Le reclassement tardif du salarié inapte : un manquement possible de l’employeur

Le fait de maintenir le salarié dans une situation d’inactivité forcée au sein de l’entreprise, dans le cadre d’une procédure de reclassement pour inaptitude, peut être constitutif d’un manquement de l’employeur à son obligation de bonne foi, dont il appartient au juge de mesurer la gravité, laquelle peut le cas échéant conduire à empêcher la poursuite du contrat de travail et donc justifier une résiliation judiciaire.

L’obligation d’exécuter de bonne foi le contrat de travail, prévue à l’article L. 1222-1 du code du travail, a déjà pu se traduire en jurisprudence par l’obligation pour l’employeur d’assurer l’adaptation des salariés à l’évolution de leur emploi (Soc. 25 févr. 1992, n° 89-41.634 P, D. 1992. 390 , note M. Défossez ; ibid. 294, obs. A. Lyon-Caen ; RTD civ. 1992. 760, obs. J. Mestre  ; 23 sept. 1992, n° 90-44.466 P, JCP E 1993. II. 430, note Serret). De même, avait-il pu être jugé que manquait à l’obligation de bonne foi l’employeur qui mettait un salarié dans l’impossibilité de travailler en cessant de le faire bénéficier d’un avantage lié à sa fonction (Soc. 10 mai 2006, D. 2007. Pan. 179, obs. A. Jeammeaud ; RDT 2006. 7, obs. F. Guiomard ; Dr. soc. 2006. 803, obs. J. Savatier ).

Mais peut-on encore considérer un manquement à cette obligation de bonne foi dans le constat d’une procédure de licenciement pour inaptitude particulièrement longue, quand bien même le salarié eut été payé durant celle-ci ? C’est à cette dernière question que la chambre sociale de la Cour de cassation est venue apporter réponse dans son arrêt du 4 décembre 2024.

En l’espèce un conducteur routier avait été déclaré inapte le 11 juin 2019 par le médecin du travail, lequel avait indiqué que l’état de santé du salarié faisait obstacle à tout reclassement dans un emploi et renvoyant – non sans ambiguïté – à son courrier du 7 juin 2019 par lequel il faisait connaître à l’employeur les capacités restantes du salarié. L’employeur avait alors repris le paiement du salaire en septembre 2019 et interrogé le salarié en octobre pour lui demander s’il accepterait un reclassement à l’étranger. Le salarié ayant refusé cette proposition, l’employeur a consulté les autres sociétés du groupe pour un éventuel reclassement le 29 novembre 2019.

Le salarié a à la suite saisi la juridiction prud’homale d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail le 31 janvier 2020, après quoi il fut licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 26 mars 2020.

Les juges du fond le déboutèrent de ses demandes, de sorte que l’intéressé forma un pourvoi en cassation.

La chambre sociale de la Cour de cassation, saisie du pourvoi, va accueillir celui en cassant l’arrêt d’appel au visa des articles L. 1222-1 et L. 1226-11 du code du travail.

L’incompatible lenteur procédurale avec l’exécution de bonne foi du contrat

L’article L. 1222-1 du code du travail dispose en effet assez sobrement et dans un parfait alignement avec le droit civil que « le contrat de travail est exécuté de bonne foi ».

Or, dans le même temps, le code du travail prévoit à l’article L. 1226-11 qu’à l’issue d’un délai d’un mois à compter de la date de l’examen médical de reprise du travail, si le salarié déclaré inapte n’est pas reclassé dans l’entreprise ou s’il n’est pas licencié, l’employeur doit lui verser, dès l’expiration de ce délai, le salaire correspondant à l’emploi que celui-ci occupait avant la suspension de son contrat de travail.

Or, dans l’affaire, la cour d’appel avait bien reconnu que l’employeur avait tardé à engager la procédure de tentative de reclassement puis la procédure de licenciement, mais avait considéré que l’obligation de reclassement est autonome de celle de reprendre le paiement du salaire et n’est pas enfermée dans un délai, de sorte que cette lenteur ne peut constituer un manquement de la part de l’employeur à ses obligations contractuelles ou légales.

Erreur de raisonnement pour la chambre sociale, qui, indépendamment de l’obligation de paiement du salaire, voit dans le fait de maintenir le salarié dans une situation d’inactivité forcée au sein de l’entreprise peut être constitutif d’un manquement de l’employeur à son obligation de bonne foi, dont il appartient au juge du fond de mesurer la gravité, laquelle peut le cas échéant conduire à empêcher la poursuite du contrat de travail et donc justifier une résiliation judiciaire.

La solution posée vient ainsi livrer une nouvelle illustration de l’obligation de bonne foi de l’employeur dans le cadre particulier de la procédure d’inaptitude. La jurisprudence avait déjà pu considérer que le manquement de l’employeur à son obligation de reprendre le paiement des salaires justifie la rupture du contrat de travail à ses torts et produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse (Soc. 4 mai 1999, n° 97-40.547 P, D. 1999. 142 ; Dr. soc. 1999. 741, obs. J. Savatier ; RJS 1999. 497, n° 816). Elle n’avait toutefois jamais exprimé, à notre connaissance, que l’inertie ou tout du moins la lenteur dans les démarches de reclassement pouvait s’analyser en un manquement à l’obligation de bonne foi, tout en ouvrant la porte à l’idée que cela puisse constituer un manquement suffisamment grave pour justifier une résiliation judiciaire (et donc potentiellement une prise d’acte) aux torts exclusifs de l’employeur.

Il conviendra désormais pour les employeurs de se montrer particulièrement réactif dès lorsqu’ils recevront un avis d’inaptitude du médecin du travail. La difficulté pourra alors se présenter lorsque ledit avis présentera une ambiguïté, telle que pouvait être celle ayant donné lieu à cet arrêt, où le médecin du travail indique un obstacle à tout reclassement dans un emploi et renvoyant à son courrier où il faisait connaître à l’employeur les capacités restantes du salarié. Rappelons en effet que la jurisprudence considère désormais que lorsque le médecin du travail a mentionné expressément dans son avis d’inaptitude que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi, l’employeur, qui n’est pas tenu de rechercher un reclassement, n’a pas l’obligation de consulter les représentants du personnel (Soc. 16 nov. 2022, nos 21-17.255 et 21-21.050, Dalloz actualité, 1er déc. 2022, obs. C. Couëdel ; D. 2022. 2044 ).

En tout état de cause, et si l’obligation de reclassement doit être mise en œuvre, l’employeur se devra d’agir sans délai, même s’il est prêt à assumer le coût du paiement du salaire au-delà d’un mois prévu par l’article L. 1226-11, l’imputation de la rupture du contrat en cas de contentieux étant à ce prix.

 

Soc. 4 déc. 2024, FS-B, n° 23-15.337

© Lefebvre Dalloz