Le Conseil d’État planche sur la responsabilité pénale des élus

Un rapport du conseiller d’État Christian Vigouroux est consacré à la responsabilité des élus. Un sujet qui revient fréquemment et qui sera prochainement à l’ordre du jour du Parlement. Les préconisations sont nombreuses : réforme des délits de prise illégale d’intérêt et de favoritisme, élargissement de la protection fonctionnelle, modification de loi Fauchon.

Au gré des différentes affaires, la question de la responsabilité pénale des élus est régulièrement remise en cause. Le conseiller d’État Christian Vigouroux a été chargé d’un rapport sur le sujet. Intitulé « Sécuriser l’action des autorités publiques dans le respect de la légalité et des principes du droit », il marche sur une ligne de crête. Comment sécuriser les élus et les inciter à la « prise de risque » quand les circonstances l’imposent, sans remettre en cause les efforts accomplis pour moraliser la vie publique et respecter le principe de précaution ?

Le rapport devrait servir prochainement notamment lors de l’étude de la proposition de loi de la députée Violette Spillebout (Ensemble) sur le statut des élus.

Réformer la prise illégale d’intérêts et le favoritisme

Le rapport souhaite d’abord « prévenir une répression pénale injustifiée » tout en continuant de juger illégaux les comportements qui doivent l’être. Les conflits entre deux intérêts publics ne seraient plus sanctionnés. Christian Vigouroux veut revoir le délit de prise illégale d’intérêts. Régulièrement critiqué par son caractère large, ce délit ne prend pas en compte l’intentionnalité de l’auteur : des élus peuvent être poursuivis pour avoir participé à des délibérations sur un autre organisme publique dans lequel ils siègent. Si les procédures n’aboutissent pas toujours à une condamnation, elles sont longues.

La réforme du délit en 2021 n’a « pas permis de restreindre le champ de l’infraction » contrairement à ce que souhaitaient ses initiateurs (Crim. 5 avr. 2023, n° 21-87.217, Dalloz actualité, 20 avr. 2023 ; AJDA 2023. 693 ; D. 2023. 688 ; JA 2023, n° 679, p. 3, édito. B. Clavagnier ; AJ pénal 2023. 240, obs. S. Kanoun ; AJCT 2023. 505 , obs. J. Lasserre Capdeville ; ibid. 506, interview S. Dyens ). Le rapport propose d’aller plus loin en ne poursuivant plus l’élu d’une collectivité qui prendrait une décision en lien avec l’activité d’un autre service public administratif, « en l’absence d’intérêt personnel déterminant ». Actuellement le délit est constitué quand l’élu à un autre intérêt « de nature à compromettre » son impartialité, indépendance ou objectivité. Cela pourrait être remplacé par la référence à un intérêt « compromettant » ces mêmes exigences, ce qui serait plus restreint.

Pour répondre sans crainte aux urgences, le rapport propose de ne pas pénaliser un élu qui aurait agi « en vue de répondre à un motif impérieux d’intérêt général ». Tel serait le cas du maire « contraint, afin de faire face à un sinistre, de conclure en urgence un marché au bénéfice d’une entreprise exploitée par un proche, alors que celle-ci était la seule en mesure d’intervenir efficacement à brève échéance ».

Le rapport préconise des modifications semblables pour le délit de favoritisme, jugé « purement formel » et qui aboutit à condamner des agents qui n’ont pas respecté toutes les règles de la commande publique mais qui « n’ont jamais cherché à avantager qui que ce soit ». Parmi les pistes : l’exonération de responsabilité pénale pour un motif « d’intérêt général impérieux » ou la suppression de la peine de prison quand les faits relèvent de la négligence administrative.

Une nouvelle modification de la loi Fauchon

Autre sujet qui revient régulièrement : la responsabilité pénale des élus qui n’ont pas fait respecter toutes les règles de sécurité.

Le rapport veut aller plus loin que la « loi Fauchon-Guigou », sans bouleverser ses équilibres. Il propose ainsi de limiter la mise en cause pénale des personnes qui accomplissent une action nécessaire à la prévention d’un « danger actuel ou imminent pour l’intégrité des personnes ». Cela permettrait de protéger, par exemple, le responsable d’une agence régionale de santé qui en cas de crise majeure, ferait appel à des réservistes ne disposant pas de toutes les qualifications normalement requises ou des pompiers en intervention contraints de prioriser le secours à telle ou telle personne.

Face à la complexité administrative, Christian Vigouroux préconise aussi l’instauration d’un droit à l’erreur des élus. Ne serait pas responsable pénalement, la personne qui applique « la règle de droit conformément à l’interprétation formelle qu’en donnait une autorité administrative compétente », sauf s’il ne pouvait « se méprendre sur l’illégalité d’une telle interprétation » (par ex., en raison de son expérience). Même irresponsabilité pour la personne qui accomplirait un acte interdit mais « expressément autorisé par l’autorité légitime, sauf illégalité manifeste ».

Elargir la protection fonctionnelle

Le rapport souhaite aussi élargir les conditions d’octroi de la protection fonctionnelle. Elle serait ouverte en audition libre et les élus en bénéficieraient en garde à vue ou s’ils sont témoins assistés. Elle pourrait être étendue à tous les conseillers municipaux, départementaux ou régionaux. Le rapport propose aussi de qualifier de « non détachables du service », susceptibles d’ouvrir droit au bénéfice de la protection fonctionnelle, certains faits donnant lieu à des poursuites pénales pour favoritisme ou prise illégale d’intérêts. Toutefois, le rapport est silencieux sur les abus de protection fonctionnelle constatés dans certaines collectivités où les élus multiplient les procédures.

Le rapport propose enfin des préconisations diverses, comme renforcer les moyens d’enquêtes pour accélérer les procédures, favoriser le dépaysement des procédures dans une autre cour d’appel ou permettre la saisine directe de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique ou l’Agence française anticorruption sur les questions déontologiques.

 

© Lefebvre Dalloz