Le sous-acquéreur et la connaissance du vice de la chose : acte II
La première chambre civile aligne sa position avec celle de la chambre commerciale concernant l’action en garantie des vices cachés exercée par le sous-acquéreur à l’encontre du vendeur originaire, en raison d’un vice antérieur à la première vente. La connaissance du vice s’apprécie seulement à la date de cette vente et ce dans la personne du premier acquéreur.
C’est la rentrée du droit des contrats pour la première chambre civile de la Cour de cassation ! Ces derniers mois ont été, comme chaque année, particulièrement riches en beaux arrêts abordant des thématiques diverses du droit des obligations (v. par ex., sur l’art. 1112-1 c. civ., Com. 14 mai 2025, n° 23-17.948 FS-B, Dalloz actualité, 20 mai 2025, obs. C. Hélaine ; D. 2025. 1291
, note M. Zaffagnini
; Rev. sociétés 2025. 543, note B. Fages
; RCJPP 2025, n° 04, p. 29, obs. N. Bargue
; RTD civ. 2025. 316, obs. H. Barbier
; sur la force majeure, Com. 26 févr. 2025, n° 23-21.266 F-B, Dalloz actualité, 6 mars 2025, obs. C. Hélaine ; D. 2025. 398
; RTD civ. 2025. 329, obs. H. Barbier
; sur les ensembles contractuels interdépendants, Com. 5 févr. 2025, n° 23-16.749 F-B, Dalloz actualité, 17 févr. 2025, obs. C. Hélaine ; D. 2025. 244
; RTD civ. 2025. 325, obs. H. Barbier
; sur le lien entre résolution unilatérale et caducité, Com. 5 févr. 2025, n° 23-23.358 FS-B et n° 23-14.318 FS-B, Dalloz actualité, 9 févr. 2025, obs. C. Hélaine ; D. 2025. 246
; RTD civ. 2025. 327, obs. H. Barbier
; ibid. 356, obs. P.-Y. Gautier
; sur l’action paulienne et la condition d’appauvrissement, Com. 29 janv. 2025, n° 23-20.836 F-B, Dalloz actualité, 5 févr. 2025, obs. C. Hélaine ; D. 2025. 619
, note C. Revet
; RCJPP 2025, n° 02, p. 32, obs. N. Bargue
; RTD civ. 2025. 91, obs. H. Barbier
; RTD com. 2025. 421, obs. A. Lecourt
; sur le vice de violence économique au sein d’un protocole transactionnel, Civ. 1re, 29 janv. 2025, n° 23-21.150 F-B, Dalloz actualité, 4 févr. 2025, obs. C. Hélaine ; D. 2025. 191
; AJ fam. 2025. 357, obs. J. Casey
).
Les vices cachés reviennent sur le devant de la scène avec l’arrêt du 3 septembre 2025 que nous étudions aujourd’hui. Celui-ci s’inspire utilement d’une décision examinée dans ces colonnes l’année dernière et rendue par la chambre commerciale de la Cour de cassation (Com. 16 oct. 2024, n° 23-13.318, Dalloz actualité, 22 oct. 2024, obs. C. Hélaine ; D. 2025. 283
, note H. Gourdy
; RTD civ. 2025. 110, obs. P.-Y. Gautier
; RTD com. 2024. 991, obs. B. Bouloc
). L’harmonisation des positions jurisprudentielles permet de continuer l’approfondissement de la thématique épineuse de la connaissance du vice quand le sous-acquéreur mène une action contre le vendeur originaire en raison d’un vice antérieur à la première vente.
Reprenons les faits pour mieux comprendre comment le problème s’est noué entre les parties aux contrats successifs. Une société décide d’acquérir un véhicule neuf d’une célèbre marque allemande. La voiture achetée est revendue le 10 juillet 2008. Le bien, qui affiche désormais un kilométrage de 31 350 km, est repris par la société le 29 mai 2012 – sans plus de précision dans l’affaire étudiée – pour être de nouveau vendu à une société automobile.
Deux jours plus tard, le véhicule est revendu à un couple, et ce, pour 51 000 €. Les sous-acquéreurs subissent une fuite d’huile et découvrent durant les travaux de réparation que le carter de la voiture contient des morceaux de bakélite à l’instar des têtes des vis de l’arbre à cames lequel est une pièce importante du moteur que l’on dénomme parfois arbre de distribution. Une telle présence de bakélite peut signer une détérioration avancée de ces pièces, souvent due à un entretien insuffisant du véhicule. Les sous-acquéreurs obtiennent donc une expertise en référé pour en déterminer la cause.
Le 17 janvier 2019, ils assignent le vendeur originaire en arguant d’un vice caché affectant la voiture dont ils sont propriétaires. Le défendeur appelle en garantie le premier acquéreur qui est donc également le vendeur intermédiaire dans la chaîne de contrats. En cause d’appel, le vendeur originaire est notamment condamné à régler aux sous-acquéreurs la somme de 26 177,98 € à titre de dommages et intérêts et de 450 € en réparation du préjudice de jouissance subi. Les juges du fond, se fondant sur les travaux de l’expertise ordonnée en référé, relèvent qu’un entretien aléatoire revêt un caractère insidieux qui échappe à l’acheteur non professionnel. Ils précisent, en outre, que le défaut de fiabilité du moteur n’apparaissait pas aux sous-acquéreurs, demandeurs à l’action en vices cachés.
Le vendeur originaire se pourvoit en cassation en estimant que le caractère caché du vice au sein d’une telle chaîne de contrats doit être apprécié dans la relation entre le vendeur originaire et le vendeur intermédiaire même si l’action est portée par le sous-acquéreur. Ce faisant, la société demanderesse au pourvoi fait sienne la position retenue par la décision du 16 octobre 2024 dont la chambre commerciale est à l’origine (Com. 16 oct. 2024, n° 23-13.318, préc.).
Dans son arrêt rendu le 3 septembre 2025, la première chambre civile de la Cour de cassation casse pour défaut de base légale la décision frappée du pourvoi. La solution attirera nécessairement l’attention de la pratique. Examinons pourquoi.
Le caractère caché du vice au centre des préoccupations
Toute la difficulté des affaires de ce type repose sur la chaîne de contrats qui s’est forgée au fur et à mesure des reventes successives de la voiture litigieuse. En l’espèce, les sous-acquéreurs ont porté leur action contre le vendeur originaire, soit celui qui a acquis le véhicule neuf auprès de son fabricant. Se pose donc nécessairement la question du moment d’appréciation de la connaissance du vice caché puisque, par définition, les sous-acquéreurs n’ont pas de lien contractuel avec le vendeur originaire. Ils ne font que d’utiliser l’action en vice caché recueillie au moment de l’acquisition de la voiture le 31 mai 2012.
L’arrêt rendu combine les articles 1641, 1642 et 1645 du code civil au sein d’une présentation par tirets, ce qui est sans doute assez rare sur le plan formel pour être relevé. La première précision n’étonnera pas du tout puisque l’on sait de longue date que la garantie des vices cachés accompagne la chose qui est vendue « en tant qu’accessoire » (pt n° 9). La nature contractuelle de l’action est d’ailleurs très importante en pratique pour plusieurs raisons allant du délai d’action à l’opposabilité des clauses du contrat conclu entre le vendeur intermédiaire et le vendeur originaire (sur ces différentes questions, v. P. Simler et P. Delebecque, Contrats civils et commerciaux, 12e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2023, p. 344-345, n° 322).
La seconde précision est ainsi formulée : « lorsque l’action en garantie des vices cachés est exercée à l’encontre du vendeur originaire à raison d’un vice antérieur à la première vente, la connaissance de ce vice s’apprécie à la date de cette vente dans la personne du premier acquéreur qui, s’il est professionnel, est présumé connaître le vice » (pt n° 9, second tiret, nous soulignons). À l’exception de la fin de la phrase, l’affirmation est rigoureusement identique à l’arrêt rendu par la chambre commerciale en 2024 (Com. 16 oct. 2024, n° 23-13.318, préc.). On pourra éventuellement regretter l’absence explicite de l’indifférence de la connaissance du sous-acquéreur du vice de la chose alors que l’arrêt d’appel s’était fondé sur une telle ignorance pour justifier son raisonnement. Quoi qu’il en soit, remarquons utilement que cette position héritée de l’arrêt de 2024 n’était pas totalement nouvelle l’année dernière puisqu’un arrêt inédit de 2017 avait commencé à en tracer les premiers contours (Com. 8 mars 2017, n° 15-21.155, spéc. pt n° 4).
Cet alignement de la première chambre civile avec la position dégagée par celle de la chambre commerciale se comprend parfaitement pour les raisons évoquées précédemment. La transmission accessoire de l’action en vice caché implique nécessairement d’apprécier la connaissance du vice à la date de la vente, et ce, « dans la personne du premier acquéreur ». La succession des contrats translatifs de propriété a transmis l’action en garantie des vices cachés et son usage par le maillon extrême de la chaîne implique toutefois de revenir à la naissance du vice le cas échéant, soit dans le rapport entre le vendeur originaire et le premier acquéreur. L’action n’a fait, ensuite, que de voyager de patrimoine en patrimoine sans pouvoir modifier pour autant son appréciation.
L’orientation implique, en l’espèce, une difficulté accrue pour les sous-acquéreurs contrairement à l’affaire jugée en octobre 2024. Ce qui n’est pas sans rappeler les hésitations notées au lendemain de l’arrêt rendu par la chambre commerciale l’année passée.
Une route semée d’embûches pour le sous-acquéreur
L’arrêt rendu le 3 septembre 2025 par la première chambre civile aboutit simplement à un défaut de base légale. La solution qu’adoptera la Cour d’appel de renvoi de Paris autre composée n’est, toutefois, absolument pas facile à dessiner. L’incise finale de la motivation laisse, d’ailleurs, présager d’âpres difficultés autour de la connaissance du vice par le premier acquéreur qui est devenu le vendeur intermédiaire par la suite notamment s’il est professionnel (sur les problématiques autour de la qualification de professionnel de l’acheteur, P. Simler et P. Delebecque, Contrats civils et commerciaux, op. cit., p. 284, n° 267).
Ce premier acquéreur semblait – à la simple compréhension des faits rapportés au sein de l’arrêt étudié aujourd’hui – professionnel. On comprend, en effet, du cheminement narré que la société W.G. est spécialisée dans la vente de voitures, ce que confirme la lecture de l’arrêt d’appel (Paris, 7 déc. 2023, n° 21/03479 disponible en libre accès sur Judilibre). On y apprend, par exemple, que l’immobilisation du véhicule litigieux était complète à compter du 23 avril 2015 de sorte que le couple acquéreur a décidé d’acheter, le 22 juin suivant, une nouvelle voiture auprès de la même société W.G. Quelques lignes plus tard, il est indiqué très clairement dans la décision d’appel que cette société est un « vendeur intermédiaire professionnel », ce qui en fait également un acquéreur tout aussi professionnel en raison de ces achats/reventes successifs.
Les sous-acquéreurs pourraient se retrouver dans une situation de blocage sur ce fondement juridique si, lors de la reprise de l’instance devant la juridiction de renvoi, le débat se focalise autour de la qualité de professionnel du concessionnaire automobile qui leur a vendu le bien et qui a lui-même acquis celui-ci auprès d’une autre structure qui était un autre concessionnaire automobile. On retrouve alors une certaine inversion de la gêne relevée dans ces colonnes à la lecture de la décision de 2024. Si la date à laquelle est appréciée le vice ne peut être que celle de la vente originaire, la connaissance du sous-acquéreur n’a pas véritablement de sens. L’ensemble reste lié à la focale d’observation choisie, le vice est en l’espèce caché pour les sous-acquéreurs – le couple n’ayant aucune connaissance avancée de mécanique d’après les faits – mais apparent pour le premier acheteur. Le piège se referme contre les sous-acquéreurs qui n’auront plus qu’à agir sur un autre fondement, par exemple plutôt sur une responsabilité contractuelle de droit commun.
Voici donc un arrêt important en droit des contrats spéciaux. L’harmonisation bienvenue des positions entre la chambre commerciale et la première chambre civile doit être accueillie avec intérêt. Elle permet de recentrer le débat autour de la transmission accessoire de l’action en vices cachés. En pareille situation, la connaissance du vice s’apprécie au jour de la première vente dans la personne du premier acquéreur. La connaissance par le sous-acquéreur est parfaitement indifférente.
Civ. 1re, 3 sept. 2025, FS-B, n° 24-11.383
par Cédric Hélaine, Docteur en droit, Chargé d'enseignement à l'Université d'Aix-Marseille
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