Le crédit à la consommation ou la science des « pattes de mouches »

Durant l’été, la Cour d’appel de Lyon a rendu un arrêt par lequel elle a examiné le sens des dispositions du code de la consommation relatives aux normes typographiques du crédit à la consommation.

Les « pattes de mouche » désignent une écriture dont les caractères sont menus et mal formés, et par suite difficiles à lire (Dictionnaire Littré). Les dictionnaires argotiques les associent volontiers aux écrits juridiques dont la réputation est d’être illisibles. Elles sont aussi l’indice d’un rapport contractuel prédateur où une partie peu scrupuleuse invisibilise les clauses du contrat les moins avantageuses pour l’autre.

C’est ainsi que, pétri d’un fort ordre public de protection (v. not., Loi n° 2010-737 du 1er juill. 2010, portant réforme du crédit à la consommation ; Dir. 2008/48/CE du Parl. UE et du Conseil du 23 avr. 2008, concernant les contrats de crédit aux consommateurs et abrogeant la directive 87/102/CEE du Conseil ; lire la riche étude de J. Lasserre Capdeville, Retour sur la taille des caractères du contrat de crédit à la consommation, RDBF 2024. Étude 1), le droit de la consommation a nourri un contentieux important sur la taille des caractères, comme en témoigne une décision du 3 juillet 2025 où la Cour d’appel de Lyon a examiné le sens des dispositions du code de la consommation relatives aux normes typographiques.

En l’espèce, une société de financement a consenti à un consommateur une location avec option d’achat d’un véhicule, garantie par un cautionnement. Confrontée à plusieurs impayés, elle a assigné en paiement l’emprunteur et la caution solidaire. Le juge du contentieux de la protection a soulevé d’office la déchéance du droit aux intérêts notamment aux motifs du non-respect du corps 8 dans le contrat de crédit. La société prêteuse a donc interjeté appel.

En effet, traitant des informations mentionnées dans le contrat de crédit à la consommation, l’article R. 312-10 du code de la consommation prévoit que les mentions du crédit à la consommation doivent être écrites d’une taille dont la hauteur est au moins de « corps 8 », sous peine de déchoir le prêteur de son droit aux intérêts. Si le principe simple est que le contrat ne doit pas être écrit en lettres trop petites, reste à déterminer les règles de calcul du « corps 8 », non explicitées par les textes.

Se déploie en conséquence une science jurisprudentielle des « pattes de mouche ».

La juges du fond ont déjà eu l’occasion de définir ce qu’est le « corps », à savoir « la mesure standard du caractère d’imprimerie exprimée en points et délimitée par l’extrémité supérieure de la plus haute ascendante et l’extrémité de la plus basse descendante ».

C’est à partir de cette définition que la Cour d’appel de Lyon a opéré un savant examen, nécessitant de revenir sur les normes typographiques applicables puis sur la technique de calcul de la taille des caractères, avant d’envisager les perspectives d’évolution.

Les normes typographiques applicables

Alors que d’autres juridictions se sont récemment référées au controversé point « Pica » (v. par ex., Rouen, 19 mai 2022, n° 21/02804), elle choisit d’utiliser comme unité de mesure typographie le point « Didot ».

Ce choix des juges lyonnais peut être discuté autour de deux arguments, l’un exégétique, l’autre d’opportunité.

Primo, sur le plan exégétique, le point « Didot » est historiquement justifié par sa vigueur au moment de l’adoption de la loi Scrivener n° 78-22 du 10 janvier 1978, loi à l’origine de la réglementation typographique des crédits à la consommation. Il est d’ailleurs pris comme valeur de référence dans la norme AFNOR NF Q60-010 de janvier 1983 (Norme technologie graphique – Unité de mesure typographique et fiche signalétique pour types de caractères, version subséquente de la norme AFNOR 1978). Il est néanmoins une unité de mesure européenne antérieure à l’adoption du système métrique décimal, dont un point équivaut à 0,3759 mm. D’aucuns estimeront à ce titre que cette unité est obsolète (Rouen, 17 mars 2022, n° 21/02414 ; Pau, 23 nov. 2018, n° 17/01817), les normes et pratiques typographiques étant sujettes à évolution, surtout depuis la transition numérique ayant répandu l’utilisation du point « Pica », la norme typographique anglo-saxonne (le choix du point de référence est entré dans les débats et les juges sont parfois amenés à se prononcer sur l’autorité de l’une ou l’autre référence pour motiver leur décision, comme le montre Riom, 6 nov. 2024, n° 23/00581, « Le point Didot est la référence habituellement retenue dans la mesure où en 1978 la norme AFNOR NF Q 60-010 l’a défini comme mesure typographique de référence. Le point Pica, allégué par l’appelante, est un point de typographie anglo-saxonne qui a tendance à se répandre en raison de l’utilisation croissante de logiciels d’origine anglo-saxonne. Leur taille varie sensiblement puisque le point Didot correspond à 0,3759 mm et le point Pica mesure 0,351 mm. Appliquées à un caractère de corps huit, ces valeurs conduisent à des tailles respectives de la police de 3,0 mm en point Didot et 2,8 mm en point Pica ».).

Secundo, en opportunité, le point « Pica » étalonne un corps 8 équivalant à 2,816 mm, alors que, comme le rappelle les magistrats lyonnais, le corps 8 mesure, en point « Didot », 3 mm (Paris, 21 févr. 2013, n° 10/16771). Derrière l’arbitrage technique se niche donc l’enjeu de favoriser (ou non) les banques ou les consommateurs. Il s’agit d’un point de vigilance qui n’échappe pas aux juges du fond désireux de conserver l’esprit du texte, soit une interprétation de la réglementation in favorem pour le consommateur (9 mars 2015, n° 13/01554).

La Cour d’appel de Lyon rend à ce titre une décision orthodoxe, en retenant le point Didot, sans pour autant justifier ce choix.

Une voie est pourtant envisageable pour surmonter l’argument de l’obsolescence de cette unité de mesure, et prévenir les craintes de défavoriser, contra legem, les consommateurs. En effet, postérieur au point Didot, mais antérieur à la loi Scrivener, existe le point de l’Imprimerie nationale française : après l’élaboration du système métrique, on proposa le « point métrique » en 1790, adopté par l’Imprimerie Nationale (Lexique des règles typographiques en usage à l’imprimerie nationale, Imprimerie nationale, 1971, p. 96). Ce point équivaut à 0,4 mm (ou 0,39877 mm), valeur qui pourrait être conciliatrice des différents enjeux d’interprétation du « corps 8 » en droit de la consommation.

La technique de calcul de la taille des caractères

Au-delà du point de référence, se pose la question de savoir comment effectuer la mesure typographique.

Comme d’autres avant elle, la décision emploie le registre explicatif en énonçant que la hauteur est calculée en partant de l’extrémité supérieure d’une lettre montante également appelée « à hampe » jusqu’à l’extrémité inférieure d’une lettre descendante également appelée « à jambage ». Cet exposé pédagogique est complété par une formule mathématique consistant à « diviser la hauteur en millimètres d’un paragraphe (mesuré du haut des lettres montantes de la première ligne au bas des lettres descendantes de la dernière ligne) par le nombre de lignes qu’il contient. Le quotient ainsi obtenu doit être au moins égal à trois millimètres ». En d’autres termes, la juridiction lyonnaise choisit d’évaluer la clause entière, quand d’autres préfèrent mesurer ligne à ligne (v. J. Lasserre Capdeville, Retour sur la taille des caractères du contrat de crédit à la consommation, préc.).

La technique de mesure globale pourrait toutefois s’exposer à la critique, dès lors que le résultat obtenu (un quotient) exprime la hauteur moyenne des lignes dans un paragraphe. Dès lors, des lignes peuvent être supérieures à 3 mm, mais d’autres inférieures, ce qui rendrait la pratique non conforme au code de la consommation, nonobstant une moyenne satisfaisante. De plus, l’espacement des interlignes, s’il n’est pas mesuré et retranché, gonfle artificiellement le résultat (Rouen, 28 oct. 2021, n° 21/00182, Lexbase, Hebdo Affaires, 27 janv. 2022, n° 703, n° 220BZ8, n° 74, obs. J. Lasserre Capdeville), d’autant qu’il joue un rôle déterminant dans la lisibilité des paragraphes. Pour ces deux raisons, le procédé n’est pas de bonne méthode : il ne permet pas de vérifier la taille des caractères, et donc d’appliquer la prescription réglementaire, mais seulement de traduire le nombre de lignes occupant un certain espace du document.

Certes, en l’occurrence, le calcul effectué sur plusieurs paragraphes corroborait l’attestation de l’imprimeur, versée par l’appelant, selon laquelle l’impression était respectueuse des prescriptions typographiques. Sans preuve du contraire, le raisonnement des juges du fond devait donc mener à exclure toute sanction à l’égard du prêteur.

Il n’en demeure pas moins que, tant s’agissant du choix du point de référence que de la technique de calcul, la science des « pattes de mouche » n’apparaît pas comme une science exacte. Se pose donc finalement la question d’une éventuelle harmonisation par la Cour de cassation.

Les perspectives d’évolution

Deux possibilités méritent d’être envisagées.

La première est qu’il n’appartient pas à la Cour de cassation de se prononcer. Cette perspective s’appuie sur l’idée que l’évaluation du « corps 8 » est une question de pur fait et, à ce titre, appartient exclusivement au champ de l’appréciation souveraine des juges du fond. Dès lors, les règles du droit commun de la preuve ont vocation à s’appliquer, ce qui semble ressortir d’une précédente décision de la Cour de cassation (Civ. 1re, 6 avr. 2016, n° 14-29.444, inédit, « l’appréciation souveraine des éléments de preuve soumis aux juges du fond qui, après avoir relevé que la taille insuffisante des caractères de l’offre de prêt n’était pas manifeste, et alors qu’ils n’avaient pas constaté que l’emprunteur aurait produit un quelconque élément de nature à établir que ces caractères auraient été inférieurs au corps huit exigé par l’article R. 311-6 du code de la consommation, ont, sans dénaturation, estimé qu’après vérification, chaque ligne de l’acte occupait au moins trois millimètres de hauteur en points Didot »). Le choix du juge relatif au calcul de la taille des caractères relèverait à ce titre de la cuisine interne, comme le sont d’autres éléments soumis à l’exercice de son office, tels que l’évaluation du préjudice par exemple. Bien sûr, la Cour de cassation pourrait, sans originalité particulière, apprécier la bonne application du régime probatoire et la motivation menant à toute décision objet d’un pourvoi, sans imposer pour autant de religion sur la typographie des contrats de crédit à la consommation.

La deuxième possibilité est de voir dans le problème juridique posé une question de droit attachée à l’interprétation de l’article R. 312-10 du code de la consommation. La Cour de cassation pourrait alors être invitée à opérer un contrôle méthodologique sur le sens et la portée normative du « corps 8 ». Cette perspective s’appuie cette fois-ci sur une conception dans laquelle est en jeu une notion de droit, et non de fait, nécessitant que les juges s’accordent sur l’application de la norme, éliminant ipso facto le phénomène des chapelles relatives aux règles typographiques. Ce serait alors l’occasion pour la Cour de cassation de fixer les critères et la méthode de calcul des caractères, décision qui mériterait alors sans doute d’être exposée au Bureau international des poids et mesures du Pavillon de Breteuil.

 

Lyon, 3 juill. 2025, n° 23/05688

par Hania Kassoul, Maîtresse de conférences en droit privé et sciences criminelles HDR – Université Côte d'Azur

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