Le testament olographe partiellement daté par un tiers

La nullité du testament olographe dont la date est en partie écrite par un tiers, n’est pas encourue si des éléments intrinsèques à l’acte, éventuellement corroborés par des éléments extrinsèques, établissent qu’il a été rédigé au cours d’une période déterminée et qu’il n’est pas démontré qu’au cours de cette période, le testateur ait été frappé d’une incapacité de tester ou ait rédigé un testament révocatoire ou incompatible.

Le testament du mort est le miroir de sa vie. Ce proverbe polonais sied à merveille à cet arrêt de cassation du 23 mai 2024 dans lequel une testatrice à l’esprit confus avait confusément daté son testament.

En l’espèce, la de cujus est décédée le 12 juillet 2009 en laissant pour lui succéder son fils et le légataire d’un ensemble immobilier et de son contenu. Le legs provenait d’un testament olographe daté du 26 mars 2009 dont l’héritier chercha à obtenir la nullité. Au soutien de sa demande, il argua d’une insanité d’esprit dont aurait souffert sa mère mais aussi d’un défaut formel s’agissant de la date du testament.

Le Tribunal de grande instance de Versailles annula le testament au motif qu’il n’était pas entièrement rédigé de la main de la testatrice. En appel, l’expert graphologue conclut que si le texte du testament était bien de la main de la testatrice, une partie de la date ne l’était pas. Le quantième, le mois et les trois premiers chiffres de l’année concordaient certes avec l’écriture de la testatrice (« 26 mars 200 ») mais le « 9 » n’y correspondait que partiellement. Selon le rapport d’expertise, l’ove du 9 pouvait être attribué à la testatrice mais pas la jambe de ce même chiffre. L’expert relevait qu’aucun graphème similaire à ceux de la testatrice n’avait pu être observé et pointa l’absence d’homogénéité entre le tracé de ce « 9 » et celui d’un autre « 9 », présent dans le corps du testament. Il en résultait une discordance complète des piliers de ce « 9 » avec les caractéristiques graphiques observées chez la de cujus.

Ces éléments achevèrent de convaincre la Cour d’appel de Versailles que le « 9 » n’avait pas été écrit par la testatrice mais par un tiers. Elle confirma le jugement de première instance en estimant que, par application de l’article 970 du code civil, la circonstance que le testament n’a pas été entièrement rédigé de la main de la testatrice suffit à emporter sa nullité (Versailles, 22 mars 2022, n° 17/01797).

L’ayant droit du légataire entre-temps décédé forma un pourvoi en cassation, reprochant à la cour d’appel d’avoir prononcé la nullité de manière péremptoire sans rechercher si des éléments intrinsèques à l’acte, corroborés par des éléments extrinsèques, ne permettaient pas d’établir qu’il avait été rédigé au cours d’une période déterminée et qu’au cours de cette période, le testateur n’avait été frappé d’aucune incapacité de tester ni avait rédigé de testament révocatoire ou incompatible.

L’argument porte : l’arrêt d’appel est cassé au visa de l’article 970 du code civil. Après avoir énoncé en attendu de principe que selon ce texte « le testament olographe qui n’est pas daté de la main du testateur n’est pas valable » (§ 6), la Cour de cassation applique le raisonnement classique en matière de date incomplète ou manquante : « lorsqu’un testament olographe comporte une date dont un ou plusieurs éléments nécessaires pour la constituer ont été portés par un tiers, la nullité de celui-ci n’est pas encourue dès lors que des éléments intrinsèques à l’acte, éventuellement corroborés par des éléments extrinsèques, établissent qu’il a été rédigé au cours d’une période déterminée et qu’il n’est pas démontré qu’au cours de cette période, le testateur ait été frappé d’une incapacité de tester ou ait rédigé un testament révocatoire ou incompatible » (§ 7). La cour d’appel aurait donc dû rechercher si, en dépit de cette irrégularité formelle, des éléments intrinsèques à l’acte, dont faisait partie la mention « 26 mars 200 » écrite de la main de la testatrice, éventuellement corroborés par des éléments extrinsèques, ne permettaient pas d’établir que le testament avait été rédigé au cours d’une période déterminée (§ 9).

Une première lecture de cette décision pourrait laisser penser qu’il ne s’agit là que d’une nouvelle application du formalisme raisonné en matière de testament olographe. La logique est connue : la date sert à contrôler la capacité et le maintien de la volonté du testateur, donc le vice formel ne doit conduire à la nullité qu’en cas de doute à ce propos. Pourtant, l’arrêt mérite amplement les honneurs d’une publication au Bulletin, tant sur le fond que sur la forme.

Une date complète écrite en partie par un tiers

Sur le fond, plus qu’une simple application de la tolérance jurisprudentielle désormais classique, la décision ici commentée étend son domaine. Jusqu’à lors le mécanisme de sauvetage du testament olographe (date reconstituée ou date indifférente) s’appliquait uniquement dans deux cas : la date incomplète (Req. 19 févr. 1818, S. 1818. 1. 176 ; arrêt Payan, Civ. 1re, 9 mars 1983, n° 82-11.259 P, RTD civ. 1983. 775, obs. J. Patarin) et la date manquante (Civ. 1re, 11 oct. 1955, D. 1956. 5 ; arrêt Sauviat, Civ. 1re, 10 mai 2007, n° 05-14.366 P, Garon (Vve) c/ Laforest, D. 2007. 1510 ; ibid. 2126, obs. V. Brémond, M. Nicod et J. Revel ; ibid. 2327, chron. P. Chauvin et C. Creton ; AJ fam. 2007. 315, obs. F. Bicheron ; RTD civ. 2007. 604, obs. M. Grimaldi ; Dr. fam. 2007, n° 131, note B. Beignier). La Cour de cassation ajoute ici un troisième cas : la date complète écrite en partie par un tiers. La solution paraît logique. Dès lors que seul le testateur peut valablement rédiger son testament, toute mention écrite par un tiers encourt la nullité. En l’espèce, le « 9 » n’ayant pas été rédigé par la testatrice, il en résultait une date incomplète : « 26 mars 200… ». Il est donc assez naturel que soit appliquée ici la solution prévalant en cas de date incomplète.

Néanmoins un tel raisonnement ne s’impose pas avec évidence et une autre option aurait pu être privilégiée. En effet, on ne saurait placer sur le même plan la situation dans laquelle le testateur a omis de dater ou de compléter la date et celle dans laquelle tout ou partie de la date est le fait d’un tiers. Dans le premier cas, le vice formel provient d’une négligence pardonnable de la part du testateur. Dans le second cas, il est à craindre qu’elle procède de la malveillance d’autrui. En s’immisçant dans la rédaction de l’acte, le tiers rend le testament nécessairement suspect : celui qui ose dater le testament d’autrui a sans doute joué un rôle prépondérant dans son élaboration. Peut-être le testateur a-t-il écrit sous sa dictée, son emprise ou sa menace ? Il est clair en tous cas que le testateur n’était pas seul au moment de la rédaction de son testament. En pareille situation, comment ne pas douter du caractère strictement personnel de la volonté posthume ?

La sévérité dont avait fait montre la Cour d’appel de Versailles est donc parfaitement légitime : « la circonstance que le testament n’ait pas été entièrement rédigé de la main de Denise L. suffit à en emporter la nullité » car, en pareil cas, un sérieux doute plane sur l’intention réelle du testateur. D’ailleurs, la Cour de cassation considérait jusqu’alors que le testament olographe qui n’a pas été entièrement écrit de la main du testateur doit, sans qu’il y ait lieu de rechercher si cet acte est ou non l’expression de la volonté propre de son signataire, être annulé par application de l’article 970 du code civil, en raison du vice formel dont il est affecté (Civ. 1re, 20 sept. 2006, n° 04-20.614 P, D. 2006. 2969 , note D. Jacotot ). Seul le testament olographe à main guidée était toléré (Civ. 1re, 11 févr. 1997, n° 95-12.382 P, D. 1997. 365 , obs. M. Nicod ; JCP N 1997. 1187, note B. Beignier ; Defrénois 1997. 1452, obs. G. Champenois), ce qui n’est pas le cas ici car le graphisme du 9 ne correspond pas à l’écriture de la testatrice.

La Cour de cassation fait néanmoins le choix de la clémence. Elle n’est pas pour autant laxiste. En effet, comme l’admet d’ailleurs la Cour d’appel : « cette discordance pourrait signifier qu’il s’agit d’un 0 qu’une autre main a transformé en 9 par suite d’une erreur commise sur le chiffre de la date ». En pareil cas, l’intervention du tiers se limiterait à la correction d’une erreur matérielle causée par une étourderie passagère du testateur, ce qui pourrait justifier que la nullité ne soit pas prononcée. Il est pourtant à ce stade impossible de l’affirmer, ce qui explique que la Cour de cassation demeure prudente.

Il est d’ailleurs probable que la nullité du testament soit confirmée par cour d’appel de renvoi qui aura la charge de déterminer une période déterminée et de s’assurer du caractère libre et éclairé de la volonté de la testatrice.

S’agissant de la période de rédaction de l’acte, il faudra garder à l’esprit que seul le dernier chiffre de l’année fait défaut. Deux solutions sont donc envisageables. La première solution, favorable au demandeur à la nullité, consiste à retenir une période de 9 années. En effet le dernier chiffre est forcément l’un des 10 existants (entre 0 et 9 inclus), de sorte que le testament a nécessairement été rédigé entre le 26 mars 2000 et le 26 mars 2009. La seconde solution, plus favorable au défendeur, repose sur la partie « valable » de la date. Puisque le quantième, le mois et les trois premiers chiffres de l’année ont été rédigés par la testatrice, il est plutôt logique de considérer que le testament a été rédigé un 26 mars, entre 2000 et 2009. La « période déterminée » ne serait donc pas de 9 ans mais de dix jours ! Il y aurait là un cas inédit de reconstitution, aboutissant non pas à déterminer une période mais une liste de jours.

S’agissant du caractère libre de la volonté du testateur, il est probable que l’insanité d’esprit puisse être démontrée devant la cour d’appel de renvoi. En effet, en toute hypothèse la date du 26 mars 2009 fait partie de la période de rédaction du testament, dont elle constitue soit le terme, soit le dernier jour de la liste. Il suffira ainsi au demandeur de démontrer l’existence d’une insanité d’esprit de la testatrice à cette date pour obtenir la nullité du testament. La lecture de l’arrêt d’appel donne de l’espoir. La Cour d’appel de Versailles avait en effet aussi prononcé la nullité d’une reconnaissance de don datée du 29 juin 2009 en raison de l’insanité d’esprit de la de cujus (chef de dispositif non cassé). De plus la testatrice avait été hospitalisée le 3 juillet 2009 et présentait alors une « agitation » et une « désorientation » ; elle frappait, criait, etc. Une suspicion de sevrage alcoolique ainsi qu’une altération de l’état de conscience étaient également décelées par le médecin. Les examens médicaux laissaient craindre une pathologie dégénérative de longue date. En bref, l’état psychologique très détérioré de la testatrice au 3 juillet 2009 peut légitimement faire douter de son aptitude, quelques mois plus tôt, à rédiger un testament exprimant une volonté libre et éclairée.

Exigence d’un testament olographe daté « de la main du testateur »

Sur la forme, c’est la première fois que la Cour de cassation énonce, au visa de l’article 970 du code civil, l’attendu de principe suivant : « le testament olographe qui n’est pas daté de la main du testateur n’est pas valable ». Il n’y a là rien de très révolutionnaire puisque l’article 970 pose comme condition de validité tant la date que le caractère manuscrit total de l’acte. La formulation retenue par la Cour entre cependant en résonnance avec un arrêt rendu quelques mois plus tôt et dans lequel elle s’employait à sauver un testament olographe non-daté écrit au verso d’un relevé bancaire comportant une date pré-imprimée (Civ. 1re, 22 nov. 2023, n° 21-17.524, Dalloz actualité, 5 déc. 2023, obs. Q. Guiguet-Schielé ; RTD civ. 2024.170, note M. Grimaldi ; D. 2024. 195, note A. Molière ; AJ fam. 2024. 109, obs. J. Casey ). Cette tolérance avait été diversement accueillie par les observateurs, car il en résultait, entre autres griefs, un risque de porosité entre une date manuscrite et une date imprimée, toutes deux susceptibles d’assurer la validité de l’acte.

L’attendu de principe peut ici être interprété comme une réponse à ces inquiétudes. En effet, en insistant sur l’exigence que le testament olographe soit daté « de la main du testateur », la Cour de cassation dissocie clairement date manuscrite et date imprimée. Dans le premier cas le testament est valable par principe. Dans le second cas le testament peut, à certaines conditions et très exceptionnellement, échapper à la nullité.

En outre et pour finir, la comparaison entre les deux arrêts recèle une légère incohérence de raisonnement. En novembre 2023, la Cour de cassation considérait qu’une date pré-imprimée par une banque sur le verso du support constituait un élément intrinsèque à l’acte. Ce faisant, elle optait pour une approche large et « formelle » de l’élément intrinsèque : ce qui fait qu’un élément est considéré comme « intrinsèque » tient surtout à sa présence sur le support écrit. La Cour considérait alors qu’une mention portée par un tiers sur l’acte constitue un élément intrinsèque. D’ailleurs, la conception « formelle » de l’élément intrinsèque prévaut dans le cadre du contentieux de la contestation de la date (Civ. 8 janv. 1879, DP 1879. 1. 78 ; 16 juill. 1895, DP 1896. 1. 196 ; Civ. 1re, 27 déc. 1957 P, D. 1958. 111).

Or, dans cet arrêt rendu le 23 mai 2024, la Cour de cassation semble considérer que le « 9 » écrit de la main du tiers n’est pas un élément intrinsèque. Elle indique en effet que la mention « 26 mars 200 » est un élément intrinsèque mais se garde bien de considérer comme tel le « 9 » écrit par autrui. Dès lors une question se pose : une date inscrite par un tiers sur le support d’un testament olographe peut-il, oui ou non, constituer un élément intrinsèque œuvrant la reconstitution de la date ? Convient-il de distinguer entre une date imprimée et une date manuscrite ? Entre une date entièrement rédigée par un tiers et une date simplement complétée par un tiers ? Entre une date destinée à situer le testament dans le temps et une date ayant une tout autre fonction (tel un relevé de valorisation d’épargne) ? Une clarification serait bienvenue.

De même, on se demande si cette tolérance se retrouvera à l’avenir à propos de l’exigence de signature. Par exemple, si le nom est écrit par le testateur et le prénom écrit par un tiers, la nullité totale de l’acte est-elle encourue ? La même question se pose à propos du caractère manuscrit : si certaines mentions sont écrites par un tiers, ne peut-on tout de même considérer comme valables les parties du texte rédigées par le testateur ? On le voit : en tolérant l’immixtion du tiers dans la rédaction du testament olographe, la Cour de cassation ouvre un nouveau chapitre du formalisme raisonné. Le chapitre de trop ?

 

Civ. 1re, 23 mai 2024, FS-B, n° 22-17.127

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