L’efficacité de l’insaisissabilité légale de la résidence principale perdure après la cessation de l’activité professionnelle !

Selon l’article L. 526-1 du code de commerce, l’insaisissabilité légale de la résidence principale d’un entrepreneur individuel n’a d’effet qu’à l’égard des créanciers dont les droits naissent à l’occasion de son activité professionnelle. Dès lors, les effets de l’insaisissabilité subsistent aussi longtemps que les droits des créanciers auxquels la mesure est opposable ne sont pas éteints. Ainsi, la cessation de l’activité professionnelle ne met-elle pas fin, par elle-même, aux effets de l’insaisissabilité.

Ce serait un euphémisme que d’affirmer que la problématique de l’insaisissabilité des immeubles d’un entrepreneur sous procédure collective est devenue un incontournable du droit des entreprises en difficulté. Du reste, chacune des décisions rendues en ce domaine est scrutée et retient l’attention des praticiens et de la doctrine (par ex., Com. 17 janv. 2024, n° 22-20.185 F-B, Dalloz actualité, 2 févr. 2024, obs. B. Ferrari ; D. 2024. 109 ; ibid. 1301, obs. A. Leborgne et J.-D. Pellier ; Rev. sociétés 2024. 211, obs. P. Roussel Galle ; RCJPP 2024. 52, chron. P. Roussel Galle et F. Reille  ; Gaz. Pal. 19 mars 2024, nº GPL460q5, note J.-J. Ansault ; LEDEN mars 2024, nº 202e7, note D. Lemberg-Guez ; APC 2024/4, n° 50, note K. Lafaurie ; RPC 2024. Comm. 58, note A. Cerati).

Sans doute, l’arrêt sous commentaire n’échappera pas à la règle, d’autant plus que son apport dépasse les frontières du droit de la faillite !

L’affaire

En l’espèce, un artisan ayant cessé son activité professionnelle le 5 décembre 2017 – date à laquelle il a par ailleurs été radié du répertoire des métiers – a été mis en redressement, puis en liquidation judiciaire les 4 septembre et 2 octobre 2018.

Dans le cadre de cette procédure, le liquidateur a sollicité du juge-commissaire qu’il soit ordonné la vente aux enchères publiques de l’immeuble d’habitation appartenant à l’ancien artisan et constituant sa résidence principale.

L’affaire est portée en appel et le liquidateur a obtenu gain de cause devant les juges du second degré. En l’occurrence, ces derniers ont effectivement autorisé le liquidateur à poursuivre la vente de l’immeuble servant de résidence principale au débiteur. Plus précisément, pour écarter l’insaisissabilité de droit de la résidence principale, la cour d’appel a retenu que le débiteur avait été radié du répertoire des métiers neuf mois avant que la procédure collective ne soit ouverte.

Or, suivant cette logique, le débiteur ne pouvait plus alors bénéficier des dispositions protectrices instituées par la loi, car la rédaction de l’article L. 526-1 du code de commerce – dans sa version applicable aux faits de l’espèce – faisait référence au fait d’être en présence d’une « personne physique immatriculée à un registre de publicité légale à caractère professionnel ». Partant, puisque tel n’était plus le cas du débiteur, ce dernier ne pouvait arguer de l’insaisissabilité du bien pour empêcher sa réalisation par son liquidateur, quand bien même ses dettes professionnelles avaient effectivement été contractées lorsqu’il était encore en activité.

Pour formuler les choses autrement, la radiation du débiteur du répertoire des métiers, intervenue antérieurement à l’ouverture de la procédure collective, aurait entraîné la cessation des effets de l’insaisissabilité légale, puisque formellement, le débiteur n’avait plus la qualité « d’entrepreneur » entendue comme étant une personne physique immatriculée à un registre de publicité légale à caractère professionnel. Par conséquent, l’insaisissabilité de l’immeuble ayant cessé en raison de la perte de la qualité d’entrepreneur, le bien pouvait être appréhendé par le liquidateur afin d’être réalisé dans l’intérêt collectif des créanciers.

Face à cette solution, le débiteur se pourvoit en cassation.

À l’appui de son pourvoi, il faisait valoir l’argument selon lequel l’effet protecteur de l’insaisissabilité subsiste aussi longtemps que les droits des créanciers auxquels elle est opposable ne sont pas éteints. Partant, il en déduisait que la cessation de son activité professionnelle ne mettait pas fin, par elle-même, aux effets de l’insaisissabilité légale de la résidence principale, et ce, peu important le fait que l’arrêt de l’activité ait été antérieur à l’ouverture de la procédure collective.

Sans surprise, la Cour de cassation va suivre cet argumentaire et casse en conséquence l’arrêt d’appel.

La solution

La Cour de cassation commence par rappeler qu’il résulte de l’article L. 526-1 du code de commerce – dans sa rédaction issue de la loi du 6 août 2015 – que l’insaisissabilité de plein droit des droits de la personne immatriculée à un registre de publicité légale à caractère professionnel sur l’immeuble où est fixée sa résidence principale n’a d’effet qu’à l’égard des créanciers dont les droits naissent à l’occasion de l’activité de cette personne. Or, pour la Haute juridiction, il en résulte que les effets de l’insaisissabilité subsistent aussi longtemps que les droits des créanciers auxquels elle est opposable ne sont pas éteints. Ce faisant, la cessation de l’activité professionnelle de la personne précédemment immatriculée ne met pas fin, par elle-même, aux effets de l’insaisissabilité.

Portée de l’arrêt

L’arrêt ici rapporté a ceci d’intéressant qu’il aborde une difficulté qui avait, jusqu’à une époque récente, été quelque peu délaissée par la doctrine et la jurisprudence. En effet, ce n’est que par un arrêt du 17 novembre 2021 que la Haute juridiction s’est intéressée à la problématique de la durée d’efficacité d’une mesure d’insaisissabilité portant sur un bien immeuble d’un entrepreneur. En l’occurrence, il était question au sein de cet arrêt de déclaration notariée d’insaisissabilité (DNI ; Com. 17 nov. 2021, n° 20-20.821 FS-B, Dalloz actualité, 1er déc. 2021, obs. B. Ferrari ; D. 2021. 2085 ; ibid. 2022. 1675, obs. F.-X. Lucas et P. Cagnoli ; AJ fam. 2022. 94, obs. J. Casey ; Rev. prat. rec. 2022. 29, chron. P. Roussel Galle et F. Reille ).

Or, il est intéressant de relever que la solution posée en 2021 à propos de l’efficacité d’une DNI postérieurement à la cessation de l’activité professionnelle de l’entrepreneur est ici totalement reconduite, par l’arrêt sous commentaire, à propos de l’insaisissabilité légale de la résidence principale.

Finalement, la Cour de cassation nous livre une décision respectueuse de la philosophie du mécanisme et de son articulation avec le droit des entreprises en difficulté. Pour la comprendre, nous reviendrons, d’abord, sur la problématique que constituait la cessation de l’activité professionnelle du débiteur relativement à l’opposabilité de la mesure d’insaisissabilité dans le temps. Ce constat nous permettra, ensuite, d’apprécier le bien-fondé de la solution retenue, laquelle se concentre sur l’existence de dettes professionnelles pour déterminer l’opposabilité de l’insaisissabilité légale à la procédure collective, et ce, malgré la cessation de l’activité professionnelle du débiteur.

La problématique : cessation de l’activité professionnelle et opposabilité de l’insaisissabilité

En s’interrogeant sur l’incidence de la cessation d’activité d’un entrepreneur sur l’efficacité de l’insaisissabilité légale de sa résidence principale dont il bénéficie en cette qualité, l’arrêt sous commentaire apporte une réponse à une interrogation malheureusement laissée en suspens par le législateur.

Il faut dire qu’il s’est montré particulièrement laconique s’agissant du régime de l’insaisissabilité légale de la résidence principale. Pour s’en convaincre, à lire les textes dans leur rédaction applicable aux faits de l’espèce (C. com., art. L. 526- 1, al. 1), seule la qualité de personne physique immatriculée à un registre de publicité légale à caractère professionnel ou exerçant une activité professionnelle agricole ou indépendante semble importer pour déclencher la protection de plein droit de la résidence principale. À tout le moins, la Cour de cassation est venue, par la suite, préciser ce qu’il fallait entendre par « résidence principale » (Com. 18 mai 2022, n° 20-22.768 FS-B, Dalloz actualité, 1er juin 2022, obs. B. Ferrari ; D. 2022. 990 ; ibid. 1675, obs. F.-X. Lucas et P. Cagnoli ; ibid. 2023. 523, obs. M. Douchy-Oudot ; ibid. 750, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; ibid. 1282, obs. A. Leborgne et J.-D. Pellier ; AJDI 2022. 770 , obs. F. Cohet ; AJ fam. 2022. 387, obs. J. Casey ; Rev. sociétés 2022. 516, obs. P. Roussel Galle ; Rev. prat. rec. 2022. 19, chron. P. Roussel Galle et F. Reille ; RTD civ. 2022. 687, obs. I. Dauriac ).

Est-ce à dire que le législateur s’est totalement désintéressé des interrogations ayant trait à la période d’efficacité de la mesure d’insaisissabilité ?

Une réponse positive à cette question serait excessive, car il est possible de relever quelques éléments du régime de la déclaration notariée d’insaisissabilité ou de l’insaisissabilité légale de la résidence principale s’intéressant aux effets de la mesure dans le temps.

D’abord, le code de commerce prévoit que l’entrepreneur peut renoncer à l’insaisissabilité de son bien au bénéfice d’un ou plusieurs créanciers (C. com., art. L. 526- 2 et L. 526-3). De ce principe, il peut déjà être déduit que l’insaisissabilité perdure tant que l’entrepreneur ne renonce pas à ses effets.

Ensuite, il existe un lien indéfectible entre l’insaisissabilité – qu’elle soit légale ou bien opérée par déclaration – et le bien sur lequel elle porte. Ainsi est-il précisé qu’en cas de cession de l’immeuble, l’insaisissabilité ne se reporte pas automatiquement sur le prix de vente. Pour conserver l’efficacité du dispositif, l’entrepreneur doit procéder à une déclaration de remploi et réinvestir la somme dans l’acquisition d’un autre immeuble dans l’année suivant la cession (C. com., art. L. 526-3).

Enfin, des dispositions particulières régissent l’hypothèse du décès de l’entrepreneur. Dans ce cas, l’article L. 526-3 du code de commerce – dans sa rédaction applicable depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 – prévoit que les effets de la mesure subsistent en cas de décès de l’entrepreneur, qu’il s’agisse d’une DNI ou de l’insaisissabilité légale, et ce, jusqu’à la liquidation de sa succession.

Or, pour la problématique intéressant l’arrêt ici rapporté, un bref retour sur l’ancienne rédaction du texte précité est éclairant, car celui-ci prévoyait alors, à une époque où l’insaisissabilité légale de la résidence principale n’existait pas encore, que le décès du déclarant emportait révocation de la déclaration d’insaisissabilité. En l’occurrence, ce sont les différentes interprétations permises de l’influence de cette révocation sur l’efficacité de l’insaisissabilité qui méritent d’être mises en exergue.

Pour certains auteurs, la révocation de la déclaration entraînait la disparition rétroactive de ses effets et, partant, autorisait les créanciers à saisir les biens du défunt entre les mains des héritiers (V. Legrand, Patrimoine familial et risque de l’entreprise : stratégie de prévention, LPA 2014, n° 246, p. 3). Pour d’autres, la révocation de la déclaration résultant du décès signifiait que la déclaration d’insaisissabilité cessait de produire ses effets pour les dettes professionnelles nées postérieurement au décès, mais perdurait pour les dettes professionnelles nées antérieurement à cette date et après la DNI (A. Lienhard, L’insaisissabilité de la résidence principale de l’entrepreneur individuel, D. 2003. 1898 ). Hélas, la jurisprudence n’a pas eu l’occasion de trancher cette problématique et le législateur a supprimé la révocation de la déclaration en cas de décès de l’entrepreneur avec l’entrée en vigueur de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015.

Quoi qu’il en soit, les discussions précitées concernant les effets de la révocation en cas de décès de l’entrepreneur sur l’efficacité de la DNI sont extrêmement utiles, puisqu’elles se rapprochent du cœur de l’arrêt ici rapporté et donc, de l’incidence de la cessation d’activité sur les effets de la mesure d’insaisissabilité.

À ce propos, bien que la doctrine s’y soit très peu intéressée, les quelques écrits susceptibles d’apporter à la thématique n’affirment jamais – sans nuance – la disparition rétroactive de l’insaisissabilité lorsque l’entrepreneur cesse son activité professionnelle. Par exemple, pour un auteur, la perte de la qualité d’entrepreneur est même sans influence sur la déclaration d’insaisissabilité qui subsiste, dans ses effets, postérieurement à la cessation d’activité (Rép. com.,  Insaisissabilité des immeubles non professionnels, par S. Piedelièvre, nos 73 s., spéc. n° 86).

Si cette dernière position a été confirmée, d’une part, par l’arrêt du 17 novembre 2021, et d’autre part, par l’arrêt ici rapporté, elle mérite néanmoins quelques précisions. En effet, si la solution commentée est respectueuse de la philosophie inhérente aux mesures d’insaisissabilité, c’est qu’elle se concentre sur l’essentiel afin de déterminer l’efficacité du dispositif dans le temps : l’existence ou non de dettes professionnelles.

La résolution : focus sur l’existence de dettes professionnelles

En réalité, si la cessation de l’activité professionnelle n’entraîne pas à proprement parler la disparition rétroactive de l’insaisissabilité, c’est qu’il n’y a pas de suppression de l’efficacité de l’insaisissabilité légale pour les dettes professionnelles nées entre la date d’entrée en vigueur du dispositif et celle de l’arrêt de l’activité professionnelle (en ce sens, à propos de la DNI, P.-M. Le Corre, Protection de l’entrepreneur individuel et déclaration d’insaisissabilité, AJDI 2004. 179 ).

Sur ce point, un parallèle peut être fait avec les conditions d’ouverture d’une procédure collective pour le professionnel indépendant ayant cessé son activité (C. com., art. L. 631-5, L. 640-3 et L. 640-5). Dans cette hypothèse, les créanciers ont un an, à compter de la cessation d’activité, pour assigner leur débiteur. Or, il faut remarquer que ce dernier n’est pas soumis à une telle condition de délai pour solliciter l’ouverture d’une procédure collective (v. par ex., C. com., art. L. 640-3). La raison est simple : quand bien même l’activité professionnelle du débiteur a cessé, ses dettes professionnelles demeurent et pourront être apurées dans le cadre de l’une des procédures du Livre VI du code de commerce. À cet égard, précisons que le débiteur retiré peut même solliciter l’ouverture d’un redressement judiciaire, malgré la contradiction liée à l’objectif de poursuite de l’activité inhérent à cette procédure (Com. 4 mai 2017, n° 15-25.046 P, Dalloz actualité, 9 mai 2017, obs. A. Lienhard ; D. 2017. 974, obs. A. Lienhard ; ibid. 1941, obs. P.-M. Le Corre et F.-X. Lucas ; Rev. sociétés 2017. 385, obs. P. Roussel Galle ; RTD com 2018. 202, obs. C. Saint-Alary-Houin ). Quoi qu’il en soit, en l’espèce, ceci permet d’expliquer qu’une procédure de liquidation judiciaire ait été ouverte à l’encontre du débiteur postérieurement à la cessation de son activité professionnelle.

Or, si l’efficacité de la mesure d’insaisissabilité perdure postérieurement à la perte de la qualité d’entrepreneur, c’est précisément en raison de la présence de dettes de nature professionnelles nées entre l’époque durant laquelle la résidence principale était protégée – emportant avec elle une réduction du droit de gage des créanciers professionnels – et la date de la cessation de l’activité.

Plus généralement, la présence de dettes professionnelles justifie l’ouverture de la liquidation judiciaire en dépit de la cessation de l’activité du débiteur et, parallèlement, l’insaisissabilité doit demeurer efficace, car sa raison d’être subsiste : protéger l’entrepreneur des aléas de la vie professionnelle. Certes, la mesure ne jouera plus pour l’avenir, mais elle continue de protéger l’entrepreneur pour les dettes nées de son activité professionnelle passée.

Précisément, c’est à ce propos que l’arrêt commenté est respectueux de la philosophie inhérente au dispositif d’insaisissabilité des immeubles de l’entrepreneur.

Pour rappel, la déclaration d’insaisissabilité tend à la protection de certains biens du débiteur en les faisant échapper au gage des créanciers professionnels, et ce, afin de permettre à l’entrepreneur personne physique d’exploiter « sereinement » son entreprise. Or, les effets de cette déclaration doivent durer autant de temps que subsistent les dettes professionnelles du débiteur. Si ces dettes justifient l’ouverture d’une procédure collective postérieurement à la cessation d’activité, de la même façon, elles ancrent le fait que l’insaisissabilité demeure opposable à la liquidation judiciaire, quand bien même le débiteur aurait perdu, avant l’ouverture de la procédure, sa qualité d’entrepreneur individuel.

Pour finir, il nous semble que l’incidence des solutions posées par l’arrêt sous commentaire à propos de l’efficacité dans le temps de l’insaisissabilité légale de la résidence principale et par l’arrêt du 17 novembre 2021 quant à celle d’une DNI, nous parait applicable quant à la détermination du devenir du régime de dissociation patrimoniale instauré par la loi du 14 février 2022 en cas de cessation d’activité.

Certes, le 9e alinéa de l’article L. 526-22 du code de commerce prévoit que dans le cas où un entrepreneur individuel cesse toute activité professionnelle indépendante, le patrimoine professionnel et le patrimoine personnel sont réunis. Pour autant, il nous semblerait logique – si l’on applique le raisonnement de l’arrêt sous commentaire – que les créanciers antérieurs à la cessation d’activité conservent le gage qui était le leur : soit les biens qui composent le patrimoine professionnel, soit ceux du patrimoine personnel… soit les deux pour les créanciers qui étaient les plus chanceux !

 

© Lefebvre Dalloz