Le régime de la recevabilité de la preuve illicite précisé
Une preuve tirée d'un dispositif de vidéosurveillance ou de badgeage illicite utilisée contre un salarié n'est pas en soi irrecevable en justice, en particulier si l'employeur démontre le caractère indispensable à l'exercice de son droit à la preuve. Tel ne pourra être le cas si l'employeur est en mesure d'utiliser un autre moyen de preuve.
Dans plusieurs arrêts publiés le 8 mars 2023, la Cour de cassation rappelle qu’une preuve illicite visant à établir une faute du salarié peut être admise en justice sous certaines conditions, notamment lorsqu’elle est indispensable à l’exercice du droit de la preuve par l’employeur. Mais si l’employeur peut utiliser un autre mode de preuve, alors la preuve illicite sera rejetée.
Cette série d’arrêts s’inscrit dans le prolongement d’une jurisprudence esquissée récemment à propos de photographies publiées sur Facebook (Soc. 30 sept. 2020, n° 19-12.058 P, D. 2020. 2383
, note C. Golhen
; ibid. 2312, obs. S. Vernac et Y. Ferkane
; ibid. 2021. 207, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès
; JA 2021, n° 632, p. 38, étude M. Julien et J.-F. Paulin
; Dr. soc. 2021. 14, étude P. Adam
; RDT 2020. 753, obs. T. Kahn dit Cohen
; ibid. 764, obs. C. Lhomond
; Dalloz IP/IT 2021. 56, obs. G. Haas et M. Torelli
; Légipresse 2020. 528 et les obs.
; ibid. 2021. 57, étude G. Loiseau
; Rev. prat. rec. 2021. 31, chron. S. Dorol
; RJS 12/2020, n° 573) et de l’exploitation de fichiers de journalisation (Soc. 25 nov. 2020, n° 17-19.523 P, D. 2021. 117
, note G. Loiseau
; ibid. 1152, obs. S. Vernac et Y. Ferkane
; ibid. 2022. 431, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès
; Dr. soc. 2021. 21, étude N. Trassoudaine-Verger
; ibid. 170, étude R. Salomon
; ibid. 503, étude J.-P. Marguénaud et J. Mouly
; RDT 2021. 199, obs. S. Mraouahi
; Dalloz IP/IT 2020. 655, obs. C. Crichton
; ibid. 2021. 356, obs. G. Péronne
; Légipresse 2021. 8 et les obs.
; RTD civ. 2021. 413, obs. H. Barbier
; RJS 2/2021, n° 64), que l’éminente juridiction ancre ici solidement en matière d’image obtenue par vidéosurveillance.
Dans l’une des espèce (n° 21-17.802) une salariée avait été licenciée pour faute grave du fait de vols révélés par la vidéosurveillance du magasin. Dans une autre (n° 20-21.848), un collaborateur d’une société de transport avait été confondu par le système de vidéoprotection pour un vol de tickets, ainsi que pour avoir téléphoné et fumé au volant. Dans la dernière espèce (n° 21-20.798), le salarié avait été confondu pour une fraude par déclarations erronées du temps de travail, mise en exergue via un système de badgeage n’ayant pas fait l’objet de la déclaration simplifiée nécessaire sous l’empire du droit en vigueur à l’époque (antérieur à l’entrée en vigueur de la réforme liée au Règlement général sur la protection des données à caractère personnel).
Les salariés ont contesté leur licenciement devant les juridictions prud’homales. Les employeurs avaient alors produit les enregistrements de la vidéosurveillance/les relevés du système de badgeage révélant les actes fautifs afin d’étayer la cause réelle et sérieuse du licenciement devant les juges.
Les juges du fond rejetèrent toutefois ces éléments de preuve, décision que confirmera la chambre sociale de la Cour de cassation saisie des pourvois.
Les conditions de licéité de mise en place de la vidéosurveillance reprécisée
Dans l’une des espèce (n° 21-17.802) l’installation d’une caméra dans les entreprises avaient été réalisée sans information des salariés quant aux finalités du dispositif de vidéosurveillance ni du fondement juridique qui le justifiait. Il en était de même dans l’espèce concernant le système de badgeage (n° 21-20.798).
Or, l’employeur qui met en place un dispositif de vidéosurveillance du lieu de travail doit consulter au préalable le comité social et économique (dans l’hypothèse d’une entreprise de 50 salariés ou plus, C. trav. art. L. 2312-37 et L. 2312-38), mais aussi en toute hypothèse et quel que soit l’effectif informer préalablement et individuellement les salariés concernés (C. trav., art. L. 1222-4).
Rappelons que ces formalités sont obligatoires quand bien même le dispositif serait-il destiné à la protection et la sécurité des biens et des personnes dans les locaux ouverts au public, dès lors qu’il permet également de contrôler et de surveiller l’activité des salariés (Soc. 10 nov. 2021, n° 20-12.263 B, D. 2021. 2093
; Dr. soc. 2022. 81, obs. P. Adam
; Dalloz IP/IT 2022. 157, obs. E. Daoud et I. Bello
; RJS 2/2022, n° 43). Cette jurisprudence, ici confirmée, apparait salutaire pour les droits des salariés et pragmatique, tant il est parfois difficile en pratique de tracer la frontière entre une finalité de sécurité et une utilisation aux fins de contrôle d’activité des salariés.
La sanction classiquement retenue par la jurisprudence en cas de non-respect de ces formalités consiste à considérer la preuve issue des enregistrements vidéo comme illicite.
En l’espèce, les employeurs n’avaient pas respecté ces formalités conditionnant la licéité des dispositifs.
Selon la Cour de cassation, les juges ont eu raison de considérer que les enregistrements litigieux extraits de la vidéosurveillance ou du système de badgeage constituaient un moyen de preuve illicite. Mais encore faut-il poursuivre le raisonnement sur le terrain des conditions de recevabilité de la preuve pour en tirer les conséquences sur la reconnaissance de la cause réelle et sérieuse des licenciements.
L’admissibilité conditionnée d’une preuve illicite
Considérer la preuve comme illicite n’emporte en effet pas nécessairement son irrecevabilité. C’est ce que rappelle la chambre sociale, en réaffirmant que le droit à la preuve « peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi » (Soc. 30 sept. 2020, n° 19-12.058 P, préc. ; 25 nov. 2020, n° 17-19.523 P, préc.). Cette confirmation attendue traduit un assouplissement du régime probatoire imposé aux employeurs disposant d’éléments confondants – mais susceptibles de porter atteinte aux droits des salariés sur leurs données à caractère personnel – pour sanctionner des auteurs de fautes majeures.
L’éminente juridiction va, à l’aune notamment des articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, préciser l’office du juge confronté à une telle preuve qui devra d’abord s’interroger sur la légitimité du contrôle opéré par l’employeur et vérifier s’il existait des raisons concrètes qui justifiaient le recours à la surveillance et l’ampleur de celle-ci, avant de rechercher si l’employeur ne pouvait pas atteindre un résultat identique en utilisant d’autres moyens plus respectueux de la vie personnelle du salarié.
Le juge doit enfin apprécier le caractère proportionné de l’atteinte ainsi portée à la vie personnelle au regard du but poursuivi.
Tout n’est donc pas perdu pour l’employeur qui n’aurait pas respecté les formalités préalables au déploiement du dispositif de vidéosurveillance et qui souhaite se séparer d’un salarié auteur de vol. Il lui appartiendra alors de démontrer que les enregistrements vidéo illicites étaient indispensables à l’exercice du droit à la preuve. En d’autres termes, qu’aucun autre moyen à sa disposition ne permettait d’établir les faits. Aussi faudra-t-il alors être particulièrement vigilant aux éléments retenus dans la lettre de licenciement. Dans l’une des affaires (n° 21-17.802), la mention de l’existence d’un audit, à l’origine des soupçons ayant justifié le recours à la vidéosurveillance, avait été mentionné dans la lettre mais non produit devant les juridictions. Cette mention aura ici joué en défaveur de l’employeur, en étayant le fait qu’il disposait bien d’autres moyens de preuve que la seule vidéosurveillance.
La solution rendue pourra sans doute être extrapolée à tout type de traitement de données à caractère personnel de salarié couvert par le droit au respect de la vie privée, dès lors qu’il peut constituer pour l’employeur un moyen de preuve de nature à étayer la cause réelle et sérieuse du licenciement du salarié indélicat.
© Lefebvre Dalloz