Le dommage futur n’est réparable que s’il se révèle dans le délai d’épreuve décennal
Pour obtenir réparation du dommage futur qu’il subit sur le fondement de la responsabilité civile décennale des constructeurs, le maître d’ouvrage doit, non seulement, interrompre le délai décennal, qui est un délai d’action, mais également démontrer que le dommage est survenu dans le délai décennal puisque ce délai est un délai d’épreuve. Le risque de survenance du dommage ne suffit pas.
 
                            Dans l’arrêt sous étude, un maître d’ouvrage a fait construire un local commercial et industriel. Après réception, il découvre que l’ouvrage est exposé à un risque d’inondation. Très classiquement, il sollicite une mesure d’expertise, sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, à l’encontre des constructeurs et de leur assureur « responsabilité civile décennale ». L’expert judiciaire désigné conclut, après avoir constaté le dommage consistant en un risque d’inondation, que celui-ci est de gravité décennale. Le maître d’ouvrage se trouvant exposé à une demande de démolition et de réfection par les pouvoirs publics, saisit le juge du fond aux fins d’obtenir la condamnation des constructeurs et de leur assureur, sur le fondement de l’article 1792 du code civil. Les conseillers d’appel le déboutent. Il forme un pourvoi.
Il était donc demandé à la Cour de cassation si un risque de dommage de nature décennale, constaté dans le délai de dix ans, peut être réparé sur le fondement de la responsabilité décennale des constructeurs ou s’il doit apparaître dans le délai décennal. La Cour de cassation confirme sa jurisprudence antérieure et maintient que le dommage doit apparaître dans le délai décennal.
Un talent divinatoire
Le délai décennal est un délai d’épreuve et un délai d’action. En tant que délai d’action, il doit être valablement interrompu, par exemple par une citation en justice, dans le délai de dix ans suivant la réception de l’ouvrage. En tant que délai d’épreuve, les conditions de l’engagement de la responsabilité civile décennale des constructeurs doivent, également, survenir dans le délai décennal. La condition de la survenance d’un dommage de gravité décennale n’y fait pas obstacle.
Cette double exigence s’accommode mal avec la garantie des dommages futurs, lesquels, pour reprendre les exigences posées par le droit commun, sont des dommages qui vont survenir de façon certaine, dans leur gravité décennale, dans le futur. Autrement dit, à la date de l’interruption du délai décennal, le critère de gravité n’est pas forcément rempli mais il le sera de façon certaine un jour.
Il est, dès à présent, notable que dans le domaine de la construction dans lequel l’expertise judiciaire est reine, cela conduit à un expert à prendre position sur la date de survenance du risque. La boule de cristal pourrait s’avérer utile.
Ainsi au cas présent, l’expert judiciaire avait simplement relevé le risque d’inondation sans préciser sa date de survenance.
Mais le pouvait-il ?
Une réponse négative s’impose. Qu’à cela ne tienne, cela empêche les juges du fond de pouvoir qualifier le dommage de nature décennale dit la Haute juridiction.
Le risque de survenance du dommage constaté dans le délai décennal n’est pas suffisant
Toute la question est donc de savoir si ce « jour » doit survenir dans le délai décennal, ce qui serait alors une limitation par rapport au droit commun.
La réponse est, comme le confirme l’arrêt rapporté, positive. La Cour de cassation maintient ainsi sa jurisprudence antérieure particulièrement claire sur le sujet.
Le dommage futur est réparable sur le fondement de la responsabilité décennale des constructeurs à deux conditions : il doit, d’une part, être dénoncé dans le délai d’épreuve décennal et, d’autre part, revêtir la gravité décennale dans le délai décennal.
La jurisprudence est désormais bien établie (v. par ex., Civ. 3e, 8 oct. 2003, n° 01-17.868, D. 2003. 2727, et les obs.  ; RDI 2004. 121, obs. P. Malinvaud
 ; RDI 2004. 121, obs. P. Malinvaud  ; 20 avr. 2017, n° 17-23.190 ; 18 mars 2021, n° 19-20.710, RDI 2021. 371, obs. C. Charbonneau
 ; 20 avr. 2017, n° 17-23.190 ; 18 mars 2021, n° 19-20.710, RDI 2021. 371, obs. C. Charbonneau  ; 21 sept. 2022, n° 21-15.455, RDI 2023. 181, obs. A. Galland
 ; 21 sept. 2022, n° 21-15.455, RDI 2023. 181, obs. A. Galland  ).
).
Le risque de dommage n’est pas un dommage
À se risquer au truisme, le dommage doit se révéler dans le délai de dix ans à compter de la réception. Le risque de dommage, même constaté dans ce délai, ne suffit pas. La solution s’articule mal avec d’autres courants jurisprudentiels rendus, par exemple, dans le domaine du non-respect des règles sismiques.
La jurisprudence rappelle, en effet, régulièrement que le non-respect des normes parasismiques constitue un dommage de nature décennale. Par exemple, dans l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Riom le 5 mars 2024 (Riom, 5 mars 2024, n° 22/01124), il a été jugé que le défaut de construction au regard des règles parasismiques rend l’ouvrage dangereux et compromet sa solidité, justifiant ainsi l’application de la garantie décennale. Les désordres allégués, bien que non évolutifs, peuvent entraîner des fissurations complémentaires en cas de sismicité, ce qui constitue un risque certain de perte par séisme, ont énoncé les conseillers.
De même, dans un arrêt rendu par la Cour d’appel de Montpellier le 8 juin 2023 (Montpellier, 8 juin 2023, n° 18/06414), il a été jugé que le non-respect des règles parasismiques lors de la construction compromet la solidité de l’ouvrage et le rend impropre à sa destination, engageant ainsi la responsabilité décennale du constructeur. La non-conformité aux normes parasismiques est un facteur de risque aggravé pour la sécurité des personnes, même si le risque de séisme est difficile à apprécier.
Certes, d’aucuns diront qu’il s’agit d’arrêts d’appel mais la Cour de cassation n’y a souvent rien trouvé à redire. Ainsi, dans un arrêt du 19 septembre 2019 (Civ. 3e, 19 sept. 2019, n° 18-16.986 P, Dalloz actualité, 9 oct. 2019, obs. F. Garcia ; D. 2019. 1835  ; RDI 2019. 627, obs. M. Poumarède
 ; RDI 2019. 627, obs. M. Poumarède  ), la Cour de cassation a confirmé que le non-respect des normes parasismiques constitue un désordre de nature décennale. La cour d’appel avait retenu que les travaux de rénovation réalisés par la société C… bâtiment impliquaient des modifications importantes des structures, soumises aux normes parasismiques, et que leur non-conformité compromettait la solidité de l’ouvrage. Encore, plus précisément, dans un arrêt rendu le 7 octobre 2009 (Civ. 3e, 7 oct. 2009, n° 08-17.620, Dalloz actualité, 2 nov. 2009, obs. S. Lavric ; D. 2010. 1103, chron. A.-C. Monge et F. Nési
), la Cour de cassation a confirmé que le non-respect des normes parasismiques constitue un désordre de nature décennale. La cour d’appel avait retenu que les travaux de rénovation réalisés par la société C… bâtiment impliquaient des modifications importantes des structures, soumises aux normes parasismiques, et que leur non-conformité compromettait la solidité de l’ouvrage. Encore, plus précisément, dans un arrêt rendu le 7 octobre 2009 (Civ. 3e, 7 oct. 2009, n° 08-17.620, Dalloz actualité, 2 nov. 2009, obs. S. Lavric ; D. 2010. 1103, chron. A.-C. Monge et F. Nési  ; RDI 2009. 650, obs. P. Malinvaud
 ; RDI 2009. 650, obs. P. Malinvaud  ), la Cour de cassation a retenu le caractère décennal, justement sur le risque de danger important…
), la Cour de cassation a retenu le caractère décennal, justement sur le risque de danger important…
Un dommage futur à géométrie variable ?
Cela n’est guère souhaitable. Le vœu peut ainsi être fait que la Cour de cassation exerce un contrôle approfondi de la motivation des juges du fond, tout en harmonisant une solution d’ensemble pour tous les dommages futurs.
Civ. 3e, 26 juin 2025, FS-B, n° 23-18.306
par Juliette Mel, Docteur en droit, Avocat, chargée d’enseignements à l’UPEC
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