Le pourvoi pris au dépourvu : l’étonnante portée des recours en matière de nullité par voie de conséquence des actes d’instruction

Lorsqu’elle est saisie d’un pourvoi expressément limité aux seules dispositions portant sur des annulations et cancellations par voie de conséquence, la Cour de cassation est aussi nécessairement saisie des chefs de l’arrêt relatifs à la nullité de l’acte cause des annulations subséquentes. Elle peut donc, en relevant un moyen d’office, revenir sur l’annulation de cet acte, ce qui conduit à aggraver la situation de l’auteur du pourvoi.

La police et la pègre se livrent à une éternelle course aux armements : à chaque fois qu’une technologie est développée pour traquer des comportements infractionnels, de nouveaux moyens de dissimulation se répandent dans le milieu. Pour enrayer ce processus, les forces de sécurité intérieure aimeraient bien pouvoir garder secrètes leurs méthodes d’investigation (v. les débats sur le « dossier coffre », P. Januel, La France face à l’inquiétante montée du narcotrafic, Dalloz actualité, 15 mai 2024). En principe, elles ne le peuvent pas, car les techniques d’investigation font l’objet d’un régime légal, par définition accessible, et parce que leur mise en œuvre concrète est retracée dans le dossier.

Il existe toutefois des exceptions, notamment lorsque la police demande le concours de services habilités à utiliser des moyens de l’État soumis au secret de la défense nationale. Ce procédé peut être utilisé pour décoder des données chiffrées (C. pr. pén., art. 230-1), activer à distance des appareils électroniques appartenant aux suspects aux fins de géolocalisation (C. pr. pén., art. 230-36) et capter des données informatiques à distance (C. pr. pén., art. 706-102-1). A l’origine, les moyens dont il est question étaient développés par les services de renseignement. Le législateur a permis une mutualisation de ces outils avec la police judiciaire, tout en prévoyant certaines garanties (M. Untersinger, Justice : les enquêteurs pourront bientôt utiliser des logiciels espions, Le Monde, 14 nov. 2017). Pour les captations des demandes de données informatiques, les demandes sont centralisées auprès du service technique national de captation judiciaire, qui est rattaché à la direction générale de la sécurité intérieure (Arr. du 9 mai 2018 portant création du service à compétence nationale dénommé « service technique national de captation judiciaire »). La conception et le mode de fonctionnement des outils d’interception sont couverts par le secret défense, et seuls certains services de police judiciaire sont habilités à les utiliser (C. pr. pén., art. D. 15-1-6). Ce régime vise à maintenir un voile de mystère autour de ces technologies extrêmement coûteuses et particulièrement dangereuses, notamment si elles venaient à tomber en de mauvaises mains. Pour le Conseil constitutionnel, ce secret permet d’éviter de fragiliser l’action des services de renseignement en divulguant les techniques qu’ils utilisent et contribue donc à la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation (Cons. const. 8 avr. 2022, n° 2022-987 QPC, consid. 15., Dalloz actualité, 10 mai 2022, obs. M. Slimani ; D. 2023. 1833 , note M. Lassalle ; ibid. 1235, obs. E. Debaets et N. Jacquinot ; RTD civ. 2022. 628, obs. H. Barbier ).

L’espèce

Un homme a été poursuivi des chefs d’importation de stupéfiants en bande organisée, infractions à la législation sur les stupéfiants, blanchiment, blanchiment aggravé et association de malfaiteurs. Mis en examen le 12 janvier 2023, il a demandé l’annulation de pièces relatives à une captation de données informatiques de son téléphone. En effet, un juge d’instruction avait autorisé des enquêteurs à recourir à cette technique spéciale d’enquête. L’officier de police judiciaire ayant reçu la commission rogatoire a sollicité la DGSI aux fins de saisine du service technique national de captation judiciaire. Par un arrêt du 23 octobre 2024, la chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris a partiellement accueilli la requête du mis en examen en prononçant l’annulation d’actes cotés relatifs à la captation des données informatiques ainsi que l’annulation ou la cancellation de diverses autres pièces de la procédure par voie de conséquence.

Manifestement insatisfait que la chambre de l’instruction n’ait que partiellement fait droit à sa requête, le mis en examen a formé un pourvoi en cassation. Quelques mois après, il s’est désisté d’une partie de son pourvoi, en faisant sortir du périmètre de son recours l’annulation des actes relatifs à la captation de données informatiques. Du fait de ce désistement, le pourvoi s’est trouvé limité au rejet des demandes d’annulation d’actes que le mis en examen considérait être subséquents à la captation des données du téléphone. Ainsi, en l’absence de pourvoi du ministère public, le mis en examen s’était assuré une sécurité : au mieux, la chambre criminelle cassait les dispositions de l’arrêt n’ayant pas fait droit à certaines de ses demandes d’annulation ; au pire, elle rejetait simplement son pourvoi. Ce n’est pas ce qui s’est passé.

Étendue de la saisine de la Cour de cassation en cas de pourvoi limité à l’annulation d’actes par voie de conséquence

Avant de statuer sur les mérites du pourvoi, la chambre criminelle a apprécié l’étendue de sa saisine. En la matière, le principe est que la Cour de cassation n’est saisie que des chef ou disposition indiqués dans l’acte de pourvoi (Crim. 13 oct. 1980, n° 79-90.780). Le choix de restreindre le périmètre de son recours peut être opéré ab initio, mais peut aussi avoir lieu en cours d’instance au moyen d’un désistement partiel (L. Boré et J. Boré, La cassation en matière pénale 2025/2026, 5e éd., 2024, Dalloz, n° 122.44). Dès lors que des chefs de l’arrêt sont écartés du périmètre du pourvoi, la Cour de cassation n’en est pas saisie. Elle ne peut donc pas se prononcer sur ces chefs, même par un moyen relevé d’office (L. Boré et J. Boré, op. cit., n° 112.124).

Pourtant, dans la présente espèce, la Cour de cassation a écarté cette règle et a d’elle-même étendu le périmètre de sa saisine, en affirmant le caractère inefficace des limites posées par le pourvoi. Pour justifier cette solution, elle est revenue sur la particularité de l’annulation des actes d’instruction par voie de conséquence. L’annulation d’un acte peut parfois rejaillir sur un autre acte : on parle de « nullité par contagion » (Rép. pén., Nullités de procédure, par M. Guérin, 2023, nos 249 s.), dès lors qu’un acte a pour support nécessaire un acte qui est annulé, il doit subir la même sanction (v. par ex., Crim. 13 févr. 2024, n° 23-83.827). De même, toutes les références ponctuelles à des actes qui ont été annulés dans d’autres actes de procédure doivent faire l’objet d’une cancellation (pour une illustration de décision ordonnant des cancellations, v. Crim. 9 mai 2018, n° 17-80.656, Dalloz actualité, 22 mai 2018, obs. D. Goetz ; AJ pénal 2018. 359, note S. Fucini ). En revanche, l’annulation d’un acte par voie de conséquence n’est pas autonome ; elle doit nécessairement être remise en question si l’annulation de l’acte cause des annulations par voie de conséquence est anéantie par la cassation des dispositions de l’arrêt afférentes. C’est ce qu’affirme la Cour de cassation en retenant que « l’annulation par voie de conséquence de pièces de la procédure ne saurait être fondée sur la nullité d’une pièce ou d’un acte de la procédure prononcée à tort par la chambre de l’instruction ». Aussi, pour savoir si des actes subséquents doivent ou non être annulés, il est indispensable de savoir si l’annulation à l’origine des autres est elle-même régulière. Cette règle touchant à la bonne administration de la justice est qualifiée d’ordre public. Elle peut donc être relevée d’office par la Cour de cassation pour priver d’effet la limitation du pourvoi aux seules dispositions de l’arrêt attaqué statuant sur des nullités par voie de conséquence et inclure dans sa saisine la question de la nullité originaire.

Même si elle est justifiée par la bonne administration de la justice, la solution retenue par la Cour de cassation est extrêmement défavorable pour l’auteur du pourvoi, qui risque de voir l’annulation d’actes d’instruction, qui, par hypothèse lui était favorable, remise en question alors que ni lui ni aucune autre partie ne l’avait demandé. En effet, la solution retenue par la chambre criminelle la conduit à statuer ultra petita, en prononçant la cassation de dispositions de l’arrêt qui n’étaient pas attaquées et dont elle n’était pas saisie. Admettre que la chambre criminelle puisse étendre de sa propre initiative le périmètre de sa saisine, ou qu’elle ait le pouvoir de déclarer inefficaces les limites déterminées par l’auteur du pourvoi, contribue incontestablement à l’insécurité procédurale et nuit à l’effectivité des voies de recours. Une solution plus respectueuse des limites de la saisine de la Cour de cassation aurait été qu’elle se borne à apprécier le bien-fondé de l’annulation de l’acte originaire sans se reconnaître le pouvoir de casser sans renvoi les dispositions de l’arrêt de la chambre de l’instruction relatives à cette annulation. Elle aurait cependant conduit à une situation paradoxale, dans laquelle les actes subséquents seraient maintenus alors que l’acte originaire, pourtant considéré comme régulier dans les motifs de la Cour, demeurerait irrévocablement annulé.

Il faut relativiser la portée de cet arrêt qui n’a pas été publié. En effet, la configuration de l’affaire est rare en pratique, car, dans ce cas de figure, le représentant du ministère public forme lui aussi un pourvoi, qui étend la saisine de la Cour de cassation aux dispositions relatives à l’annulation de l’acte originaire. En l’espèce, la vigilance du parquet a sans doute été altérée par les termes généraux du pourvoi du mis en examen, qui s’est ensuite restreint par le jeu d’un désistement partiel.

Quoi qu’il en soit, on dit parfois que l’exercice d’une voie de recours ne peut pas être préjudiciable à celui qui l’emprunte ; la décision commentée constitue un redoutable contre-exemple. Surtout car, en l’espèce, la Cour de cassation a cassé et annulé sans renvoi toutes les dispositions relatives aux annulations originaires ou par voie de conséquence liées aux interceptions de données.

La régularité de la saisie à l’initiative de l’OPJ des services recourant à des moyens soumis au secret de la défense nationale

En l’espèce, la chambre de l’instruction avait annulé les actes relatifs à la captation de données informatiques, au motif que le juge d’instruction n’avait pas ordonné de saisir la DGSI et que, selon les dispositions de l’article 706-102-1 du code de procédure pénale, l’officier de police judiciaire (OPJ) ayant reçu la commission rogatoire ne pouvait pas le faire de sa propre initiative. En effet, l’article 706-102-1 vise seulement le procureur de la République et le juge d’instruction. Toutefois, pour la Cour de cassation, il est indifférent que le recours aux moyens de l’État résulte de la réquisition d’un OPJ plutôt que d’une prescription du juge d’instruction, dès lors que ce magistrat ne s’y est pas opposé dans sa commission rogatoire et que la mesure se déroule sous son autorité et son contrôle et qu’il peut ordonner à tout moment son interruption.

La solution peut surprendre, en ce qu’elle semble reconnaître des prérogatives particulièrement attentatoires à la vie privée aux officiers de police judiciaire. En réalité, elle manque de contextualisation. La saisine du service technique national de captation judiciaire intervient dans le cadre d’une captation de données informatiques. Il s’agit d’un acte d’investigation qui relève de la catégorie des techniques spéciales d’enquête, et plus précisément, celles décrites par la section 6 du titre du code de procédure pénale relatif à la procédure applicable à la criminalité et à la délinquance organisées. Il s’agit d’actes d’investigation particulièrement intrusifs, qui doivent être autorisés par le juge des libertés et de la détention à la requête du procureur de la République en phase d’enquête, et autorisés par le juge d’instruction après avis du procureur de la République en phase d’information judiciaire. Dès lors, la réparation des rôles est clairement établie : les techniques spéciales d’enquête se déroulent sous l’autorité et le contrôle du magistrat qui les a autorisés (C. pr. pén., art. 706-95-14) et elles sont mises en œuvre par les officiers de police judiciaire (C. pr. pén., art. 706-95-17). Dans ce cadre, le deuxième alinéa de l’article 706-95-17 reconnaît expressément que les officiers de police judiciaire ont le pouvoir de requérir des agents qualifiés pour installer ou utiliser les dispositifs autorisés. Par conséquent, dès lors que la loi ou le magistrat ayant autorisé la mesure ne s’y opposent pas, l’OPJ en charge de l’exécution de la mesure peut de lui-même solliciter les services ayant recours aux moyens de l’État protégés par le secret de la défense.

La portée de cet arrêt peut être étendue aux captations de données informatiques réalisées en enquête, le rôle du juge d’instruction en matière d’autorisation et de contrôle étant alors attribué au juge des libertés et de la détention. Quant aux autres actes d’investigation reposant sur des technologies protégées par le secret de la défense, les textes retiennent parfois la même solution. Pour le déchiffrement, l’article 230-1 du code de procédure pénale prévoit expressément que « l’officier de police judiciaire, sur autorisation du procureur de la République ou du juge d’instruction, […] peut prescrire le recours aux moyens de l’État ». Pour l’activation à distance aux fins de géolocalisation (C. pr. pén., art. 230-34-1), l’article 230-36 indique que « le procureur de la République ou le juge d’instruction peuvent prescrire le recours aux moyens de l’État », sans mentionner les officiers de police judiciaire, mais en opérant un renvoi aux formes des prescriptions en matière de déchiffrement. Il y a donc une certaine ambiguïté pour cet acte d’enquête, que l’on retrouve pour les nouvelles activations à distance d’un appareil fixe (C. pr. pén., art. 706-96, al. 2) ou d’un appareil mobile (C. pr. pén., art. 706-99) par le recours aux moyens de l’État soumis au secret de la défense nationale aux fins de captation d’images ou de sonorisation.

 

Crim. 3 juin 2025, FS-B, n° 24-86.347

par Théo Scherer, Maître de conférences, Université de Caen Normandie, Institut caennais de recherche juridique (UR 967)

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