Le maître d’ouvrage n’est pas lié à l’avis du jury de concours pour le choix de son cocontractant
Alors que l’ancien code des marchés publics prévoyait déjà que le maître d’ouvrage n’était pas tenu de suivre l’avis du jury du concours, le Conseil d’État vient désormais confirmer ce principe pour les marchés passés sous l’empire de l’ordonnance du 23 juillet 2015 et du décret du 26 mars 2016.
Dans le cadre d’un marché de maîtrise d’œuvre pour réhabiliter une ancienne caserne militaire et la reconvertir en structure permettant d’accueillir une médiathèque et des archives intercommunales, la communauté d’agglomération Valence Romans Agglo a lancé un concours restreint sur avant-projet sommaire.
Si le groupement dont M. B. est le mandataire a été classé premier par le jury du concours, c’est le groupement constitué des sociétés Rudy Ricciotti, AA Group, Certib et Lasa qui s’est vu attribuer le marché le 30 mars 2017. Le groupement mandaté par M. B. a alors saisi le Tribunal administratif de Grenoble d’une demande d’annulation, ou à défaut de résiliation, du contrat litigieux ainsi qu’une indemnisation au titre de l’éviction subie. En appel, la Cour administrative d’appel de Lyon a partiellement fait droit aux conclusions indemnitaires du groupement évincé. La communauté d’agglomération Valence Romans Agglo a formé un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la cour administrative d’appel.
Une liberté de choix déjà reconnue de longue date pour le maître d’ouvrage
L’article 314 ter de l’ancien code des marchés publics dispose que « L’attribution du marché de maîtrise d’œuvre est prononcée par l’assemblée délibérante de la collectivité ou de l’établissement contractant après avis du jury ». La lettre du texte laisse penser que l’avis du jury, s’il est obligatoire, n’en est pas conforme pour autant.
Le Conseil d’État l’affirme dans une décision de 1997, ainsi, « si le responsable du marché n’est pas lié par l’avis du jury et s’il lui appartient de recueillir tous les éléments qui lui paraissent utiles avant d’arrêter une décision sur le choix du maître d’œuvre de la construction projetée, il ne peut faire procéder par un tiers à un nouvel examen comparé des offres qui ait la même nature et le même objet que celui que l’article 314 ter du code des marchés publics a entendu, pour assurer l’impartialité et la transparence de la procédure, réserver au jury » (CE 1er oct. 1997, n° 170033, Lebon
; D. 1998. 361
, obs. P. Terneyre
; RDI 1998. 88, obs. F. Llorens et P. Terneyre
).
Cette liberté de choix dont peut user le maître d’ouvrage connaît une limite : il ne saurait recourir à une personne tierce pour analyser les offres. Mais surtout, comme le rappelle le rapporteur public Nicolas Labrune, dans ses conclusions sous l’arrêt du 30 juillet 2024, « c’est une évidence de dire que le choix de l’acheteur doit être motivé : l’autorité administrative ne saurait prendre une décision sans aucun motif et les candidats évincés ont le droit de connaître les raisons du rejet de leur offre ».
Un contrôle du juge administratif limité à l’erreur manifeste d’appréciation
La Haute juridiction retient le même raisonnement en ce qui concerne l’article 8 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 applicable au contrat litigieux, qui prévoit que « Le concours est un mode de sélection par lequel l’acheteur choisit, après mise en concurrence et avis d’un jury, (…) un projet, notamment dans le domaine (…) de l’urbanisme, de l’architecture ». L’article 88 du décret du 25 mars 2016 précise que « L’acheteur choisit le ou les lauréats du concours au vu des procès-verbaux et de l’avis du jury ».
En effet, la rédaction étant semblable à celle de l’ancien code des marchés publics, le Conseil d’État en déduit que le maître d’ouvrage peut « porter son choix sur un candidat ayant participé au concours autre que celui classé premier par le jury ».
La cour administrative d’appel a considéré, au cas d’espèce, que la communauté d’agglomération Valence Romans Agglo n’a pas justifié de motifs pouvant « manifestement » prévaloir sur le classement dressé par le jury du concours. Or, le Conseil d’État considère « qu’il ne résulte ni des dispositions précitées ni d’aucun principe général que l’acheteur ne pourrait s’écarter de l’avis du jury qu’à la condition que l’offre qu’il retient soit manifestement meilleure que celle proposée par le jury ».
À cet égard, la Haute juridiction précise qu’elle exerce, comme habituellement pour l’attribution d’un marché, un contrôle restreint limité à l’erreur manifeste d’appréciation : en outre, « l’administration choisit librement l’offre qu’elle juge la plus intéressante, en tenant compte du prix des prestations, de leur coût d’utilisation, de leur valeur technique, des garanties professionnelles et financières présentées par chacun des candidats et du délai d’exécution » (CE 27 juill. 1984, n° 44919, Lebon
).
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