L’efficacité de l’astreinte à l’épreuve de la procédure collective
L’action en liquidation de l’astreinte est une action qui peut être reprise à la suite de l’ouverture de la procédure collective selon les règles régissant les actions en cours. L’action en fixation d’une nouvelle astreinte ne tend pas à la condamnation du débiteur au paiement d’une somme d’argent et n’est donc pas soumise à l’interdiction des poursuites.
L’astreinte est une technique éprouvée afin d’obtenir l’exécution d’une décision. Cette efficacité perdure-t-elle après l’ouverture d’une procédure collective ? C’est à cette question qu’a été confrontée la Cour de cassation.
En l’espèce, un débiteur est condamné sous astreinte provisoire à réaliser un certain nombre de travaux au bénéfice de plusieurs sociétés. Les travaux n’ayant pas été entièrement réalisés, un juge de l’exécution condamne le débiteur à payer à ces sociétés une somme au titre de l’astreinte liquidée et prononce une nouvelle astreinte provisoire. Un appel est formé contre cette décision et, quelques jours après, une procédure de sauvegarde est ouverte. Un an après, la cour d’appel rend un arrêt qui confirme la liquidation de l’astreinte et le prononcé d’une nouvelle astreinte provisoire.
Le débiteur et le mandataire judiciaire forment un pourvoi en cassation. Ils estiment, d’une part, que l’instance en liquidation de l’astreinte ne devait pas être considérée comme une instance en cours au jour de l’ouverture de la procédure collective, mais devait être soumise à la procédure de vérification des créances et à la décision du juge-commissaire. D’autre part, le pourvoi soutient que la nouvelle astreinte provisoire, destinée à contraindre à l’exécution d’une obligation de faire née antérieurement au jugement d’ouverture de la procédure collective du débiteur, est de nature à entraîner pour celui-ci le paiement d’une somme d’argent. De ce fait, il estime que cette action est soumise à l’interruption des poursuites individuelles.
La Cour de cassation devait ainsi préciser le sort de l’instance en liquidation d’une astreinte et celui de l’instance en fixation d’une nouvelle astreinte provisoire après l’ouverture d’une procédure collective.
La Haute juridiction rejette le pourvoi. Elle juge, d’une part, que l’action tendant à la liquidation d’une astreinte prononcée par une décision antérieure au jugement d’ouverture de la procédure collective et l’action en condamnation au paiement de l’astreinte liquidée tendent à obtenir de la juridiction saisie une décision définitive sur l’existence et le montant de la créance. De ce fait, ces actions sont soumises au régime des instances en cours à l’ouverture de la procédure collective.
Elle juge, d’autre part, que la demande de fixation d’une nouvelle astreinte ne constitue pas une action tendant à la condamnation au paiement du débiteur d’une somme d’argent et, partant, n’était pas soumise à l’interdiction des poursuites.
Cette décision est l’occasion de se prononcer sur le sort de l’action en liquidation de l’astreinte après l’ouverture d’une procédure collective. Surtout, elle est l’occasion d’affirmer que le créancier d’une obligation de faire peut obtenir la fixation d’une astreinte provisoire après l’ouverture de la procédure. Il faut alors s’interroger sur l’avantage concret qu’il peut en tirer.
Le sort de l’instance en cours tendant à la liquidation de l’astreinte et à la condamnation du débiteur
La première branche discutée du moyen contestait la possibilité de reprendre, en application de l’article L. 622-22 du code de commerce, l’instance tendant à la liquidation de l’astreinte et à la condamnation au paiement du débiteur et qui est interrompue par l’ouverture de la procédure collective.
Il semble que les auteurs du pourvoi s’appuient sur la jurisprudence de la Cour de cassation qui juge que ne peuvent être reprises, après l’ouverture de la procédure collective, que les instances qui tendent à obtenir, de la juridiction saisie du principal, une décision définitive sur le montant et l’existence de cette créance (Com. 6 oct. 2009, n° 08-12.416, Dalloz actualité, 19 oct. 2009, obs. A. Lienhard ; RTD com. 2010. 198, obs. A. Martin-Serf
; v. égal., Com. 19 sept. 2018, n° 17-13.210, Dalloz actualité, 2 oct. 2018, obs. X. Delpech ; D. 2018. 1862
; RTD com. 2019. 213, obs. A. Martin-Serf
). Il en va ainsi parce que seules les décisions passées en force de chose jugée peuvent être inscrites à l’état des créances (C. com., art. R. 622-20). Il n’y a donc guère de sens à poursuivre une instance lorsqu’il ne sera pas tenu compte de son résultat dans la procédure collective.
Toutefois, invoquer cette jurisprudence dans le cas d’espèce paraissait peu convaincant dans la mesure où elle concernait des actions en référé aux fins de condamnation provisionnelle. Or, de telles décisions ne sont effectivement dotées que d’une autorité provisoire. C’est parce qu’elles peuvent être remises en cause lors d’une instance au fond que les actions en référé, en cours lors de l’ouverture de la procédure collective, ne peuvent être reprises après la déclaration de créance. Dans ce cas, la question soulevée en référé sera tranchée à l’occasion de l’instance au fond, si le juge-commissaire n’admet pas directement la créance déclarée.
La chambre commerciale juge qu’il en va autrement pour la liquidation de l’astreinte. Sa position est parfaitement fondée, car la liquidation de l’astreinte permet d’obtenir une décision définitive et peut donc in fine être inscrite à l’état des créances. Il n’y avait ainsi aucune raison que, une fois que la créance a été déclarée et les organes mis en cause, l’instance aux fins de liquidation de l’astreinte ne reprenne pas aux fins de fixation de la créance.
La question se posait différemment s’agissant du prononcé d’une nouvelle astreinte.
Le sort de l’instance en cours tendant au prononcé d’une nouvelle astreinte
Le pourvoi amenait également à s’interroger sur le sort de l’instance en cours tendant cette fois au prononcé d’une nouvelle astreinte. Les auteurs du pourvoi soutenaient que cette instance avait pour objet la condamnation du débiteur et devait, de ce fait, être interrompue. Ils estimaient ensuite, et à nouveau, que cette instance ne tendait pas à obtenir une décision passée en force de chose jugée et la fixation définitive d’une créance. C’est encore ce caractère provisoire de la décision qui exclurait que l’instance aux fins de prononcé d’une nouvelle astreinte puisse être reprise après l’ouverture de la procédure collective.
Ce dernier argument aurait pu cette fois prospérer. En effet, le prononcé d’une astreinte relève d’une logique de dissuasion qui, si elle fonctionne, conduit à ce qu’il n’y ait pas lieu de la liquider. L’astreinte n’est donc qu’une menace provisoire qui disparaît si le débiteur s’exécute. Techniquement, ce n’est pas l’instance tendant au prononcé d’une astreinte qui peut aboutir à une décision fixant définitivement la créance, mais l’instance en liquidation de l’astreinte prononcée. Ainsi, si la Cour de cassation avait suivi ce raisonnement, l’instance en fixation d’une nouvelle astreinte n’aurait pas pu être reprise. Par conséquent, aucune astreinte n’aurait été prononcée. Dans cette hypothèse, le créancier n’aurait eu alors tout bonnement plus aucune créance à déclarer.
Cependant, la Cour de cassation aborde la question sur un autre terrain en jugeant que l’action aux fins de prononcé d’une astreinte ne tend pas, en soi, au paiement d’une somme d’argent. En effet, elle juge qu’il résulte des articles L. 131-1 et L. 131-2 du code des procédures civiles d’exécution que l’action en fixation d’une astreinte provisoire est destinée à assurer l’exécution d’une obligation de faire exécutable en nature. Cette approche exclut alors, en soi, le prononcé de l’astreinte du champ des articles L. 622-21 et L. 622-22 du code de commerce qui interdisent les actions en paiement intentées contre le débiteur.
Ce faisant, la chambre commerciale opère un revirement d’une ancienne décision dans laquelle elle avait jugé, au contraire, que l’action tendant à la fixation d’une nouvelle astreinte provisoire, ayant pour but de contraindre à l’exécution d’une obligation de faire née antérieurement au jugement d’ouverture, était soumise à la suspension des poursuites (Com. 1er déc. 2009, n° 07-20.571). Si elle modifie sa jurisprudence de chambre, elle rejoint toutefois une décision récente de la troisième chambre civile qui a déjà jugé que l’instance ayant pour objet la fixation d’une astreinte provisoire ne tend pas par elle-même à la condamnation du débiteur à payer une somme d’argent (Civ. 3e, 20 avr. 2023, n° 21-19.379).
Ce revirement pourrait en annoncer d’autres s’agissant de la qualification des actions sanctionnant le non-respect des obligations de faire. En effet, la réforme du droit des obligations du 10 février 2016 a supprimé l’article 1142 du code civil qui disposait que toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages et intérêts en cas d’inexécution de la part du débiteur, ce qui justifiait pour la Cour de cassation de soumettre ces actions à l’interdiction des poursuites individuelles (par ex., Com. 17 juin 1997, n° 94-14.109, D. 1997. 311
, obs. A. Honorat
; RTD com. 1997. 684, obs. A. Martin-Serf
). Désormais, le nouvel article 1221 dispose que le créancier d’une obligation peut, après mise en demeure, en poursuivre l’exécution en nature sauf si cette exécution est impossible ou s’il existe une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur de bonne foi et son intérêt pour le créancier. Cette évolution pourrait justifier, à l’instar de l’arrêt rapporté, une évolution de la jurisprudence qui appréhendait très largement le champ des actions qui tendent à la condamnation du débiteur au paiement d’une somme d’argent (F. Pérochon, Entreprises en difficulté, 11e éd., LGDJ, 2022, n° 1053, p. 464).
Il reste encore à s’interroger sur la portée de la décision rapportée.
L’intérêt incertain du prononcé d’une nouvelle astreinte
Le créancier peut donc obtenir le prononcé d’une astreinte en dépit de l’interdiction des poursuites. Mais que peut-il faire si le débiteur ne s’exécute pas ? Contrairement au prononcé de l’astreinte, sa liquidation tend bien à la condamnation du débiteur au paiement d’une somme d’argent. De ce fait, cette seconde action semble cette fois entrer dans le champ de l’interdiction des poursuites. Le créancier n’échapperait donc que provisoirement aux contraintes de la discipline collective.
En vérité, il en irait autrement si la créance issue de la liquidation de l’astreinte entrait dans le champ des créances postérieures privilégiées qui ne sont pas soumises à l’interdiction d’agir en condamnation du débiteur au paiement d’une somme d’argent (C. com., art. L. 622-21).
Il convient donc de s’interroger sur la qualification de la créance de liquidation de l’astreinte et ses conséquences pour le créancier.
Les créances postérieures privilégiées sont celles nées régulièrement après le jugement d’ouverture pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d’observation, ou en contrepartie d’une prestation fournie au débiteur pendant cette période, sont payées à leur échéance (C. com., art. L. 622-17).
Le caractère régulier de la créance d’astreinte ne pose pas de difficultés dans la mesure où elle résulte d’une décision de justice.
En revanche, le caractère postérieur n’est pas acquis. En effet, la chambre commerciale a déjà pu juger que le fait générateur de la créance d’astreinte demeurait l’obligation que l’astreinte a vocation à faire exécuter. La créance est donc antérieure lorsque cette obligation résulte d’une décision antérieure à l’ouverture de la procédure collective (Com. 26 mars 2013, n° 06-10.602). À s’en tenir à cette jurisprudence, le créancier ne bénéficierait au mieux que d’une nouvelle créance antérieure à déclarer. Du reste, et c’est une difficulté qui découle de cette qualification de créance antérieure, le créancier devrait solliciter un relevé de forclusion à chaque fois que l’astreinte aura été prononcée plus de deux mois après l’ouverture de la procédure collective. Il paraît peu satisfaisant, sur le plan de la logique, de qualifier d’antérieure une créance qui ne peut être déclarée qu’à la suite d’un événement postérieur à l’ouverture de la procédure collective. L’arrêt précité est toutefois inédit et la créance d’astreinte est avant tout le résultat du comportement du débiteur. Partant, soutenir que la créance est postérieure semble raisonnable lorsque l’astreinte est prononcée après l’ouverture de la procédure collective.
Cependant, même si la créance est qualifiée de postérieure, elle ne semble pas utile au sens de l’article L. 622-17 du code de commerce. En effet, cette créance ne naît ni pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d’observation, ni en contrepartie d’une prestation fournie au débiteur pendant cette période.
Ainsi, sauf à forcer la lettre du texte, il s’agirait d’une créance postérieure régulière mais non privilégiée. Or, une telle créance doit être déclarée dans le délai de deux mois à compter de son exigibilité (C. com., art. L. 622-24, al. 6). Une autre difficulté surgit alors. À quel moment la créance résultant de la liquidation de l’astreinte devient-elle exigible ? Puisqu’elle doit être liquidée, cette créance, par essence, ne devient exigible qu’au prononcé du jugement de liquidation. En somme, elle apparaîtrait comme une créance postérieure dont l’exigibilité dépend de la volonté du créancier.
Au final, l’astreinte, prononcée après l’ouverture de la procédure collective, n’aboutirait qu’à l’inscription d’une créance non privilégiée payée selon les modalités de la procédure, ce qui peut ne pas satisfaire le créancier.
Ce dernier aurait-il alors intérêt à attendre la fin de l’arrêt des poursuites individuelles pour demander la liquidation de son astreinte ? L’article L. 622-24, alinéa 6, du code de commerce impose certes de déclarer les créances postérieures régulières et non privilégiées. Toute la difficulté réside cependant dans le fait que, aussi longtemps que le créancier ne provoque pas la liquidation de l’astreinte par la déclaration de créance, celle-ci n’est pas exigible. Or, c’est l’exigibilité de la créance qui est le point de départ du délai que l’article L. 622-24 impose au créancier pour déclarer. En jouant sur cette question de l’exigibilité, le débiteur pourrait être tenté de patienter avant de demander la liquidation de l’astreinte.
Hors procédures liquidatives, le créancier pourrait ainsi avoir intérêt à attendre l’adoption d’un plan avant de demander la liquidation de l’astreinte. En cas de liquidation judiciaire, il n’aurait aucun intérêt à s’abstenir d’agir lorsque le débiteur est une personne morale qui disparaît au terme de la liquidation clôturée pour insuffisance d’actif. En revanche, face à une personne physique, lorsque celle-ci ne bénéficie pas de la séparation des patrimoines, le créancier pourrait à nouveau attendre la clôture de la procédure avant de demander la liquidation de l’astreinte.
En somme, si la solution de l’arrêt rapporté est claire, ses conséquences restent à préciser afin d’apprécier l’efficacité de l’astreinte à l’épreuve de la procédure collective.
Com. 11 sept. 2024, F-B, n° 23-15.441
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