Le principe du contradictoire et la procédure de l’article 1436 du code de procédure civile

La Cour de cassation réaffirme que le secret professionnel du notaire ne peut être levé que par une autorisation du président du tribunal judiciaire statuant sur requête au sens de l’article 1436 du code de procédure civile. Le notaire peut ainsi être contraint de délivrer des expéditions ou donner connaissance des actes qu’il a établis en cas de refus, de silence ou aux personnes non mentionnées par l’article 23 de la loi du 25 ventôse an XI. Cependant, cette procédure d’autorisation est soumise à l’exigence intangible du contradictoire.

Dans le cadre de ses fonctions, un notaire peut être amené à concilier deux obligations contradictoires : il est, d’une part, tenu à un secret professionnel intangible (Civ. 1re, 4 juin 2014, n° 12-21.244, Dalloz actualité, 19 juin 2014, obs. R. Mésa ; D. 2014. 1284 ; ibid. 2478, obs. J.-D. Bretzner, A. Aynès et I. Darret-Courgeon ; AJDI 2014. 721 ; RTD civ. 2014. 658, obs. H. Barbier ; JCP N 2015. 1130, obs. C. Corgas-Bernard ; ibid. 2014, n° 37, 1269, note G. Rouzet ; JCP 2014. 980, note E. Raschel ; RDC 2014. 756, note C. Pérès ; Defrénois 2015. 197, obs. M. Latina ; Gaz. Pal. 2014, n° 252, p. 24, obs. C. Bléry ; adde art. 8, al. 2, du décr. n° 2023-1297 du 28 déc. 2023 relatif au code de déontologie des notaires disposant que « le secret professionnel est général et absolu ») et, d’autre part, parfois astreint à lever ce secret professionnel en raison d’une obligation légale (not. en matière de blanchiment, v. C. mon. fin., art. L. 561-2, 13°) ou d’une autorisation judiciaire (v. art. 23 de la loi du 25 ventôse an XI et art. 1436 c. pr. civ.). L’arrêt commenté permet d’affiner le régime procédural de l’autorisation judiciaire de délivrance des expéditions et de donner connaissance des actes du notaire sur ordonnance du président du tribunal judiciaire.


Reprenons les faits de l’affaire. Le Tribunal de commerce de Paris a, en premier lieu, ordonné l’ouverture d’une liquidation judiciaire à l’encontre de la société E-Motion, le 10 septembre 2013 et, en second lieu, condamné le dirigeant de fait de la société à payer diverses sommes au liquidateur judiciaire en raison de fautes de gestion ayant contribué à l’insuffisance d’actif de la société, le 14 mai 2019. Afin de savoir précisément la consistance des droits du dirigeant de fait dans la succession de sa mère, le liquidateur a présenté une requête au président du Tribunal judiciaire d’Agen pour autoriser le notaire à communiquer tout document en sa possession. Par ordonnance du 6 novembre 2020, le président du tribunal judiciaire a fait droit à cette requête et autorisé le notaire à communiquer au liquidateur divers documents (à savoir l’acte de notoriété dressé le 2 mai 2018, l’état de l’actif et du passif de la succession, les actes de donation consentis par le de cujus au profit du dirigeant de fait, la déclaration de succession et l’acte de partage le cas échéant).

Le notaire, par un référé-rétractation, contesta l’ordonnance du président du tribunal judiciaire. Ce dernier, le 8 février 2021, rejeta la demande en rétractation et confirma l’ordonnance sur requête tant que cette communication ne portait pas atteinte à la confidentialité attachée à la situation des autres héritiers ou ayants droit dans la succession. Toujours insatisfait, le notaire interjeta appel de l’ordonnance de référé devant la Cour d’appel d’Agen. Celle-ci confirma la décision de première instance, sauf sur la limitation de la communication au nom de la confidentialité. N’ayant pas obtenu gain de cause, le notaire se tourna naturellement vers la Cour de cassation. Il argua dans son pourvoi qu’un tiers ne pouvait saisir d’une requête non contradictoire le président du tribunal judiciaire sur le fondement des articles 23 de la loi du 25 ventôse an XI et 1436 du code de procédure civile, qu’en tout état de cause la procédure de l’article 23 de la loi du 25 ventôse an XI impose le respect du contradictoire au sens de l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme et, subsidiairement, que le liquidateur ne devait pas être considéré comme un tiers créancier lui permettant de faire usage de cette procédure et que l’absence de cantonnement de la mesure portait atteinte à la substance même du secret professionnel du notaire.

Sur l’ensemble des arguments avancés par le demandeur au pourvoi, la Cour de cassation fut convaincue par celui tiré du non-respect du contradictoire. Elle donna ainsi raison au notaire en censurant la décision des juges agenais. Au visa des seuls articles 23 de la loi du 25 ventôse an XI et 1436 du code de procédure civile, c’est-à-dire sans le soutien de l’article 6, § 1, de la Convention européenne, la Cour de cassation affirme, il nous semble pour la première fois, que « les dispositions de la loi susvisée ne prévoient aucune dérogation au principe de la contradiction, dont le respect est au contraire nécessaire pour garantir le secret professionnel auquel l’officier ministériel est tenu ». Cette solution, qui ne remet pas en cause la procédure judiciaire sus-évoquée, proclame que la dérogation au secret professionnel du notaire ne peut être autorisée par le juge judiciaire qu’après avoir entendu le notaire lors de la première phase de la procédure, à savoir la requête.

Au regard de cette décision et de la jurisprudence constante de la Cour de cassation, il semble que pour contraindre un notaire à lever son secret professionnel des conditions cumulatives soient nécessaires. Il convient de les reprendre successivement.

En premier lieu, conformément aux articles 23 de la loi du 25 ventôse an XI et 1435 du code de procédure civile, le notaire ne peut délivrer les expéditions ou donner connaissance des actes qu’aux parties intéressées en nom direct, leurs héritiers et ayants droit. Il ne peut passer outre cette obligation (Riom, 30 janv. 1989, JCP N 1989. 261, obs. T. Sanséau), à peine d’une amende de 15 € et de poursuites disciplinaires. Si cette liste apparaît limitative, la Cour de cassation en a une interprétation souple, puisqu’elle considère que le notaire ne peut opposer le secret professionnel au liquidateur, étant investi d’un mandat légal de représentation du débiteur, pour refuser de communiquer la consistance des droits détenus par le débiteur dans une succession (Com. 23 oct. 2019, n° 18-15.280, Dalloz actualité, 13 novembre 2019, obs. X. Delpech ; D. 2019. 2086 ; AJ fam. 2019. 663, obs. N. Levillain ; Gaz. Pal. 2020, n° 2, p. 72, obs. B. Ferrari ; BJE 2020, n° 117n4, p. 37, obs. S. Cabrillac). En cas de refus ou de silence du notaire ou pour les personnes non visées par ces textes, le notaire devra être délié de son secret par une autorisation judiciaire au regard de la combinaison des articles 23 de la loi du 25 ventôse an XI et 1436 du code de procédure civile. En l’absence d’autorisation judiciaire, le notaire ne peut être contraint à cette délivrance (Civ. 1re, 11 janv. 2023, n° 20-23.679, Dalloz actualité, 24 janv. 2023, obs. A. Tani ; D. 2023. 77 ; AJ fam. 2023. 72, obs. V. Avena-Robardet, F. Eudier et D. d’Ambra ; RCA 2023. Comm. 56, obs. P. Pierre ; JCP N 2023. 217, focus P. Noual).

En deuxième lieu, même en présence d’une autorisation judiciaire, l’information communiquée par la notaire doit être contenue dans un acte qu’il a établi (Civ. 1re, 20 avr. 2022, n° 20-23.160, D. 2022. 798 ; ibid. 2023. 523, obs. M. Douchy-Oudot ; AJ fam. 2022. 345, obs. S. Ferre-André ; JCP N 2022. 1213, obs. Y. Dagorne-Labbe ; 11 janv. 2023, n° 20-23.679, préc.). Au regard de ces deux arrêts, il semblerait que la dérogation au secret professionnel du notaire doit s’interpréter strictement : les créanciers ne peuvent bénéficier d’un droit à communication élargi.

En troisième lieu, le notaire ne peut être contraint à la délivrance des expéditions et de donner connaissance des actes qu’il a établis qu’après avoir été entendu par le juge saisi sur requête. Il s’agit de l’apport de l’arrêt commenté. En effet, la jurisprudence n’a jamais pris position sur la nature de l’ordonnance de l’article 23 de la loi du 25 ventôse an XI. À ce titre, un arrêt évoque une procédure de référé (Civ. 1re, 20 avr. 2022, n° 20-23.160, préc. ; adde TGI Meaux, ord. réf., 29 janv. 2003, JCP N 2003. 1302, note J.-P. Kuhn) tandis qu’un autre mentionne une procédure sur requête (Civ. 2e, 28 juin 2018, n° 16-24.694). Le demandeur au pourvoi soutenait que la procédure devait être introduite par une assignation en référé. La Cour de cassation n’a pourtant pas ici saisi l’occasion de trancher la question. Au contraire, elle cite l’article 1436 du code de procédure civile qui, lui, énonce que le juge est saisi par requête. Toutefois, l’article poursuit en indiquant que le demandeur et le dépositaire sont entendus ou appelés. Un arrêt de la Cour d’appel de Limoges a déjà précisé que cette obligation d’appeler ou d’entendre le dépositaire est requise à peine de nullité de la décision du juge (Limoges, 3 oct. 2013, n° 13/00118).


Ainsi, au nom du principe du contradictoire, qui est reconnu tant par l’article 14 du code de procédure civile que par l’article 6, § 1, de la Convention européenne, le notaire, c’est-à-dire le dépositaire, devait être entendu par le président du Tribunal judiciaire d’Agen avant qu’il ne rende son ordonnance sur requête. Il ne s’agirait donc pas d’une procédure non contradictoire au sens de l’article 493 du code de procédure civile. In fine, seul l’acte introductif d’instance, à savoir la requête, serait non contradictoire. Si pour la Cour d’appel d’Agen, le contradictoire aurait été respecté a posteriori par le référé-rétractation, un attendu très explicite de la Cour de cassation énonce que « les dispositions de la loi susvisée ne prévoient aucune dérogation au principe de la contradiction, dont le respect est au contraire nécessaire pour garantir le secret professionnel auquel l’officier ministériel est tenu ». Dès lors, le juge ne peut ajouter à un texte qui ne le prévoit pas une dérogation au principe du contradictoire.

La Cour de cassation insiste dans cette décision : le notaire, bien qu’assujetti à un secret professionnel pouvant être levé par le juge judiciaire, doit pouvoir au nom du contradictoire, et plus généralement, au nom du procès équitable, se défendre. Ainsi, la délivrance de documents en sa possession doit se faire dans le cadre d’une procédure contradictoire, même si une ordonnance sur requête est rendue.

Si le secret professionnel du notaire est intangible (Civ. 1re, 4 juin 2014, n° 12-21.244, préc.) sous réserve des hypothèses où le législateur permet d’y déroger, le principe du contradictoire ne souffre, quant à lui, d’aucune exception dans cette procédure d’autorisation judiciaire.

 

Civ. 2e, 12 sept. 2024, F-B, n° 22-14.609

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