Le sous-acquéreur et la connaissance du vice de la chose
Dans un arrêt rendu le 16 octobre 2024, la chambre commerciale de la Cour de cassation précise que la connaissance qu’a le sous-acquéreur du vice de la chose lors de sa propre acquisition est indifférente aux fins d’apprécier le bien-fondé de son action en vice caché contre le vendeur originaire.
Les vices cachés affectant la chose vendue intéressent régulièrement la première chambre civile et la chambre commerciale de la Cour de cassation, que ce soit au titre du point de départ de la prescription extinctive applicable (v. dernièrement, Civ. 1re, 25 sept. 2024, n° 23-15.925 F-B, Dalloz actualité, 1er oct. 2024, obs. C. Hélaine ; D. 2024. 1669
; Cass., ch. mixte, 21 juill. 2023, n° 21-15.809 B+R, n° 21-17.789 B+R, n° 21-19.936 B+R et n° 20-10.763 B+R, Dalloz actualité, 13 sept. 2023, obs. N. De Andrade ; D. 2023. 1728
, note T. Genicon
; ibid. 2024. 275, obs. R. Boffa et M. Mekki
; AJDI 2023. 788
, obs. D. Houtcieff
; RTD civ. 2023. 914, obs. P.-Y. Gautier
; RTD com. 2023. 714, obs. B. Bouloc
) ou des règles de fond mobilisables au sein du code civil (Com. 17 janv. 2024, n° 21-23.909 F-B, Dalloz actualité, 5 févr. 2024, obs. C. Hélaine ; D. 2024. 109
; RTD com. 2024. 155, obs. B. Bouloc
; 5 juill. 2023, n° 22-11.621, Dalloz actualité, 11 juill. 2023, obs. C. Hélaine ; D. 2023. 1885
, note A. Hyde
; ibid. 2268, chron. C. Bellino et T. Boutié
; ibid. 2024. 570, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès
; RTD civ. 2023. 704, obs. J. Klein
; RTD com. 2023. 716, obs. B. Bouloc
; ibid. 931, obs. B. Bouloc
). Nous retrouvons aujourd’hui un nouvel arrêt du 16 octobre 2024 promis aux honneurs d’une publication au Bulletin et aux sélectives Lettres de chambre. Il met sur le devant de la scène la thématique des chaînes de contrats et, plus précisément, celle de la connaissance du vice par le sous-acquéreur, maillon extrême de ladite chaîne.
Reprenons les faits en prêtant une attention toute particulière aux dates. Le 18 juin 2015, une société décide d’acquérir un véhicule d’une très célèbre marque britannique. Par la suite, l’acquéreur remet à une autre société cette voiture en exécution d’un contrat de crédit-bail avec option d’achat. Le preneur du crédit-bail constate plusieurs anomalies ayant conduit à une panne du véhicule. Un expert judiciaire est, dans ce contexte, désigné en référé. Le rapport d’expertise du 26 juin 2019 conclut que la panne observée est liée à un défaut de conception d’une pièce d’origine. Le 6 septembre 2019, le preneur lève tout de même l’option d’achat du véhicule après prise connaissance de ce rapport. Il assigne le 18 octobre 2019 et le 26 décembre 2019 la société ayant vendu initialement le véhicule en 2015 au crédit-bailleur ainsi que le constructeur en garantie des vices cachés. En cause d’appel, cette prétention entre en voie de rejet dans la mesure où, selon les juges du fond, l’action en garantie des vices cachés ne peut être transmise au sous-acquéreur que si l’action a été initiée avant la levée de l’option par le dernier acquéreur quand celui-ci a connaissance du vice antérieurement à cette option.
Le sous-acquéreur se pourvoit en cassation. Il estime qu’il pouvait exercer l’action en vice caché, laquelle a suivi le bien en tant qu’accessoire, et ce en dépit de sa connaissance des vices lors de son acquisition. Nous allons examiner pourquoi une cassation pour violation de la loi a été prononcée dans l’arrêt du 16 octobre 2024 et dans quelle mesure cette solution n’était pas nécessairement évidente.
De l’intérêt de la chaîne de contrats
Il faut, à titre préliminaire, insister sur le contexte factuel de l’affaire. Toute la difficulté repose sur l’enchaînement chronologique entre la connaissance du vice au lendemain du rapport d’expertise déposé le 26 juin 2019 et l’action diligentée le 18 octobre et le 26 décembre 2019 alors que l’option a été levée le 6 septembre 2019. En d’autres termes, peut-on permettre de laisser le sous-acquéreur, ayant connaissance du vice de la chose avant la levée de l’option utiliser le mécanisme de garantie des vices cachés après l’acquisition ? La question se discute car le vice n’est alors plus caché mais connu. La situation est singulièrement différente quand, dans des contrats de vente successifs, le vendeur intermédiaire se fait assigner par l’acquéreur final, le premier pouvant alors se retourner contre celui lui ayant vendu le bien à l’autre extrémité de la chaîne de contrats (v. sur ce point, concernant l’action subrogatoire en jeu, F. Collart-Dutilleul, P. Delebecque et C.-E. Bucher, Contrats civils et commerciaux, 12e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2023, p. 296, n° 279).
La décision étudiée offre, dans cette perspective, une combinaison particulièrement intéressante des articles 1641 et 1642 du code civil aboutissant à l’affirmation suivante selon laquelle « la garantie des vices cachés accompagne, en tant qu’accessoire, la chose vendue. Lorsque l’action en garantie des vices cachés est exercée à l’encontre du vendeur originaire à raison d’un vice antérieur à la première vente, la connaissance de ce vice s’apprécie donc à la date de cette vente dans la personne du premier acquéreur » (pt n° 6, nous soulignons). La précision est utile car il paraît bien étrange, à première lecture, de permettre au sous-acquéreur de mener une action en vice caché alors que ledit vice lui est apparent. Mais comme le précise la chambre commerciale, ce n’est que parce qu’il y a transmission accessoire de l’action en vice caché que l’on doit apprécier la connaissance du vice à la date de la vente « dans la personne du premier acquéreur ». L’orientation trouve, par conséquent, sa légitimité à travers la technique contractuelle employée, celle d’une série de contrats translatifs de propriété (en l’espèce, deux) ayant fait voyager la garantie des vices cachés d’un patrimoine à un autre en même temps que le bien vendu.
Il semble que ce soit l’une des premières fois qu’un arrêt publié au Bulletin exprime cette position si clairement. On retrouve toutefois les traces d’une solution identique dans un arrêt inédit en opérant une recherche par rapprochement de motivations sur Légifrance (Com. 8 mars 2017, n° 15-21.155, « qu’en statuant ainsi, alors que le sous-acquéreur peut exercer l’action rédhibitoire qui accompagne, en tant qu’accessoire, le bien vendu, nonobstant sa connaissance des vices de celui-ci lors de son acquisition », nous soulignons ; comp. avec la formulation du moyen, pt n° 4, de l’arrêt étudié).
C’est ce qui explique la cassation opérée par l’arrêt qui ne fait que de mettre en mouvement ces règles générales autour de la vente.
De l’indifférence de la connaissance du sous-acquéreur
Fort de ce raisonnement, l’arrêt du 16 octobre 2024 aboutit à la conclusion que « la connaissance qu’a le sous-acquéreur du vice de la chose lors de sa propre acquisition est indifférente aux fins d’apprécier le bien-fondé de son action contre le vendeur originaire » (pt n° 8, nous soulignons). Cette précision est loin d’être inutile car elle ne va pas de soi. Elle permet toutefois de replacer l’action en vice caché qui avait été introduite dans son contexte, i.e. celui d’une transmission entre l’acquéreur initial et le sous-acquéreur. Le seul élément utile à prendre en compte reste donc, comme nous l’avons examiné plus haut, non la connaissance par le sous-acquéreur mais par le premier acheteur du véhicule. Or, en l’espèce, rien n’indique qu’une telle connaissance du vice était acquise. La cour d’appel de renvoi devra simplement vérifier ce point mais, en tout état de cause, la décision étudiée ne permet pas d’aller beaucoup plus loin en l’état.
En résulte une certaine liberté pour le preneur d’un crédit-bail connaissant le vice affectant la chose de pouvoir lever l’option en toute quiétude. Ce faisant, il saura qu’il pourra diligenter une action en vice caché contre le vendeur originaire et ainsi, grâce à son action estimatoire ou rédhibitoire, tirer son épingle du jeu. Il faut bien avouer qu’il peut exister une certaine gêne à l’appréhension de toutes les conséquences de la décision en ce qu’elle permettrait une certaine manipulation de l’objectif des vices cachés à travers la chaîne de contrats composée d’un contrat de vente d’une part et, d’autre part, d’un contrat de crédit-bail avec option d’achat. Mais l’orientation choisie est certainement la seule qui permet de respecter les objectifs de la transmission, en tant qu’accessoire, de la garantie des vices cachés. La date à laquelle doit être appréciée la connaissance du vice ne peut être que celle de la vente originaire dans laquelle la connaissance par le sous-acquéreur n’a aucun sens véritable puisque le second contrat n’était pas né à ce moment précis. Tout dépend de la perspective choisie, en somme. Le vice est caché pour le premier acquéreur mais apparent pour le second. Or, ce dernier utilise l’action du premier et peut donc parfaitement exercer la garantie des vices cachés.
Voici un arrêt fort intéressant mais surtout assez rare. La chambre commerciale n’a que peu l’occasion de se pencher sur le caractère caché du vice dans une chaîne de contrats où le sous-acquéreur utilise l’action du premier acquéreur, ce qui neutralise l’intérêt de sa propre connaissance du problème reproché. La pratique saura certainement s’en saisir dans de nombreux dossiers…
Com. 16 oct. 2024, FS-B, n° 23-13.318
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