Le nouveau droit des congés payés réécrit par la Cour de cassation
Par une série d’arrêts rendus le 13 septembre 2023, la chambre sociale de la Cour de cassation écarte certaines dispositions du droit français non conformes au droit européen en matière de congés payés.
En contradiction directe avec le droit national en vigueur, la Cour ouvre de nouveaux droits en faveur des salariés.
Désormais :
- les salariés dont le contrat de travail est suspendu en raison d’une maladie, que celle-ci soit d’origine professionnelle ou pas, continuent à acquérir des droits à congés payés durant cette période (Soc. 13 sept. 2023, n° 22-17.340, D. 2023. 1595
) ; - l’acquisition de congés payés en raison d’une maladie ou d’un accident professionnel n’est pas limitée à un an (Soc. 13 sept. 2023, n° 22-17.638, D. 2023. 1594
) ; - à l’issue d’un congé parental d’éducation, les congés payés précédemment acquis doivent être reportés (Soc. 13 sept. 2023, n° 22-14.043, D. 2023. 1598
) ; - la prescription de ce droit ne court qu’une fois que l’employeur a mis le salarié en mesure d’exercer ses droits à congés payés (Soc. 13 sept. 2023, n° 22-11.106).
Le constat d’une contradiction existante entre le droit interne et le droit européen
La directive européenne 2003/88/CE du 4 novembre 2003 relative au temps de travail énonce en son article 7 que « Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d’un congé annuel payé d’au moins quatre semaines, conformément aux conditions d’obtention et d’octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales ». La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a déjà eu l’occasion de rappeler que les États membres sont tenus de transposer les dispositions de l’article 7 de la directive de 2003 au sein de leur droit interne afin d’en assurer leur pleine effectivité (CJUE 24 janv. 2012, Dominguez, aff. C-282/10, Dalloz actualité, 24 févr. 2012, obs. L. Perrin ; D. 2012. 369
; ibid. 901, obs. P. Lokiec et J. Porta
; JA 2012, n° 454, p. 12, obs. L.T.
; RDT 2012. 371, obs. M. Véricel
; ibid. 578, chron. C. Boutayeb et E. Célestine
; RFDA 2012. 961, chron. C. Mayeur-Carpentier, L. Clément-Wilz et F. Martucci
; RTD eur. 2012. 490, obs. S. Robin-Olivier
; ibid. 2013. 677, obs. F. Benoît-Rohmer
; Rev. UE 2014. 243, chron. E. Sabatakakis
).
Le droit à congés payés est reconnu comme étant un principe essentiel du droit social communautaire (CJUE 6 nov. 2018, aff. C-569/16 et C-570/16, Bauer et a., Dalloz actualité, 12 nov. 2018, obs. M.-C. de Montecler ; AJDA 2018. 2165
; ibid. 2019. 559, étude C. Fernandes
; RDT 2019. 261, obs. M. Véricel
; RTD eur. 2019. 387, obs. F. Benoît-Rohmer
; ibid. 401, obs. F. Benoît-Rohmer
; ibid. 693, obs. S. Robin-Olivier
). Rappelons que la justice européenne est constante sur l’exigence de l’effectivité de ce droit, qui appartient au socle des droits sociaux fondamentaux de tous les travailleurs européens, et qui a une double finalité : celle de permettre aux travailleurs de se reposer par rapport à l’exécution des tâches leur incombant selon leur contrat de travail (droit au repos), mais également le droit de disposer d’une période de loisirs et de détente (droit au loisir) (CJUE 13 janv. 2022, aff. C-514/20, RDT 2022. 392, obs. M. Véricel
). En cela, le droit à congés payés ne s’entend pas uniquement, en droit européen, comme un droit compensant la fatigue liée au travail, mais également le droit de tout travailleur d’avoir un équilibre salutaire entre sa vie professionnelle et sa vie personnelle.
En conséquence, la CJUE impose une conception extensive de l’acquisition de ce droit à congés pendant les périodes de suspension du contrat de travail lorsque celles-ci sont indépendantes de la volonté du travailleur.
Ainsi, elle n’opère aucune distinction entre les travailleurs ayant effectivement travaillé et ceux ayant été en arrêt pour cause de maladie, professionnelle ou pas, au cours de la période de référence pour le calcul du droit à congés payés (CJUE 20 janv. 2009, aff. C-350/06 et C-520/06, Schultz-Hoff et a., AJDA 2009. 245, chron. E. Broussy, F. Donnat et C. Lambert
; RDT 2009. 170, obs. M. Véricel
; RTD eur. 2010. 673, chron. S. Robin-Olivier
; Rev. UE 2014. 296, chron. V. Giacobbo-Peyronnel et V. Huc
).
En effet, l’article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne pose comme principe que « Tout travailleur a droit à une période annuelle de congés payés ». La rédaction de cet article, érigé sous forme de principe fondamental, ne semble pas permettre, de prime abord, son application directe au sein des ensembles normatifs nationaux. Pourtant, la CJUE estime que ce texte est doté d’un effet direct horizontal (CJUE 6 nov. 2018, aff. C-684/16, Max-Planck-Gesellschaft zur Förderung der Wissenschaften, AJDA 2019. 559, étude C. Fernandes
; RDT 2019. 261, obs. M. Véricel
; RTD eur. 2019. 401, obs. F. Benoît-Rohmer
; ibid. 651, étude L. He
; ibid. 693, obs. S. Robin-Olivier
). En conséquence, en cas d’impossibilité d’interpréter les dispositions nationales d’une manière à garantir les droits des salariés en matière de congés payés, il incombe à la juridiction nationale de laisser ladite règlementation nationale inappliquée (CJUE 6 nov. 2018, aff. C-569/16 et C-570/16, Bauer et a., préc.).
L’absence de conformité du droit français au droit européen avait fait l’objet, de longue date, d’alertes répétées de la part de la Cour de cassation dans ses rapports successifs (Rapport annuel de la Cour de cassation, 2013, p. 64 s. ; ibid., 2014, p. 43 s. ; ibid., 2015, p. 33 s., et, après les arrêts rendus par la CJUE le 6 nov. 2018 quant à l’effet direct de l’art. 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne [voir ci-après], Rapport annuel de la Cour de cassation, 2018, p. 98 s.), qui avait incité le législateur à se saisir de cette non-conformité. C’est le cas notamment de l’article L. 3141-3 du code du travail, lequel lie le droit à l’acquisition de droits à congés payés au temps de travail effectif, si bien que les périodes de suspension du contrat de travail ne sont en principe pas retenues pour le calcul des congés payés. Notamment, les périodes d’arrêts de travail pour maladie non professionnelle n’ouvraient pas droit à l’acquisition de nouveaux congés (Soc. 10 déc. 2014, n° 13-17.743, RTD eur. 2015. 348-3, obs. B. Le Baut-Ferrarese
), sauf dispositions conventionnelles plus favorables. A contrario, lorsqu’elles sont assimilées à un temps de travail effectif, les périodes d’absence ouvrent bien droit à l’acquisition de congés payés. Par exemple, l’article L. 3141-5 du code du travail prévoit que les périodes de suspension du contrat de travail en situation de maladie ou d’accident professionnel ouvrent bien droit à congés payés. Il fixe cependant une limite d’un an à ce droit. Au-delà, le salarié toujours en arrêt de travail, et dont le contrat reste suspendu, cessait d’acquérir de nouveaux droits à congés (Soc. 2 juin 2016, n° 15-11.422).
Le droit français relatif à l’acquisition des droits à congés payés isole donc les périodes de suspension de contrat, au cours desquelles le compteur d’ouverture des droits à congés du salarié est également suspendu. Le droit européen, lui, ne connait pas l’existence de ces périodes de suspension suspendant l’acquisition des droits aux congés : tant que le salarié a une relation contractuelle avec l’employeur, il doit continuer d’acquérir ses droits au repos et aux loisirs.
Pourtant, la Cour de cassation, prudente et soucieuse du respect de sa stricte mission d’unifier et de contrôler l’interprétation des lois, avait jugé dans un premier temps que la directive ne pouvait permettre d’écarter les règles de droit national et l’application de l’article L. 3141-5 du code du travail à un litige entre particuliers (Soc. 13 mars 2013, n° 11-22.285 P, Dalloz actualité, 8 avr. 2013, obs. B. Ines ; D. 2013. 778
; Dr. soc. 2013. 564, obs. S. Laulom
; ibid. 576, chron. S. Tournaux
; RDT 2013. 341, obs. M. Véricel
; RTD eur. 2014. 435, obs. B. Le Baut-Ferrarese
; ibid. 460, obs. B. de Clavière
).
Cependant, outre ses rapports annuels, elle avait déjà eu l’occasion de souligner que le droit à congés résulte de la directive européenne mais également de l’article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui a la même valeur que les traités et un effet direct horizontal et vertical, pouvant être invoqué dans un litige entre employeur et salarié (Soc. 15 sept. 2021, n° 20-16.010, Dalloz actualité, 28 sept. 2021, obs. L. de Montvalon). Par cette alerte, elle accentuait déjà son invitation au législateur français à modifier les dispositions du code du travail (Soc. 2 mars 2022, n° 20-22.214).
Face au silence parlementaire, son revirement annoncé est désormais chose faite.
Par les arrêts du 13 septembre 2023, la Cour de cassation, entérine la non-conformité du droit français à l’article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, et entend y remédier pour le présent, le futur mais également semble-t-il le passé.
Le droit à l’acquisition de congés payés du salarié en arrêt maladie (maladie ordinaire) (n° 22-17.340)
En l’espèce, la Cour d‘appel de Reims avait fait droit aux salariés demandeurs à l’acquisition de droits à congés payés pour la période de la suspension de leur contrat de travail pour maladie ordinaire.
La Cour de cassation confirme l’arrêt rendu par la juridiction d’appel et écarte partiellement l’application de l’article L. 3141-3 du code du travail en ce qu’il subordonne l’acquisition de droits aux congés payés à l’exécution de travail effectif, jugeant que le salarié peut prétendre à ses droits à congés payés au titre de la période de suspension de son contrat.
Elle écarte ainsi l’application des articles L. 3141-1 et L. 3141-5 du code du travail, qui prévoient qu’en dehors des périodes assimilées à du temps de travail effectif par la loi ou par une convention collective, les périodes de suspension du contrat de travail ne permettent pas l’acquisition de nouveaux droits à congés. Une jurisprudence antérieure à ce revirement jurisprudentiel consacrait une lecture stricte de ces dispositions : ainsi, un salarié absent en raison d’une maladie non professionnelle n’acquérait pas de jours de congés pendant cette période (Soc. 14 mars 2001, n° 99-41.568). Cette position était confirmée depuis toujours par la Cour de cassation (Soc. 13 mars 2013, n° 11-22.285, préc.).
Or, selon les dispositions européennes, le droit à l’acquisition de congés payés annuels ne peut être subordonné à l’obligation d’avoir effectivement travaillé pendant la période de référence. Ce refus d’appliquer le droit européen avait déjà mené à une condamnation de l’État français à réparer le préjudice subi par un salarié du fait de la non-conformité de l’article L. 3141-5 du code du travail à la directive européenne par le Tribunal administratif de Clermont-Ferrand en 2016 (TA Clermont-Ferrand, 1re ch., 6 avr. 2016, n° 1500608).
La nouvelle doctrine de la Cour est maintenant claire : un salarié dont le contrat de travail est suspendu pour cause de maladie, de quelque origine qu’elle soit, continue à acquérir des droits à congés payés.
Le droit à l’acquisition de congés ne peut être limité à un an en cas d’arrêt de travail en raison de maladie ou d’accident à caractère professionnel (n° 22-17.638)
En l’espèce, un salarié victime d’un accident du travail en 2014 avait fait l’objet d’un arrêt de travail d’un an et huit mois. Il contestait la limitation de son indemnité de congés payés à un an, au visa de son droit à l’acquisition de congés payés durant la totalité de la période de suspension du contrat selon l’article 7 de la directive 2003/88/CE. La question posée à la Cour était donc directement relative à la conformité au droit européen de l’application des dispositions françaises limitant à une seule année le droit à l’acquisition de congés payés en cas de suspension du contrat de travail liée à un accident du travail ou à une maladie professionnelle.
En effet, l’article L. 3141-5 du code du travail limite à une durée ininterrompue d’un an la période de suspension du contrat de travail pour cause d’accident du travail ou de maladie professionnelle assimilée à du temps de travail effectif durant lequel le salarié peut acquérir des droits à congés payés. Là encore, cette disposition était contraire au droit communautaire qui ne connaît aucune limite temporelle à l’acquisition de ces droits, et ce quelle que soit l’origine de l’accident ou de la maladie.
L’article du code du travail étant très clair dans sa rédaction, la Cour d’appel de Paris en réalise une application logique et conforme à la jurisprudence antérieure de la Cour de cassation. Mais le 13 septembre 2023 – modifiant ainsi sa position constante – la Cour de cassation casse l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris, priorisant l’application de l’article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne sur celle du Code du travail.
Désormais, un salarié dont le contrat est suspendu par un arrêt de travail, quelle que soit l’origine de cet arrêt, continue à acquérir des droits à congés, et ce jusqu’à la fin de la suspension de son contrat, sans limite de durée.
Le report des congés payés acquis antérieurement au congé parental d’éducation (n° 22-14.043)
En l’espèce, le contrat de travail de la salariée avait été suspendu pour cause de congé parental d’éducation en février 2019, puis avait pris fin à la suite d’une rupture conventionnelle en octobre 2020.
N’ayant pas soldé ses droits à congés acquis précédemment à sa période de congé parental d’éducation, elle en réclamait le paiement à la rupture du contrat. Estimant que la salariée n’apportait pas la preuve d’avoir été empêchée de prendre ses congés payés à l’issue de la période de référence, ayant elle-même choisi la date de départ de son congé parental, le Conseil de prud’hommes de Chambéry la déboutait de sa demande.
Là encore, la même distorsion existait entre le droit interne et le droit européen. Les articles L. 3141-2 et L. 3141-22 du code du travail prévoient que les congés payés non utilisés pendant la période de référence sont réputés perdus, sauf exceptions prévues par le code, ou accord dérogatoire entre l’employeur et le salarié, ou bien encore accord ou convention plus favorables. La Cour de cassation avait eu l’occasion de se prononcer en matière de congé parental : les congés payés acquis avant le départ en congé parental d’éducation étaient perdus si le salarié ne les avait pas pris avant la fin de la période de référence (Soc. 28 janv. 2004, n° 01-46.314 P, Dr. soc. 2004. 431, obs. C. Radé
). A contrario, la CJUE, s’appuyant sur la clause 5 de l’accord-cadre européen relatif au congé parental du 14 décembre 1995, garantit le droit du salarié à retrouver ses droits à congés payés acquis à son retour de congé parental (CJUE 16 juill. 2009, aff. C-537/07, Gomez-Limon Sanchez-Camacho, 22 oct. 2009, aff. C-116/08, Meerts).
À l’instar des décisions précédentes, la Cour de cassation s’aligne sur la jurisprudence de la CJUE et reconnait ainsi pour la première fois la conservation et le report des congés payés acquis à la date du début du congé parental après la date de reprise du travail.
Le point de départ de la prescription du droit à congés payés (n° 22-11.106)
En l’espèce, une formatrice avait réalisé une prestation de formation auprès d’un institut de formation pendant plus de dix ans et avait obtenu de la justice que cette relation contractuelle soit requalifiée en contrat de travail. En conséquence, elle demande à être indemnisée des congés payés qu’elle n’a jamais pu prendre pendant ces dix années. La cour d’appel avait considéré que l’enseignante devait être indemnisée, mais uniquement sur la base des trois années ayant précédé la reconnaissance par la justice de son contrat de travail, le reste de ses droits à congés payés étant prescrit.
L’enseignante et l’institut de formation ont respectivement formé un pourvoi en cassation.
La question posée ici à la Cour de cassation est celle du point de départ de la prescription d’une demande d’indemnité de congés payés.
L’application du droit national limite l’indemnité de congés payés à la prescription triennale de l’action en paiement ou en répétition du salaire (C. trav., art. L. 3245-1). Cette prescription a pour point de départ le jour où le salarié a connu ou aurait dû connaitre les faits lui permettant de l’exercer, le jour de sa demande, ou lorsque le contrat est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat. Selon la Cour de cassation, ce point de départ, lorsqu’il concernait le versement de l’indemnité de congés payés, doit être fixé à l’expiration de la période légale ou conventionnelle au cours de laquelle les congés payés auraient pu être pris (Soc. 14 nov. 2013, n° 12-17.409 P, D. 2013. 2703
; ibid. 2014. 302, chron. P. Flores, F. Ducloz, C. Sommé, E. Wurtz, S. Mariette et A. Contamine
; RDT 2014. 475, obs. G. Pignarre
). Ces dispositions dérogent également aux règles issues du droit communautaire puisque la CJUE estime que la perte du droit à congés payés annuels à la fin d’une période de référence ou d’une période de report ne peut intervenir qu’à la condition que le travailleur concerné ait effectivement eu la possibilité d’exercer ce droit en temps utile (CJUE 22 sept. 2022, aff. C-120/21, LB c/ TO, RDT 2022. 720, chron. M. Véricel
).
À nouveau, la Cour de cassation s’aligne sur l’interprétation de la CJUE et au droit de l’Union européenne : le délai de prescription de l’indemnité de congés payés ne peut commencer à courir que si l’employeur a pris les mesures nécessaires pour permettre au salarié d’exercer effectivement son droit à congés payés. En l’espèce, le contrat de travail n’étant pas établi avant la reconnaissance de son existence devant les tribunaux, le délai de prescription n’avait pas commencé à courir avant cette requalification juridictionnelle.
Quid de la rétroactivité des droits à congés des salariés concernés dans le passé ?
La lecture de cette dernière décision met une emphase particulière sur les conséquences financières de ce revirement de jurisprudence : les employeurs s’étant jusqu’ici conformés à l’application du droit interne, confortés par une jurisprudence nationale précédemment établie, doit-on considérer que les salaries n’ont pas été informés de leur droits à titre personnel et n’ont ainsi pas été en mesure d’exercer leurs droits à titre personnel ? Si l’on retient cette interprétation, il faut en déduire logiquement que le délai de prescription de ces droits nouvellement ouverts n’a pas, à la date de ces décisions, commencé à courir.
L’impact financier de cette interprétation n’est pas sans conséquence pour les entreprises : cette nouvelle jurisprudence crée instantanément une dette exponentielle dans le temps envers les salariés concernés antérieurement à ces décisions. En effet, si l’on considère que la prescription n’a pas commencé à courir car le droit français n’était jusqu’ici pas conforme au droit européen, tous les salariés auxquels on a appliqué dans le passé les dispositions du droit national moins favorables pourraient réclamer à leur tour des indemnités compensant ces droits à congés non acquis dans le passé.
Nous pouvons ici regretter que la Cour de cassation n’ait pas souhaité moduler l’impact de ses décisions dans le temps, comme elle en dispose pourtant de la faculté, déterminant elle-même une limite à leur effet rétroactif, dans l’objectif d’apporter une sécurité juridique nécessaire à l’équilibre des relations contractuelles.
D’autres juridictions suprêmes ont par le passé pris la décision de limiter l’impact rétroactif de leurs décisions, afin de ne pas compromettre la sécurité juridique d’un ensemble normatif lors des variations de leurs prises de position. Tel a été le cas notamment pour le Conseil d’État, qui a eu l’occasion de pondérer au nom du principe de sécurité juridique l’effet de ses décisions dans le temps (CE 11 mai 2004, Association AC ! et a).
Nous pouvons émettre l’hypothèse que la Cour souhaite, en ne fixant pas pour le moment de limites aux conséquences des effets de ses décisions dans le temps, inciter le législateur à engager à l’avenir de manière plus réactive et efficace les travaux parlementaires de mise en conformité de la législation française au regard du droit européen. En effet, si cette dernière avait été réalisée par voie législative, comme le recommandait le Cour de cassation dans ses rapports, la nouvelle législation n’ayant d’effet qu’à compter de la date de sa publication au Journal officiel, les entreprises ne se trouveraient peut-être pas dans une telle insécurité juridique.
© Lefebvre Dalloz