Le seul appel correctionnel de la partie civile peut obliger la cour d’appel à se prononcer sur l’action publique

Si la partie civile n’a la faculté d’appeler que quant à ses intérêts civils, il en est autrement lorsque les premiers juges du fond se sont prononcés avant dire droit sur une exception de compétence et que l’appel de la partie civile, contre cette décision, n’a pas été déclaré immédiatement recevable.

Dans ces cas, le seul appel de la partie civile du jugement ultérieurement rendu sur le fond saisit la cour d’appel non seulement de l’action civile, mais aussi de l’action publique qui a continué de subsister. 

Présentation de l’affaire

À la suite d’un incident ayant opposé le requérant, détenu au moment des faits, et un surveillant de l’établissement pénitentiaire, les deux protagonistes ont été poursuivis des chefs de violences aggravées réciproques. Le second a également été poursuivi, au côté d’une autre agent pénitentiaire, du chef de faux affectant le compte-rendu d’incident.

Par jugement avant dire droit, le détenu, agissant en qualité de partie civile, sollicitait la requalification criminelle des faits de faux en faux en écriture publique et, partant, l’incompétence du tribunal correctionnel. Toutefois, les juges ont rejeté l’exception d’incompétence et ont renvoyé l’affaire à une audience ultérieure.

La partie civile a alors relevé appel de ce jugement en saisissant le président de la chambre des appels correctionnels d’une requête tendant à faire déclarer l’appel immédiatement recevable, sur le fondement de l’article 507 du code de procédure pénale. Cette requête ayant été rejetée, l’audience du tribunal correctionnel s’est tenue et les prévenus ont été déclarés coupables des chefs susmentionnés.

La partie civile a relevé appel de ce jugement rendu au fond et la chambre correctionnelle a confirmé la décision rendue en première instance, retenant que, « saisie du seul appel de la partie civile, la cour ne saurait se déclarer incompétente au motif que les faits seraient de la compétence de la juridiction criminelle, l’action publique n’étant plus en cause ».

Le requérant s’est alors pourvu en cassation en arguant que la chambre correctionnelle avait méconnu son office.

Se posait donc la question de savoir si, lorsque l’appel d’une partie civile contre un jugement avant dire droit rejetant une exception d’incompétence n’est pas déclaré immédiatement recevable, la chambre correctionnelle se trouve, par le seul appel de la partie civile du jugement rendu sur le fond, saisie non seulement de l’action civile, mais aussi de l’action publique.

Répondant par la positive, la chambre criminelle a cassé et annulé l’arrêt critiqué.

Sur l’absence de recevabilité immédiate de l’appel du jugement avant dire droit

L’article 507, alinéa 1er, du code de procédure pénale prévoit que, lorsque le tribunal statue par jugement distinct du jugement sur le fond, l’appel est immédiatement recevable si ce jugement met fin à la procédure.

En l’espèce, le jugement avant dire droit ne mettait pas fin à la procédure puisqu’il avait vocation à se prononcer sur la compétence du tribunal correctionnel. Or, la chambre criminelle retient classiquement que n’entrent pas dans la classe des décisions visées par l’article 507 les jugements avant dire droit qui se prononcent sur une exception d’incompétence (Crim. 24 janv. 1973, n° 72-91.510 P, D. 1973. IR 46 ; 15 févr. 1988, n° 88-80.521 P).

À titre de comparaison, sont considérés comme mettant fin à la procédure les jugements qui déclarent irrecevable une partie civile (Crim. 16 oct. 1962) ou irrégulière la citation (Crim. 12 juin 1968, n° 67-92.268 P, JCP 1969. II. 15850, note Sacotte), ou encore le jugement du tribunal correctionnel qui annule non seulement les actes relatifs à la garde à vue subie par le prévenu lors de l’enquête de flagrance, mais également l’ensemble de la procédure de comparution immédiate et qui ordonne la mise en liberté de l’intéressé (Crim. 6 sept. 2006, n° 06-82.303 P, D. 2006. 2547 ; AJ pénal 2007. 34, obs. J. Leblois-Happe ).

Ainsi, en l’absence de jugement mettant fin à la procédure, l’appel du jugement avant dire droit qui se prononce sur une exception d’incompétence n’a pas été déclaré immédiatement recevable. Partant, la chambre des appels correctionnels demeurait saisie de cet appel, et ce jusqu’à ce que la partie civile interjette appel du jugement rendu au fond.

Sur la faculté pour la partie civile de saisir la juridiction d’appel de l’action civile et publique

L’article 497, 3°, du code de procédure pénale prévoit que la partie civile n’a la faculté d’appeler que quant à ses intérêts civils. Seulement, la chambre criminelle rappelle qu’il n’en est ainsi qu’à l’égard des dispositions par lesquelles les premiers juges ont statué au fond. Cela signifie que, généralement, la cour d’appel saisie du seul appel de la partie civile ne peut se déclarer incompétente par le motif que les faits seraient de la compétence de la juridiction criminelle, dès lors que l’action publique n’est plus en cause (Crim. 17 févr. 1960, n° 59-92.394 P ; 4 mars 1981, n° 80-94.035 P ; 22 mars 1995, n° 94-82.818 P). Ainsi, la chambre criminelle a jugé irrecevables les conclusions de la partie civile appelante tendant à ce que la juridiction correctionnelle se déclare incompétente, au motif que les faits revêtaient selon elle une qualification criminelle (Crim. 2 mars 2004, n° 03-83.353 P, JCP 2004. IV. 1817).

Toutefois, si les premiers juges n’ont pas statué au fond et qu’ils se sont bornés à se prononcer sur la compétence – ou encore sur la validité de la poursuite (Crim. 20 nov. 1958, n° 6.042 P ; 17 mars 1981, n° 79-94.121 P) –, les juges du second degré sont saisis, par le seul appel de la partie civile, non seulement de ses intérêts civils, mais aussi de l’action publique, qui a continué de subsister, et sont tenus de statuer sur les deux actions (Crim. 26 juin 1975, n° 73-93.066 P ; 10 mai 1994, n° 92-81.850 P, D. 1994. 167 ).

Reprenant l’argumentation de ces décisions, la chambre criminelle a jugé qu’il en était de même lorsque le recours formé par la partie civile contre un jugement avant dire droit rejetant une exception d’incompétence n’a pas immédiatement été déclaré recevable.

En effet, l’article 508, alinéa 4, du code de procédure pénale prévoit que si le président de la chambre des appels correctionnels rejette la requête, le jugement est exécutoire et le tribunal se prononce au fond ; aucun recours n’est recevable contre l’ordonnance du président et l’appel n’est alors jugé qu’en même temps que l’appel formé contre le jugement sur le fond.

Cela signifie dès lors que la cour d’appel se trouve, par le seul appel de la partie civile du jugement ultérieurement rendu sur le fond, saisie non seulement de l’action civile, mais aussi de l’action publique qui a continué de subsister. En effet, puisque l’article 508 prévoit que l’appel contre le jugement avant dire droit doit être jugé en même temps que l’appel formé contre le jugement sur le fond, la chambre correctionnelle devait régler la question de la compétence et donc statuer, en sus de l’action civile, sur l’action publique étant donné qu’elle devait rechercher si les faits pouvaient revêtir une qualification criminelle.

En définitive, la cour d’appel était toujours saisie de l’appel formé par la partie civile contre la décision avant dire droit qui avait écarté l’exception d’incompétence. Il lui appartenait donc de statuer sur cette exception et d’en tirer les conséquences tant sur l’action publique que sur l’action civile.

Précisons toutefois que si la partie civile n’avait pas interjeté appel contre la décision sur le fond, alors l’appel contre le jugement rendu avant dire droit serait devenu caduc (Crim. 28 juin 1983, n° 82-90.994 P).

 

Crim. 19 nov. 2024, FS-B, n° 23-81.584

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