Le défaut de signature de l’huissier de justice sur l’acte signifié par un clerc assermenté : un vice de forme
L’omission préalable de la signature de l’huissier de justice sur l’acte signifié par un clerc assermenté est un vice de forme. Cette irrégularité de forme sera sanctionnée par la nullité à condition que l’adversaire qui l’invoque démontre qu’il a subi un grief.
« Curieusement, alors que le code de procédure civile a clairement délimité les nullités de forme (C. pr. civ., art. 114) et de fond (C. pr. civ., art. 117) susceptibles d’affecter les actes de procédure, les hésitations sont toujours vives sur leurs régimes et leurs domaines respectifs » (C. Bléry et L. Raschel, Absence de signature d’un acte de procédure : petite mise au point sur sa sanction, Procédures 2011. Alerte 56). L’arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, le 6 février 2025, revient une nouvelle fois sur la distinction entre le vice de fond et le vice de forme. Il rappelle que le défaut de signature de l’huissier de justice (désormais commissaire de justice) sur l’acte signifié par un clerc assermenté est un vice de forme.
En l’espèce, une banque fait signifier un commandement aux fins de saisie-vente au débiteur. L’acte, qui a été signifié par un clerc assermenté le 7 juillet 2020, ne comporte pas la signature de l’huissier de justice. Un procès-verbal de saisie-vente est établi le 23 septembre 2020.
Le débiteur assigne la banque devant le juge de l’exécution du tribunal judiciaire en annulation du commandement aux fins de saisie-vente et en mainlevée de cette mesure. Dans un arrêt rendu le 18 mai 2022, la Cour d’appel d’Orléans constate que « le commandement aux fins de saisie-vente, matérialisé par un feuillet recto-verso, en tête duquel figure la mention « SCP [S] [O], Huissier de justice (’), soussignée », ne comporte aucune signature ni sur la première ni sur la deuxième page de l’acte lui-même, lequel est suivi d’une page intitulée « signification de l’acte », avec indication que cette signification est faite par un clerc assermenté, et au bas de laquelle figure la signature d’[S] [O], huissier de justice ». Elle ajoute que « la banque ne verse à la procédure aucune pièce de nature à justifier que la signature préalable de l’huissier de justice figure sur l’original du commandement ». La cour d’appel retient que l’omission de la signature de l’huissier de justice est un vice de fond et que la nullité n’est pas subordonnée à l’exigence d’un grief. Elle prononce la nullité du commandement aux fins de saisie-vente ainsi que celle du procès-verbal de saisie-vente et elle ordonne, en tant que de besoin, la mainlevée de la saisie-vente.
La banque forme un pourvoi en cassation en faisant valoir un moyen unique. Elle considère que l’irrégularité tirée du défaut de signature de l’huissier de justice est un vice de forme.
La Cour de cassation est amenée à se prononcer sur la qualification du vice qui entache l’acte signifié par un clerc assermenté lorsque celui-ci n’a pas été préalablement signé par l’huissier de justice.
Sans surprise, la Cour de cassation casse, avec renvoi, l’arrêt d’appel. Elle précise que l’omission préalable de la signature de l’huissier de justice sur l’acte signifié par un clerc assermenté est un vice de forme. Elle rappelle ensuite que la nullité pour vice de forme ne peut être prononcée qu’à la double condition que la nullité soit expressément prévue par la loi et que l’adversaire qui l’invoque démontre qu’il a subi un grief.
Si la qualification de vice de forme est évidente, le régime qui en découle semble inadapté.
Le vice de forme : une qualification évidente
Le code de procédure civile impose que tout acte de commissaire de justice comporte des éléments permettant d’identifier ce dernier. La signature du commissaire de justice, qui est l’un de ces éléments, confère l’authenticité à l’acte (C. civ., art. 1367, al. 1). Plus précisément, les nom, prénoms, demeure et signature du commissaire de justice doivent figurer sur l’acte à peine de nullité (C. pr. civ., art. 648). Dans une espèce où la mention des nom et prénoms de l’huissier instrumentaire ne figurait pas sur un procès-verbal qui était revêtu d’une signature illisible, la Cour de cassation a retenu qu’il est impossible de vérifier l’identité de la personne physique ayant dressé cet acte (Com. 19 déc. 2006, n° 05-14.431).
En outre, la Cour de cassation a précisé que lorsque l’acte est établi par une société civile professionnelle, à peine de nullité, les nom, prénoms, la qualité d’associé et la signature de l’huissier de justice instrumentaire doivent figurer sur l’acte, en plus de la mention de la société et l’adresse de son siège social (Com. 20 oct. 1998, n° 95-15.804, RTD com. 1999. 389, obs. J. Azéma
; v. égal., Civ. 2e, 7 nov. 2002, n° 01-00.379, Lamanthe (Mme) c/ Société civile professionnelle Lefevre et Nugeyre, D. 2002. 3185, et les obs.
; 27 mai 2004, n° 02-20.160, Caisse d’épargne Provence-Alpes-Corse c/ Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions, D. 2004. 1860
).
En principe, le commissaire de justice est tenu de remettre lui-même les exploits et les actes qu’il est chargé de signifier (pour les huissiers de justice, v. Décr. n° 56-222 du 29 févr. 1956, art. 16, al. 1 ; pour les commissaires de justice, v. Décr. n° 2021-1625 du 10 déc. 2021, art. 6, al. 1). Il a néanmoins la possibilité de déléguer sa tâche de signification à un clerc assermenté, possibilité dont l’huissier de justice a usé dans cette affaire (Loi du 27 déc. 1923 relative à la suppléance des huissiers de justice blessés et à la création de clercs assermentés, JO 29 déc., art. 6). En cette hypothèse, le commissaire de justice signe l’acte avant qu’il soit signifié et il vise les mentions faites par le clerc assermenté après la signification, le tout à peine de nullité (ibid., art. 7). La Cour de cassation a eu l’occasion d’indiquer que le visa par l’huissier des mentions faites par le clerc assermenté n’est prescrit à peine de nullité que pour celles qui sont portées sur l’original (Soc. 2 mai 1974, n° 73-40.199). La Haute juridiction a aussi précisé qu’aucune disposition légale ou réglementaire n’impose que le nom du clerc assermenté qui procède à la signification figure sur l’acte (Com. 11 juin 2014, n° 13-18.064, Dalloz actualité, 4 juill. 2014, obs. Valérie. Avena-Robardet ; Boéro c/ Caisse d’épargne et de prévoyance Côte-d’Azur, D. 2014. 1325
; RDP 2014, n° 06, p. 145, Décision Gabriele Mecarelli
; ibid., n° 08, p. 187, obs. S. Dorol
; Civ. 2e, 11 avr. 2019, n° 17-23.272, D. 2019. 824
; RDP 2019, n° 04, p. 88, Décision Gabriele Mecarelli
; ibid., n° 05, p. 100, obs. A. Yatera
). D’ailleurs, le commissaire de justice est civilement responsable des nullités, amendes, restitutions, dépens et dommages-intérêts qui sont encourus du fait du clerc assermenté (Loi du 27 déc. 1923, art. 9).
En l’espèce, l’huissier de justice n’a pas signé l’acte préalablement à sa signification par le clerc assermenté. La nullité est encourue et la question de la qualification de cette nullité se pose. La nullité des actes de commissaire de justice « est régie par les dispositions qui gouvernent la nullité des actes de procédure » (C. pr. civ., art. 649). Or les irrégularités relatives à la formation des actes de procédure peuvent être sanctionnées par la nullité pour vice de fond ou pour vice de forme.
Les vices de fond sont limitativement énumérés par l’article 117 du code de procédure civile. Cet article vise trois hypothèses. D’abord, le défaut de capacité d’ester en justice. Ensuite, le défaut de pouvoir d’une partie ou d’une personne qui figure au procès comme représentant soit d’une personne morale, soit d’une personne atteinte d’une incapacité d’exercice. Enfin, le défaut de capacité ou de pouvoir d’une personne qui assure la représentation d’une partie en justice. Dès lors qu’une irrégularité ne relève pas de la liste des vices de fond, il s’agit d’un vice de forme.
L’acte qui comporte une irrégularité, telle que l’omission de la signature, ne sera pas considéré comme inexistant. Dans un arrêt rendu par une chambre mixte le 7 juillet 2006, la Cour de cassation a condamné la théorie de l’inexistence. Elle a alors indiqué que « quelle que soit la gravité des irrégularités alléguées, seuls affectent la validité d’un acte de procédure, soit les vices de forme faisant grief, soit les irrégularités de fond limitativement énumérées à l’article 117 » du code de procédure civile (Cass., ch. mixte, 7 juill. 2006, n° 03-20.026, Hollandais Kinetics Technology international BV (Sté) c/ Schenker BTL (Sté), D. 2006. 1984, obs. E. Pahlawan-Sentilhes
; RTD civ. 2006. 820, obs. R. Perrot
; v. pour une solution contraire rendue antérieurement, Com. 4 janv. 2005, n° 03-16.486).
En somme, la question posée à la Cour de cassation dans cette affaire était de savoir si le défaut de signature devait être qualifié de vice de forme ou de vice de fond. L’omission de la signature par le commissaire de justice n’est pas énoncée par l’article 117 du code de procédure civile comme étant un vice de fond. Si grave soit-elle, cette irrégularité est donc bien un vice de forme, contrairement à ce qu’a retenu la cour d’appel. La solution n’est pas surprenante. À plusieurs reprises, la Cour de cassation a retenu que l’absence de signature d’un acte de procédure par son auteur est une irrégularité de forme. Elle s’est prononcée ainsi, par exemple, à propos de l’acte qui n’est pas signé par le plaideur (v. par ex., pour le défaut de signature de la déclaration d’appel au cours d’une procédure sans représentation obligatoire, Civ. 2e, 28 mai 2015, n° 13-19.599) ou par son représentant ad litem (v. par ex., pour l’absence de signature des conclusions par l’avocat postulant, Civ. 2e, 4 nov. 2021, n° 20-16.393, Dalloz actualité, 30 nov. 2021, obs. N. Hoffschir ; Rev. prat. rec. 2021. 7, chron. F. Kieffer, R. Laher et O. Salati
; 9 sept. 2010, n° 09-68.621). Dans le même sens, la Haute juridiction a précisé que le défaut de signature de la copie de l’acte signification de la déclaration d’appel par l’huissier de justice instrumentaire est un vice de forme (Civ. 2e, 19 janv. 1977, n° 75-40.578). Le vice de forme a également été retenu lorsque la signature de l’huissier de justice n’est pas apposée sur un procès-verbal de saisie-vente (Civ. 2e, 15 janv. 2009, n° 08-11.446, D. 2010. 1307, obs. A. Leborgne
; v. égal., Civ. 2e, 4 oct. 2007, n° 06-18.569).
Si la qualification de vice de forme n’est pas surprenante, la question de l’adaptation du régime qui découle de l’absence de signature du commissaire de justice peut toutefois être posée.
Le vice de forme : un régime inadapté
Le régime de la nullité pour vice de forme est prévu par l’article 114 du code de procédure civile. Le prononcé de la nullité est subordonné à une double condition, qui est traduite par deux adages célèbres : « pas de nullité sans texte » ; « pas de nullité sans grief ».
Pour que l’acte soit annulé en raison d’une irrégularité de forme, il faut d’abord que l’exigence formelle soit expressément prescrite à peine de nullité par la loi, sauf en cas d’inobservation d’une formalité substantielle ou d’ordre public. La signature du commissaire de justice est bien une mention prescrite à peine de nullité par l’article 7 de la loi du 27 décembre 1923 (préc.). Cet article dispose, en son alinéa premier, que les actes « préalablement signés sur l’original et les copies par l’huissier [commissaire de justice], seront notifiés par le clerc assermenté ». Il indique, en son alinéa second, que « l’huissier [commissaire de justice] visera les mentions faites sur l’original par le clerc assermenté (…), le tout à peine de nullité ». La Cour de cassation précise la grille de lecture de cet article. L’expression « le tout à peine de nullité », qui figure à la fin du second alinéa, vise à la fois les mentions prévues par le premier et le second alinéas.
Pour que l’acte soit annulé en raison d’une irrégularité de forme, il faut ensuite que la partie qui invoque la nullité prouve l’existence d’un grief. Le grief renvoie au « préjudice subi par la victime dans la désorganisation de ses moyens de défense » (D. Tomasin, Remarques sur la nullité des actes de procédure, in Mélanges offerts à Pierre Hébraud, 1981, Université des sciences sociales de Toulouse, p. 853 s., spéc. p. 864). Il est apprécié in concreto (v. par ex., à propos de l’assignation des débiteurs saisis à comparaître devant le juge de l’exécution à une heure d’audience erronée, Civ. 2e, 20 oct. 2011, n° 10-24.109, Dalloz actualité, 15 nov. 2011, obs. T. de Ravel d’Esclapon ; D. 2012. 1509, obs. A. Leborgne
; RDP 2012, n° 03, p. 71, obs. S. Poisson
). Le plaideur doit donc démontrer qu’il a effectivement subi un préjudice et que celui-ci est « la conséquence directe de l’irrégularité » (Rép. pr. civ., v° Nullité, par L. Mayer, mars 2024, n° 212 ; v. par ex., Civ. 1re, 6 janv. 2004, n° 01-15.668).
Or, le grief peut être difficile à prouver dans cette affaire. Certes, l’acte signifié n’a pas été signé par l’huissier de justice. Cela n’a cependant pas empêché le débiteur d’avoir connaissance du commandement aux fins de saisie-vente, de sorte qu’il peut être difficile pour lui de rapporter la preuve d’un grief. Dans cette hypothèse, le régime des vices de fond, qui n’exige pas la preuve d’un grief, apparaît plus adapté (C. pr. civ., art. 119). En d’autres termes, la cour d’appel a ici cédé à « la tentation de faire dégénérer des vices de forme en irrégularité de fond pour bénéficier de leur régime favorable » (G. Cornu et J. Foyer, Procédure civile, 3e éd., PUF, 1996, p. 374).
Les auteurs ont déjà souligné que le régime de la nullité pour vice de forme n’est pas adapté à l’absence de signature du commissaire de justice en raison de la difficulté pour l’adversaire de rapporter la preuve d’un grief. Tel est le cas face à l’omission de la signature de l’huissier sur le procès-verbal de saisie-vente. Dès lors que la cour d’appel relève que cette irrégularité de forme n’a causé aucun grief, l’acte n’est pas nul (Civ. 2e, 15 janv. 2009, n° 08-11.446, D. 2010. 1307, obs. A. Leborgne
). La doctrine a ainsi indiqué que « le régime des vices de forme n’est pas adapté à certaines irrégularités, qui sont peu susceptibles de causer un grief » (C. Bléry, Sanction des règles de formation des actes de procédure, in Droit et pratique de la procédure civile, Dalloz Action, 2024-2025, n° 272.271).
Un autre auteur explique qu’il existe une « catégorie de vices qu’il paraît déraisonnable de soumettre à l’exigence d’un grief » car celui-ci est incertain, c’est-à-dire qu’il « ne sera pas subi automatiquement du seul fait de l’existence du vice » (Rép. pr. civ., v° Nullité, par L. Mayer, préc., n° 51). L’omission de la signature de l’auteur d’un acte de procédure fait partie de cette catégorie de vices. Cette irrégularité donnera lieu à un grief uniquement si elle empêche d’identifier l’auteur de l’acte ou si elle révèle que ce dernier n’a pas adhéré au contenu de l’acte (C. civ., art. 1367).
Lorsque l’auteur de l’acte est un commissaire de justice, le défaut de signature prive l’acte de son caractère authentique (C. civ., art. 1367). Or, « on peine (…) à imaginer quel grief l’absence de signature et, plus généralement, l’absence d’authenticité pourrait bien causer à la partie adverse » (Rép. pr. civ., v° Nullité, par L. Mayer, préc. n° 178). L’arrêt rendu par la Cour de cassation le 6 février 2025 est une nouvelle illustration de cette difficulté.
Finalement, l’omission de la signature du commissaire de justice donnera lieu à un grief uniquement s’il y a lieu de contester les mentions contenues dans l’acte, qui n’a pas la force probante d’un acte authentique (C. civ., art. 1367 ; Rép. pr. civ., v° Nullité, par L. Mayer, préc., n° 51).
Civ. 2e, 6 févr. 2025, F-B, n° 22-19.586
© Lefebvre Dalloz