivoque qu’il en a eu connaissance ; soit a été notifié qu’une décision pouvait être rendue en cas de non-comparution.

Deux questions préjudicielles demeurent communes aux trois affaires, même si elles se subdivisent et présentent des spécificités propres aux cas d’espèce. La première s’intéresse au sens de la notion autonome de « procès ayant mené à la décision » visée à la fin de l’article 4 bis, § 1, de la décision-cadre (§ 24, 1), de l’aff. C-396/22 ; § 29, 2), de l’aff. C-397/22 ; § 25, 1), de l’aff. C-398/22). Concrètement, si les jugements rendus, en l’espèce, par défaut sont considérés comme des « procès ayant mené à la décision », la disposition pouvait être appliquée. La seconde s’intéresse, quant à elle, à son application. Ainsi, elle doit déterminer s’il apparaît compatible avec la primauté du droit de l’Union, le fait pour le législateur allemand d’avoir érigé la condamnation par défaut en obstacle absolu à la remise alors que l’article 4 bis, § 1, de la décision-cadre ne prévoit à cet égard qu’un motif facultatif de refus (§ 24, 2), de l’aff. C-396/22 ; § 29, 3), de l’aff. C-397/22 ; § 25, 2), de l’aff. C-398/22). Une dernière question propre à une seule affaire a été posée (aff. C-397/22). Partant, les juges luxembourgeois doivent caractériser le régime probatoire lié à la démonstration de la réception d’une citation à comparaître lorsque cette dernière est reçue par une personne adulte cohabitant avec l’intéressé, toujours à l’aune du même texte (§ 29, 1), de l’aff. C-397/22).

Afin de répondre à l’ensemble de ces interrogations, la Cour de justice de l’Union va : d’abord, après avoir rappelé le caractère autonome de la notion de « procès ayant mené à la décision », conclure à l’applicabilité de l’article 4 bis, § 1, de la décision-cadre dans les trois espèces ; ensuite, l’appliquer et considérer que la règlementation allemande, prévoyant comme motif de refus obligatoire la condamnation par défaut, est contraire à la décision-cadre ; enfin, affirmer qu’il appartient à l’autorité judiciaire d’émission d’apporter la preuve que l’intéressé a effectivement reçu la citation à comparaître.

La qualification de « procès » justifiant l’applicabilité de l’article 4 bis, § 1, de la décision-cadre

S’interroger sur l’expression de « procès ayant mené à la décision », ne poursuit qu’un seul but pour la Cour de justice : celui d’affirmer, ou au contraire de réfuter, l’applicabilité de l’article 4 bis, § 1, de la décision-cadre.

À cette fin, elle rappelle le caractère autonome de la notion de « procès ayant mené à la décision » visée par la disposition, laquelle « doit être appréhendée comme une notion autonome du droit de l’Union et interprétée de manière uniforme sur le territoire de cette dernière, indépendamment des qualifications dans les États membres » (§ 26 de l’aff. C-39/22 ; § 43 de l’aff. C-397/22 ; § 28 de l’aff. C-398/22).

Cette autonomie avait déjà été consacrée par la Cour de justice dans un arrêt en date du 10 août 2017 (Tupikas, aff. C-270/17, § 67), puis rappelée quelques mois plus tard (CJUE 22 déc. 2017, Ardic, aff. C-571/17, § 63). En réalité, depuis 2008, la décision-cadre est passée au crible de la Cour de justice, laquelle a déjà autonomisé certaines notions de l’instrument à l’image de « demeurer », « même fait », « cité à personne », « information effective de la date du procès », « détention » ou encore « autorité judiciaire ».

À l’aune de sa jurisprudence antérieure, elle va se prononcer sur les trois cas d’espèce. Concrètement, la décision globale, en date du 30 octobre 2019, opérant une confusion a posteriori de peines prononcées antérieurement, mais dont le juge ne peut ni réexaminer la déclaration de culpabilité ni modifier les peines prononcées, constitue-t-elle un procès ? À ce titre, la Cour de justice avait jugé qu’une procédure permettant la confusion de peines constitue un procès, à la condition que le juge ait bénéficié à cet égard d’un certain pouvoir d’appréciation et qu’elle donne lieu à une décision qui statue définitivement sur la peine (CJUE 10 août 2017, Zsziaszek, aff. C-271/17). Elle déduit, en l’espèce, que le juge dispose, en vertu de la législation nationale pertinente, d’une certaine marge de manœuvre quant à la détermination du niveau de cette peine globale (§ 33 de l’aff. C-396/22). Elle répond donc par l’affirmative à la question relative à l’applicabilité de l’article 4 bis, § 1, de la décision-cadre (§ 34 de l’aff. C-396/22).

Elle va aller dans le même sens concernant les deux autres affaires où elle faisait, cette fois, face à deux instances successives. Elle va considérer que relève de la notion autonome de l’Union, permettant l’applicabilité de l’article 4 bis, § 1, de la décision-cadre, la procédure d’appel en l’absence de l’intéressé ayant abouti : soit à un jugement confirmant la décision prononcée en première instance, durant laquelle il était présent, sans que l’affaire ait été réexaminée sur le fond (§ 41 de l’aff. C-397/22) ; soit à réformer la décision de première instance dans un sens favorable (§ 26 de l’aff. C-398/22). Pour justifier ces solutions, elle rappelle que la notion de procès doit être comprise comme désignant la procédure qui a conduit à la décision judiciaire ayant définitivement condamné la personne dont la remise est sollicitée dans le cadre de l’exécution d’un MAE (§ 44 de l’aff. C-397/22 ; § 29 de l’aff. C-398/22). Par conséquent, la circonstance qu’une personne condamnée en première instance interjette appel pour défendre ses droits ne saurait avoir pour effet de réduire la protection que la décision-cadre entend lui conférer (§ 52 de l’aff. C-397/22 ; § 31 de l’aff. C-398/22). De surcroît, ni l’exclusion d’un examen au fond ni le résultat de la décision rendue en appel n’ont une incidence sur la notion de « procès ayant mené à la décision » (§ 53 de l’aff. C-397/22 ; § 31 de l’aff. C-398/22).

En somme, dans ces trois hypothèses il était bien question de « procès » au sens de la décision-cadre. Partant, son article 4 bis, § 1, lequel se veut a priori protecteur lors de la mise en œuvre du MAE dans le cas d’un jugement rendu par défaut, était applicable. Ainsi, qu’en est-il de son application dans ces diverses espèces ? En répondant à cette interrogation, la Cour de justice précise à quel point la nature des motifs d’exécution du MAE sont encadrés très strictement par le droit dérivé.

L’encadrement strict de la nature des motifs de refus d’exécution lié à l’application de l’article 4 bis, § 1, de la décision-cadre 

Contrairement à l’extradition de droit commun, où une marge de manœuvre est laissée à l’État requis, l’article 1er, § 2, de la décision-cadre rappelle la règle selon laquelle les États membres demeurent tenus d’exécuter le MAE sur la base du principe de reconnaissance mutuelle, hormis dans des circonstances exceptionnelles, exhaustivement énumérées par le droit dérivé. En somme, « alors que l’exécution d’un mandat d’arrêt européen constitue le principe, le refus d’exécution de celui-ci est conçu comme une exception qui doit faire l’objet d’une interprétation stricte » (§ 36 de l’aff. 396/22 ; § 55 de l’aff. 397/22 ; § 37 de l’aff. 398/22). Ainsi, l’instrument énonce explicitement : d’une part, les motifs obligatoires (art. 3) et, d’autre part, les motifs facultatifs (art. 4 et 4 bis) de non-exécution d’un MAE. Concrètement, l’article 4 bis, § 1, vise un motif facultatif de non-exécution d’un mandat d’arrêt européen délivré aux fins d’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté, si l’intéressé n’a pas comparu en personne au procès qui a abouti à sa condamnation. Pour autant, cette faculté apparaît assortie de quatre exceptions, lesquelles obligent l’exécution du MAE (§ 38 de l’aff. C-396/22 ; § 57 de l’aff. C-387/22 ; § 39 de l’aff. C-398/22). Parmi elles figure, en l’espèce, une de ces dérogations. En effet, si l’intéressé a été absent durant son procès, mais qu’il a été en temps utile informé de la date et du lieu de telle sorte qu’il a été établi de manière non équivoque qu’il en a eu connaissance, le MAE ne peut être en aucun cas refusé (art. 4 bis, § 1, a), i), de la décision-cadre). Ainsi, lorsqu’une citation à comparaître est signifiée à l’intéressé par la remise de celle-ci à une personne adulte cohabitant avec lui, il appartient à l’autorité judiciaire d’émission d’apporter la preuve que l’intéressé l’a effectivement reçue (§ 40 de l’aff. C-397/22). La Cour de justice apparaît donc exigeante sur ce point en rejetant l’idée d’une quelconque présomption de réception envisagée par le droit polonais. Par conséquent, sans cette preuve, le MAE pouvait, et non devait, ne pas être exécuté, comme dans les deux autres affaires, les critères de l’exception n’étant pas remplis.

La difficulté réside dans le fait qu’en Allemagne – État d’exécution des trois MAE –, une règlementation oblige à refuser l’exécution d’un MAE lorsque l’intéressé a fait l’objet d’une condamnation par défaut au sein de l’État d’émission de la demande.

Autrement dit, elle en fait un motif obligatoire de refus alors que le droit dérivé le consacre comme un motif facultatif. Ce texte national apparaît donc en contradiction avec le droit de l’Union. Or en vertu de sa primauté, « les autorités des États membres, y compris les juridictions, sont tenues de procéder, dans toute la mesure du possible, à une interprétation conforme de leur droit national qui leur permet d’assurer un résultat compatible avec la finalité poursuivie par cette décision-cadre » (§ 46 de l’aff. C-396-22 ; § 65 de l’aff. C-387-22 ; § 47 de l’aff. C-398-22). Cette dernière ne peut pas produire d’effet direct, comme le rappelle la Cour de justice, mais leur caractère contraignant entraîne « à l’égard des autorités nationales une obligation d’interprétation conforme de leur droit interne à partir de la date d’expiration du délai de transposition du texte » (§ 47 de l’aff. C-396-22 ; § 66 de l’aff. C-387-22 ; § 48 de l’aff. C-398-22). Pour autant, cette décision doit être relativisée dans les faits. En réalité, même si, au regard de la primauté du droit de l’Union, les droits nationaux ne peuvent pas envisager un motif de refus obligatoire à la place d’un motif de refus facultatif, l’autorité judiciaire aura toujours le choix d’exécuter ou non la demande d’extradition.

Cette situation n’est pas propre à l’Allemagne. D’autres États membres ont modifié la nature des motifs de refus au moment de la transposition de la décision-cadre. À titre d’illustration, en France, la loi Perben II avait pris quelques libertés en considérant comme obligatoire un motif de refus alors que l’Union avait précisé son caractère facultatif quand « les faits pour lesquels il a été émis pouvaient être poursuivis et jugés par les juridictions françaises et que la prescription de l’action publique ou de la peine se trouve acquise ». La loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire, à la suite d’une procédure d’infraction lancée contre la France par la Commission européenne, a donc remédié à cette situation, se mettant en conformité avec le droit de l’Union. Quoi qu’il en soit, la Cour de justice n’a pas fini d’entendre parler du mandat d’arrêt européen. 

 

CJUE 21 déc. 2023, aff. C-396/22

CJUE 21 déc. 2023, aff. C-397/22

CJUE 21 déc. 2023, aff. C-398/22

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