Le donneur d’aval ne peut pas solliciter le bénéfice de subrogation de l’article 2314 du code civil

Dans un arrêt rendu le 9 octobre 2024, la chambre commerciale juge désormais que le bénéfice de subrogation n’a pas vocation à être utilisé par le donneur d’aval précisant ainsi une question discutée en droit des sûretés.

L’actualité de l’aval continue en ce début d’automne. Un arrêt rendu en mai 2024 avait pu exploiter les conséquences de ratures portées sur la date d’un billet à ordre pour en déduire que l’acte devenait ainsi irrégulier tout comme l’aval le garantissant (Com. 23 mai 2024, n° 22-12.736 FS-B, Dalloz actualité, 28 mai 2024, obs. C. Hélaine ; D. 2024. 1012 ). Une deuxième décision publiée au mois de juin avait pu préciser que l’action cambiaire contre l’avaliste d’un billet à ordre est soumise à la prescription de trois ans édictée par l’article L. 511-78, alinéa 1er, du code de commerce (Com. 12 juin 2024, n° 22-21.573 F-B, Dalloz actualité, 18 juin 2024, obs. C. Hélaine ; D. 2024. 1124 ; ibid. 1793, obs. J.-J. Ansault et C. Gijsbers ). Le 9 octobre 2024, la chambre commerciale continue son travail d’interprétation précisant le cadre juridique de cet instrument important du droit bancaire. Cette fois-ci, il est question du bénéfice de subrogation de l’article 2314 du code civil dont on a pu se demander s’il pouvait être utilisé par le donneur d’aval. Si l’aval est parfois présenté comme une « variété cambiaire » de cautionnement, la jurisprudence la plus récente permet probablement de relativiser assez fortement ce constat (P. Simler et P. Delebecque, Droit des sûretés et de la publicité foncière, 8e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2023, p. 228, n° 198). L’arrêt examiné aujourd’hui prolonge cette réflexion importante au croisement du droit bancaire et du droit des sûretés.

L’affaire débute par la souscription, le 15 juin 2012, par une société d’un billet à ordre après d’un établissement bancaire pour un montant de 75 000 €. Le billet est avalisé par le gérant de la société l’ayant souscrit. Peu de temps plus tard, cette dernière est cédée. Voici que la société cessionnaire est placée en redressement puis en liquidation judiciaires. La banque assigne donc le donneur d’aval du billet à ordre du 15 juin 2012 en paiement. L’avaliste estime qu’il peut invoquer le bénéfice de subrogation de l’article 2314 du code civil pour être déchargé de sa dette. Il avance, en effet, que la banque n’a pas fait opposition à la dissolution de la société ayant souscrit le billet à ordre. Elle se serait ainsi privée de la constitution potentielle d’une garantie qui aurait sécurisé le recours du donneur d’aval. Les juges du fond ne font pas droit à ce raisonnement. Ils considèrent que le défaut d’exercice d’une faculté d’opposition ne peut pas permettre le déclenchement du bénéfice de subrogation en pareille situation. Le donneur d’aval est donc condamné à régler à la banque la somme de 75 000 € augmentée des intérêts au taux légal. Notons que la créance de la banque a été cédée le 15 décembre 2022 de sorte que le fonds commun de titrisation est intervenu volontairement à l’instance.

Le donneur d’aval se pourvoit ainsi en cassation. Mais son raisonnement sera très vite stoppé net par la chambre commerciale qui opère, par le biais de l’arrêt du 9 octobre 2024, une précision bienvenue quant au régime du bénéfice de subrogation en matière d’aval. 

Une position clarifiée : un éloignement entre l’aval et le cautionnement

La chambre commerciale énonce de manière aussi claire que lapidaire que « l’article 2314 du code civil ne s’applique pas au donneur d’aval » (pt n° 6, nous soulignons). Voici une affirmation sans détour ne laissant aucune place au doute. Il existait, pourtant, une forte hésitation en droit positif sur la question. La jurisprudence avait, par le passé, admis que le donneur d’aval puisse utiliser le bénéfice de subrogation (Com. 5 janv. 1957 P ; v. égal., Com. 31 janv. 1967 P, « que soulignant alors que la société, qui tenait du contrat le droit de gager la voiture, n’avait fait aucune diligence pour exiger ce gage, laissant de la sorte disparaître [ou omettant de conserver, ce qui revient au même] une garantie importante consentie par le débiteur principal, la cour d’appel a pu considérer que cette société avait, par son fait, empêché la subrogation du donneur d’aval dans le droit de gage qu’elle tenait de son contrat », nous soulignons). 

Par conséquent, le maintien de cette orientation n’allait pas de soi comme le notent les professeurs Delebecque et Simler qui écrivent que « le bénéfice de cession d’actions a également été reconnu au donneur d’aval, solution qui pouvait être considérée comme un test de la qualification de cautionnement habituellement reconnue à cet engagement cambiaire. Cette identification se trouve toutefois remise en cause par la jurisprudence récente, ce qui inspire un doute sur la pérennité de l’application à l’avaliste du bénéfice de cession d’actions » (P. Simler et P. Delebecque, Droit des sûretés et de la publicité foncière, op. cit., p. 315, n° 271, nous soulignons). Les professeurs Mouly, Cabrillac et Pétel notent, quant à eux, que le droit direct de l’avaliste au remboursement pourrait très bien expliquer un changement dans cette jurisprudence établie (M. Cabrillac, C. Mouly, S. Cabrillac et P. Pétel, Droit des sûretés, 11e éd., LexisNexis, 2022, p. 311, n° 320). Rares sont toutefois les décisions publiées au Bulletin qui explorent précisément la thématique de nos jours. Quoi qu’il en soit, la solution dessinée par l’arrêt du 9 octobre 2024 pourra au moins être qualifiée de novatrice, à la frontière même du revirement de jurisprudence. Dans cette optique, une motivation enrichie ou, du moins, davantage développée aurait peut-être permis de mieux asseoir une telle clarification.

La précision opérée reste donc fort utile à la pratique eu égard à l’hésitation qui gouvernait en la matière. Par ailleurs, la généralité de l’énoncé indique implicitement que l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 réformant le droit des sûretés ne change rien à la donne. En résulte un éloignement toujours plus important entre le cautionnement personnel et l’aval, le second n’étant certainement plus tellement une simple variété cambiaire du premier. La solution pourra d’ailleurs être utilement rapprochée d’autres décisions rendues par la chambre commerciale comme celle du 5 avril 2023 par laquelle celle-ci a pu préciser que « l’aval constitue un engagement cambiaire gouverné par les règles propres du droit du change de sorte que l’avaliste n’est pas fondé à rechercher la responsabilité de la banque bénéficiaire du billet à ordre pour manquement à un devoir d’information au titre de l’article 1112-1 du code civil » (Com. 5 avr. 2023, n° 21-17.319 F-B, nous soulignons, Dalloz actualité, 21 avr. 2023, obs. C. Hélaine ; D. 2023. 684 ). C’est, en somme, le droit spécial de l’aval (si celui-ci existe véritablement) qui semble de plus en plus s’imposer en jurisprudence.

Mais encore faudrait-il que la position soit unifiée sur tous les plans du droit civil.

Une position à unifier

Cet éloignement entre le cautionnement et l’aval doit trouver une certaine nuance dans d’autres branches du droit civil. En droit patrimonial de la famille, par exemple, la jurisprudence a volontiers pu rapprocher ces opérations concernant l’article 1415 du code civil. Cette disposition régissant les régimes matrimoniaux communautaires vient restreindre le gage des créanciers aux biens propres et aux revenus de l’époux contractant pour les emprunts et pour les cautionnements conclus sans le concours du conjoint non-partie à l’acte. Ainsi est-il acquis que l’aval est également concerné par cette restriction importante du passif provisoire communautaire (v. par ex., en régime de communauté universelle, Civ. 1re, 3 mai, 2000, n° 97-21.592, D. 2000. 546 , note J. Thierry ; ibid. 2001. 693, obs. L. Aynès ; RTD civ. 2000. 889, obs. B. Vareille ; ibid. 890, obs. B. Vareille ; « en l’absence de consentement exprès de l’épouse aux engagements d’aval souscrits par le mari, ce dernier ne pouvait engager les biens communs par de telles garanties »).

On explique volontiers cette solution par une interprétation davantage liée à l’objectif du texte de l’article 1415 du code civil qu’à sa lettre pourtant limitée aux emprunts et aux cautionnements (F. Terré et P. Simler, Régimes matrimoniaux et statut patrimonial des couples non mariés, 9e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2023, p. 351, n° 367). Il reste complexe d’expliquer de manière très claire les différences qui peuvent conduire à appliquer l’article 1415 du code civil à l’aval mais à refuser à l’avaliste le bénéfice de subrogation de l’article 2314 du code civil mentionnant lui aussi seulement le cautionnement. Le traitement de la question n’est donc pas pleinement satisfaisant en l’état et nécessiterait une certaine clarification ces prochaines années entre les différentes branches du droit civil.

Il sera toujours loisible de justifier la solution au regard des intérêts poursuivis dans chaque matière. Dans le régime matrimonial communautaire, l’article 1415 du code civil poursuit un rôle de garde-fou de la masse commune face aux deux actes dangereux mentionnés dans sa lettre (le cautionnement et l’emprunt). Une extension à d’autres opérations – tout autant, voire plus – délicates peut alors se comprendre comme c’est le cas de l’aval ou de la garantie autonome par ailleurs. L’article 2314 du code civil ne protège, quant à lui, que la caution elle-même face à l’attitude du créancier ne préservant pas des droits qui seront utiles à l’exercice de son recours contributif. Il n’existerait alors pas de raison spécifique d’étendre au-delà de sa lettre le bénéfice de subrogation. La question reste néanmoins très discutable en l’état. 

Voici un arrêt qui sera donc susceptible de faire couler de l’encre en doctrine. En refusant le bénéfice de subrogation au donneur d’aval, difficile de considérer encore que l’aval demeure une variété cambiaire du cautionnement. Son régime s’en éloigne de plus en plus dans le sillage d’une jurisprudence accentuant la dimension spéciale de l’opération par rapport au droit commun des sûretés personnelles et, plus spécifiquement, du cautionnement personnel.

 

Com. 9 oct. 2024, F-B, n° 22-14.743

Lefebvre Dalloz