Le Conseil d’État précise les critères justifiant la dissolution d’une association ou d’un groupement de fait

Par quatre décisions attendues relatives au mouvement les Soulèvements de la Terre, au Groupe antifasciste Lyon et environs, au groupement l’Alvarium et à l’association Coordination contre le racisme et l’islamophobie, la section du contentieux du Conseil d’État précise le cadre juridique autorisant que soit prononcée la dissolution d’une association ou d’un groupement de fait.

D’emblée, le Conseil d’État précise qu’« eu égard à la gravité de l’atteinte portée par une mesure de dissolution à la liberté d’association, principe fondamental reconnu par les lois de la République, les dispositions de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure sont d’interprétation stricte et ne peuvent être mises en œuvre que pour prévenir des troubles graves à l’ordre public ».

Ce préalable, nécessaire au regard l’affirmation de ce principe fondamental reconnu par les lois de la République depuis le 16 juillet 1971 (Cons. const. 16 juill. 1971, n° 71-44 DC), permet immédiatement d’avertir le lecteur de la balance des intérêts à réaliser entre la liberté d’association d’une part et la prévention de troubles graves à l’ordre public.

Au terme de ces décisions, il apparait que le contrôle de la mise en œuvre des dispositions de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieur nécessite une analyse en trois temps.

Identifier une association ou un groupement de faits

Si la question ne pose pas de difficulté dans le cadre d’une association, il en va différemment d’un groupement de fait. Pour parvenir à identifier un tel groupement, le Conseil d’État avait antérieurement considéré que constitue un groupement de fait au sens de l’art. L. 212-1 « un groupe de personnes organisé en vue de leur expression collective » (v. en ce sens, CE 17 nov. 2006, n° 296214, Capo Chichi, Lebon  ; AJDA 2006. 2256  ; D. 2006. 3009 ).

En l’espèce, le Conseil d’État utilise un faisceau d’indices. Ainsi, le groupement de fait est « identifiable au travers de sa dénomination, de son logo et de ses publications réalisées sur son site internet et les réseaux sociaux » (décis. n° 476384, pt 7). Un groupement est également identifié s’il « dispose de comptes sur plusieurs réseaux sociaux, d’un site internet, d’un local où se réunissent ses membres, qui s’acquittent d’une cotisation annuelle, d’un emblème et de supports de communication par voie d’affiches, de stickers et de vêtements » (décis. n° 460457, pt 6).

Un groupement ou une association qui provoque à des manifestations armées ou à des agissements violents à l’encontre des personnes ou des biens

La notion de « provocation » au sens des dispositions de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure était affectée par une forme d’équivocité. En réponse, le Conseil d’État estime que la provocation est caractérisée lorsqu’une association ou un groupement « incite des personnes, par propos ou par actes, explicitement ou implicitement, à se livrer à des manifestations armées ou à des agissements violents à l’encontre des personnes ou des biens»

La provocation est donc interprétée de manière extensive par le Conseil d’État. Il considère d’ailleurs qu’elle est acquise dans chacune des quatre situations d’espèces. La juridiction estime par exemple que « le fait de légitimer publiquement des agissements violents présentant une gravité particulière, quels qu’en soient les auteurs, constitue une provocation au sens de ces mêmes dispositions ». Elle ajoute, « constitue également une telle provocation le fait, pour une organisation, de s’abstenir de mettre en œuvre les moyens de modération dont elle dispose pour réagir à la diffusion sur des services de communication au public en ligne d’incitations explicites à commettre des actes de violence ».

Le Conseil d’État tempère son interprétation extensive en estimant que pour pouvoir autoriser une dissolution, la provocation doit être « de nature à troubler gravement l’ordre public ». Le critère de la gravité ici mis en œuvre témoigne d’une appréciation plus restrictive que celle habituellement identifiée en matière de police administrative.

L’exigence d’un trouble « grave » se retrouve par exemple à l’article L. 332-16-1 du code du sport en matière de d’interdiction de déplacement des supporters d’une équipe ou encore à l’article 23-1 de la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995. Ce dernier texte étant relatif aux rassemblements exclusivement festifs à caractère musical organisés par des personnes privées dans des lieux qui ne sont pas au préalable aménagés à cette fin (dits rave-parties).

La qualification du trouble « grave » pourra donc permettre de nourrir des argumentations contentieuses.

Les décisions d’espèce permettent de considérer que le fait de légitimer des violences sur les réseaux sociaux, de relayer des appels à commettre des dégradations (décis. n° 476384, pt 10), de propager « des idées justifiant la discrimination et la haine » (décis. n° 460457, pt 7), de tenir des propos réguliers imposant « l’idée que les pouvoirs publics, la législation, les différentes institutions et autorités nationales ainsi que de nombreux partis politiques et médias seraient systématiquement hostiles aux croyants de religion musulmane et instrumentaliseraient l’antisémitisme pour nuire aux musulmans » (décis n° 459704, et n° 459737 pt 9) ou d’appeler « explicitement à commettre des agissements violents sur les biens ou les personnes » (décis. n° 464412, pt 8) constituent des troubles graves à l’ordre public susceptibles d’entrer dans le champ des dispositions l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure.

Une dissolution qui doit présenter un caractère adapté, nécessaire et proportionné à la gravité des troubles susceptibles d’être portés à l’ordre public

Le juge administratif s’inscrit là dans un contrôle classique s’agissant de l’appréciation des mesures de police depuis l’arrêt Benjamin (CE 19 mai 1933, n° 17413, Lebon ). Le triple test de l’adaptation, de la nécessité et de la proportion trouve lui à s’appliquer depuis la décision  Association pour la promotion de l’image (CE, ass., 26 oct. 2011, n° 317827, Lebon avec les concl.  ; AJDA 2012. 35 , chron. M. Guyomar et X. Domino  ; ibid. 2011. 2036  ; D. 2011. 2602, et les obs.  ; RFDA 2012. 377, chron. L. Clément-Wilz, F. Martucci et C. Mayeur-Carpentier ).

Dans les grandes lignes, le contrôle de dissolution des associations et groupements de faits correspond à celui que le juge administratif met habituellement en œuvre en matière de contrôle des mesures de police administrative.

En l’espèce, seule la dissolution du groupement de faits « Les soulèvements de la terre » a fait l’objet d’une annulation fondée sur la disproportion. Le Conseil d’État a considéré qu’ « au regard de la portée de ces provocations, mesurée notamment par les effets réels qu’elles ont pu avoir, que la dissolution du groupement ne peut être regardée, à la date du décret attaqué, comme une mesure adaptée, nécessaire et proportionnée à la gravité des troubles susceptibles d’être portés à l’ordre public ».

Cette annulation intervient sur les conclusions contraires de son rapporteur public mais elle confirme le raisonnement suivi, au mois d’août, par le juge des référés (CE, ord., 11 août 2023, n° 476385, Les Soulèvements de la Terre, AJDA 2023. 1529  ; JA 2023, n° 684, p. 3, édito. B. Clavagnier  ; ibid., n° 684, p. 10, obs. T. Giraud )

 

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