Le périmètre de l'indemnité d'éviction en cas de licenciement nul reprécisé
Le salarié peut prétendre à ses droits à congés payés au titre de la période d'éviction comprise entre la date du licenciement nul et celle de la réintégration dans son emploi sauf lorsqu'il a occupé un autre emploi durant cette période.
Les sommes issues de l'intéressement et de la participation ne constituant pas des salaires, elles doivent être exclues du calcul de l'indemnité d'éviction.
Il est aujourd’hui bien acquis qu’en application des dispositions des articles L. 1132-1 et L. 1132-4 du code du travail, tout licenciement prononcé à l’égard d’un salarié en raison de son état de santé est nul. Dès lors qu’il caractérise une atteinte au droit à la protection de la santé, garanti par l’article 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, il était classiquement jugé que le salarié qui demande sa réintégration peut prétendre au paiement d’une indemnité égale au montant de la rémunération qu’il aurait dû percevoir entre son éviction et le jugement constatant la résiliation judiciaire de son contrat de travail, peu important qu’il ait ou non reçu des salaires ou revenus de remplacement pendant cette période (Soc. 2 juin 2010, n° 08-43.277 P, RDT 2010. 592, obs. M. Grévy
). Il est également toutefois jugé que le salarié dont le licenciement est nul et qui demande sa réintégration ne peut toutefois prétendre au paiement d’indemnités de rupture, de sorte que les indemnités versées à ce titre doivent être déduites du montant d’indemnités de préavis et de licenciement dues postérieurement en raison de la résiliation judiciaire du contrat de travail (Soc. 11 juill. 2012, n° 10-15.905, Dalloz actualité, 13 sept. 2012, obs. B. Ines ; D. 2012. 1967
; ibid. 2013. 1026, obs. P. Lokiec et J. Porta
; RJS 10/2012, n° 785).
Mais qu’en est-il des éventuelles primes d’intéressement et de participation versées pendant la période d’éviction, ainsi que les congés payés que le salarié aurait acquis s’il avait travaillé durant cette même période ? C’est sur le périmètre de l’indemnité et plus précisément sur ces deux aspects que l’arrêt du 1er mars 2023 rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation nous apporte, pour la première fois de façon aussi claire à notre connaissance, d’importantes précisions.
En l’espèce, un salarié engagé en qualité de conseiller clientèle par une caisse régionale du Crédit Agricole a été licencié pour insuffisance professionnelle un peu plus de deux ans après son embauche.
L’intéressé a saisi les juridictions prud’homales d’une demande en nullité de son licenciement en raison de son état de santé assortie d’une demande de réintégration, qu’il obtint. La cour d’appel saisie de l’affaire avait toutefois exclu du montant de l’indemnité d’éviction les sommes réclamées au titre de l’intéressement et la participation.
Le salarié, insatisfait du périmètre de l’indemnisation octroyée au titre de l’indemnité d’éviction, s’est alors pourvu en cassation.
Le rejet de l’intéressement et de la participation de l’assiette de l’indemnité d’éviction
L’intéressé sollicitait en effet la considération des primes d’intéressement et participation qu’il aurait perçue s’il avait travaillé pendant la période précédant la réintégration au titre de la valorisation de son indemnité d’éviction.
La chambre sociale de la Cour de cassation, saisie du pourvoi va toutefois rejeter l’argumentaire du salarié, rappelant simplement que les sommes réclamées au titre de l’intéressement et de la participation ne constituaient pas des salaires, de sorte qu’elles devaient être exclues du calcul de l’indemnité d’éviction.
Pour rappel, la jurisprudence considère usuellement en la matière que l’indemnité d’éviction est celle qui répare la totalité du préjudice subi par le salarié réintégré entre la rupture et sa réintégration, dans la limite du montant des salaires dont il a été privé pendant cette période (Soc. 25 janv. 2006, n° 03-47.517, D. 2006. 2002
, obs. J. Pélissier, B. Lardy-Pélissier et B. Reynès
). Encore fallait-il bien préciser ce qui peut être considéré à ce titre comme du « salaire ». La précision ici apportée par la Cour de cassation est la bienvenue, car elle tranche pour la première fois à notre connaissance sur cette question.
L’intégration des indemnités de congés payés dans l’assiette de l’indemnité d’éviction
La réaction de l’éminente juridiction va cependant être sensiblement différente concernant le sort réservé aux sommes réclamées au titre des congés payés, que la cour d’appel avait également pris le parti d’exclure de l’indemnité d’éviction.
Or pour l’intéressé, ne pas intégrer à l’indemnité la valeur des congés payés qu’il aurait accumulé s’il avait travaillé pendant la période interstitielle contrevient au principe de réparation intégrale du préjudice.
La chambre sociale de la Cour de cassation va recueillir favorablement son argumentaire et va, au visa des articles L. 1132-1 et L. 1132-4, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022, du code du travail, casser l’arrêt d’appel.
Rappelons en effet qu’une lecture combinée de ces textes conduit à considérer que tout licenciement prononcé à l’égard d’un salarié en raison de son état de santé est nul et que le salarié qui demande sa réintégration a droit au paiement d’une somme correspondant à la réparation de la totalité du préjudice subi au cours de la période qui s’est écoulée entre son licenciement et sa réintégration.
La chambre sociale ajoute toutefois dans cet arrêt la courte mais importante précision que ce droit s’opère « dans la limite du montant des salaires dont il a été privé », en cohérence avec l’interprétation du principe de réparation intégrale du préjudice. Cette formulation, déjà identifiée en jurisprudence (Soc. 25 janv. 2006, n° 03-47.517 P, préc.) pourra toutefois conduire à s’interroger sur la congruence de la solution consistant à considérer que cette réparation devait s’opérer « peu important qu’il ait ou non reçu des salaires ou revenus de remplacement pendant cette période » (Soc. 2 juin 2010, préc.).
L’éminente juridiction va par ailleurs rappeler que le salarié peut prétendre à ses droits à congés payés au titre de la période d’éviction comprise entre la date du licenciement nul et celle de la réintégration dans son emploi en application des dispositions des articles L. 3141-3 et L. 3141-9 du code du travail, sauf lorsqu’il a occupé un autre emploi durant cette période (v déjà, Soc. 1er déc. 2021, n° 19-24.766 B, D. 2021. 2236
; ibid. 2022. 414, chron. S. Ala et M.-P. Lanoue
; CJUE 25 juin 2020, aff. C-762/18 et C-37/19, RDT 2020. 757, obs. M. Véricel
; RTD eur. 2021. 988, obs. F. Benoît-Rohmer
).
Si cette exception de l’occupation d’un autre emploi nous apparait bienvenue en ce qu’elle évite d’indemniser un congé dont le salarié aurait déjà profité par ailleurs, elle conduit à s’interroger sur la cohérence d’ensemble du régime de l’indemnité d’éviction, dont une forme de caractère forfaitaire a pu être reconnue concernant la question des revenus de remplacement (l’on songe ici aux allocations chômage en particulier) perçus pendant la période d’éviction qui ne doivent pas être déduits de l’indemnité d’éviction dans le cas où le licenciement est nul car prononcé en raison de l’état de santé, le droit à la santé étant en effet un droit fondamental (Soc. 11 juill. 2012, n° 10-15.905 P, préc.).
Le régime de l’indemnité d’éviction apparaît au final se construire selon sa propre logique, tissée d’une intrication de différentes considérations (droit européen des congés payés, droit à la santé, principe de réparation intégrale du préjudice, notion de « salaires »), pour laisser apparaître au justiciable une toile globalement favorable au salarié qui, bien qu’il ne puisse revendiquer le bénéfice des primes d’intéressement et de participation correspondant à la période d’éviction, pourra intégrer au montant de l’indemnité d’éviction les sommes réclamées au titre des congés payés qu’il aurait pu percevoir, à la seule réserve qu’il n’en ai pas déjà bénéficié au titre d’un autre emploi exercé dans l’intervalle.
Mais quid du salarié exerçant un emploi sous un statut non salarié pendant cette période ? si l’arrêt se borne à fixer la condition du non exercice d’un « autre emploi durant cette période », gageons que les hauts magistrats entendaient par là un emploi « salarié » donnant accès au régime des congés payés sur lequel la solution rendue assoit son raisonnement.
© Lefebvre Dalloz