Le pouvoir de sanction de l’AMF : bilan et perspectives
La Commission des sanctions de l’AMF a récemment organisé une table ronde sur l’évolution de son pouvoir de sanction. Véritable trouble-fête, le legal privilege s’est invité dans les débats.
Instituée en novembre 2003, l’Autorité des marchés financiers (AMF) va fêter ses 20 ans cette année. Pour marquer cette étape, une table ronde intitulée « Le pouvoir de sanction de l’AMF : bilan et perspectives » a été organisée lors du 16e colloque de la Commission des sanctions de l’AMF, le 12 octobre 2023 à Paris.
12 millions d’euros de sanctions pécuniaires en l’espace d’un an
« En l’espace d’un an, d’octobre 2022 à octobre 2023, la Commission des sanctions a rendu 15 décisions de sanction et 8 décisions d’homologation d’accord de composition administrative. Elle a prononcé un total d’un peu plus de 12 millions d’euros de sanctions pécuniaires. C’est un montant élevé qui traduit notamment la gravité des manquements qui ont été sanctionnés », a souligné le président de la Commission des sanctions de l’AMF, Jean Gaeremynck.
Sur la même période, les juridictions de recours – la cour d’appel de Paris, la Cour de cassation et le Conseil d’État – ont rendu un total de 16 ordonnances et décisions. Ces dernières viennent confirmer les décisions de la Commission des sanctions « à 92 %, si l’on exclut les décisions de réduction des sanctions », a précisé Valérie Michel-Amsellem, conseillère à la Cour de cassation et membre de la Commission des sanctions de l’AMF.
S’adapter aux nouveaux enjeux au fil du temps
Directeur des affaires juridiques de l’Autorité, Maxence Delorme, a énuméré quelques-uns des grands enjeux auxquels l’AMF doit faire face sur le plan opérationnel. À commencer par « la complexification des faits que nous avons à traiter et des investigations que nous menons », « l’internationalisation des dossiers, qui est une source mécanique de ralentissement des procédures », « la sophistication croissante de la finance et de ses métiers mais aussi ses outils », « l’accélération et l’augmentation des échanges et des transactions », « l’explosion du volume des données à exploiter », « le développement de réseaux d’initiés complexes aux méthodes pouvant être issus du grand banditisme »…
En parallèle, « les nouveaux enjeux de la finance, et en particulier de la finance durable, ont vocation à être couverts par des procédures répressives et non répressives, (…) même si l’approche privilégiée à ce stade est l’accompagnement et la pédagogie ».
Un projet de transaction simplifiée pour les manquements déclaratifs
Pour répondre à ces défis, l’AMF a adapté ses méthodes et ses moyens d’action en matière d’enquête (renforcement des moyens humains et techniques et mise en place de nouveaux outils), de contrôle (création des contrôles spots en 2017) et de poursuite (renforcement du cadre juridique de la poursuite, création de la composition administrative en 2010, étendue en 2016). L’Autorité fait par ailleurs « beaucoup d’efforts en interne pour réduire les délais de traitement », a souligné Maxence Delorme. Actuellement, « la durée moyenne des contrôles est de six mois et la durée moyenne des enquêtes – avant la phase contradictoire – est de 16 mois ».
Pour renforcer ses moyens d’action, l’AMF souhaite aujourd’hui pouvoir disposer d’un nouvel outil. « Nous portons le projet d’une transaction simplifiée qui se positionnerait entre la lettre d’observation – qui est une lettre des services adressée à l’issue d’une procédure – et la composition administrative. Cette transaction simplifiée aurait en particulier comme focus les manquements déclaratifs qui en règle générale ne donnent pas lieu à des poursuites. Il pourrait s’agir d’une procédure très légère, à la main des services de l’AMF, et donnant lieu à reversement de sommes assez modestes au Trésor public. »
Droits de la défense : les inquiétudes soulevées par le legal privilege
En matière de garanties des droits de la défense, le directeur des affaires juridiques de l’Autorité a tout d’abord souligné « les actions mises en œuvre par l’AMF en matière de protection des secrets et, en particulier, le secret avocat-client, avec les modalités de tri de messagerie effectuées pour préserver ce secret ». Avant d’évoquer « l’inquiétude de l’AMF » à l’égard du legal privilege introduit en droit français par la loi de programmation pour la justice.
« Nous avons beaucoup milité, ainsi que d’autres autorités, pour que ce legal privilege ne soit pas opposable aux autorités détenant un pouvoir de sanction. Nous avons fait valoir qu’il était extrêmement paradoxal, sur un plan à la fois juridique et pratique, de prévoir un legal privilege opposable à l’AMF et pas au pénal alors que beaucoup des enquêtes en matière d’abus de marché menées par le parquet financier devant le tribunal correctionnel de Paris sont issues d’enquêtes de l’AMF. Demain, en pratique, lorsque le Parquet national financier ouvrira une enquête (…), le juge d’instruction décidera peut-être de retourner dans les lieux dans le cadre d’une perquisition pour obtenir ce que les enquêteurs de l’AMF n’ont pas obtenu. » Par ailleurs, « le legal privilege est aussi, de notre point de vue, le risque d’une boite noire au service des entreprises (…) de nature à entraver la bonne conduite de nos dossiers. »
« Nous partageons les interrogations de l’AMF », a déclaré la vice-présidente de l’Autorité de la concurrence, Fabienne Siredey-Garnier. « Nous sommes inquiets par rapport aux modalités de ce nouveau dispositif, à son extrême souplesse et à l’absence totale de contrepartie pour nous. Ce legal privilège est octroyé à des personnes – et nous n’avons rien contre les juristes d’entreprise, bien au contraire – dont les seules garanties seront d’être titulaires d’un master en droit – aucune déontologie car ce n’est pas une profession réglementée. »
Pour le juge des libertés et de la détention (JLD), c’est « une charge de travail supplémentaire dans des conditions de rapidité extrême », et ce alors que « Nanterre – où il y a la plupart des sièges sociaux – a 4 JLD, Paris 10 JLD, et Bobigny 5 JLD ». Par-delà « les vraies interrogations juridiques et les vraies interrogations en termes d’efficacité, nous considérons que le texte adopté est un droit qui a été octroyé sans véritable contrepartie, et nous serons évidemment extrêmement vigilants au futur développement que ce nouvel article va engendrer ».
© Lefebvre Dalloz