L’efficacité du droit de l’environnement toujours en débat

Manque de lisibilité des textes, manque de moyens des juridictions spécialisées… Le droit de l’environnement avance à petits pas en France, en dépit des efforts déployés par certains procureurs et gendarmes « verts ».

Introduction du préjudice écologique, déjà reconnu par la jurisprudence, dans le code civil, loi sur le devoir de vigilance des sociétés donneuses d’ordre, introduction de nouveaux délits, dont l’écocide, extension de la Convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) en matière environnementale… Avec le développement du droit de l’environnement, de nouveaux contentieux arrivent désormais devant les tribunaux français.

Devant les tribunaux judiciaires et administratifs

Dans l’Affaire du siècle, le Tribunal administratif de Paris a jugé que l’État français doit réparer le préjudice causé par le non-respect des objectifs de réduction de 40 % des gaz à effet de serre d’ici 2030. Dans l’affaire Grande Synthe, le Conseil d’État a jugé que l’État a failli à certaines de ses obligations liées aux risques climatiques et prononcé une astreinte pour que la décision soit exécutée.

Quant au juge judiciaire, à l’origine de la décision historique rendue par la Cour de cassation dans l’affaire Erika, il connaît aujourd’hui de plusieurs actions engagées contre des acteurs économiques sur le fondement de la loi sur le devoir de vigilance.

Le Tribunal judiciaire de Paris a ainsi rendu trois décisions en 2023 : le 28 février, en référé, dans l’affaire concernant le projet pétrolier de TotalEnergies en Ouganda, le 1er juin dans l’affaire visant le groupe Suez au sujet de la contamination d’eau au Chili, et le 6 juillet dans l’affaire visant TotalEnergie pour inaction climatique. Trois dossiers qui n’ont abouti à aucune décision sur le fond car les juges ont déclaré les actions des associations requérantes irrecevables et les textes inapplicables car trop flous. En parallèle, une quinzaine de CJIP ont été signées pour des délits prévus par le code de l’environnement et des infractions connexes.

Des décisions « plus symboliques qu’efficaces » dans un contexte « d’urgence écologique »

On peut donc constater « des avancées devant les juridictions administratives » et « la frilosité des décisions de l’ordre judiciaire », a déclaré Anne Danis-Fatôme, professeur de droit privé à l’Université Paris 8, lors d’une table-ronde sur le droit de l’environnement organisée par le Conseil national des barreaux lors de la grande rentrée des avocats, le 28 septembre dernier à Paris. « Ces régimes spéciaux ont été créés avec un champ réduit et comportent des obstacles procéduraux », a-t-elle ajouté, et « je pense que le droit commun serait plus efficace » pour traiter le contentieux de l’environnement.

Co-fondateur et président de l’Association française des magistrats pour la justice environnementale (AFMJE) et du réseau des procureurs européens pour l’environnement, le magistrat Jean-Philippe Rivaud a fait état d’une autre approche de la situation de ce contentieux en France. En matière administrative, « les décisions du Conseil d’État n’ont pas été exécutées », a-t-il relevé, « ce sont des décisions plus symboliques qu’efficaces, alors qu’il y a une urgence écologique ». Et en matière judiciaire, « il s’agit de décisions de pure procédure ou en référé », a-t-il souligné, en réfutant la « frilosité » présumée des juges judiciaires, « ce ne sont pas des décisions de fond et des appels ont été enregistrés » dans certains de ces dossiers.

Un droit « obèse et illisible »

« Le vrai sujet, c’est l’efficacité du droit de l’environnement », a poursuivi le magistrat, actuellement substitut du procureur général à la Cour d’appel de Paris. Une des principales difficultés tient, selon lui, au fait que « le droit de l’environnement est obèse et illisible pour tout le monde, y compris les magistrats ». Ainsi, par empilements successifs, il y a aujourd’hui « 2 000 infractions dans le droit pénal de l’environnement ». Même si l’on parle beaucoup des affaires engagées au pénal, « la justice civile tient une grande place en matière environnementale », en s’appuyant notamment sur « le droit des contrats, le droit immobilier, le droit des assurances, le droit de la responsabilité civile… ». A contrario, « le devoir de vigilance est un contentieux de niche » qui concerne « trois ou quatre affaires en cours, et deux ou trois magistrats ».

Un droit d’ingénieurs qui appelle des connaissances scientifiques

Dans sa rédaction, le droit de l’environnement « est un droit d’ingénieurs » et, dans la pratique, « c’est un droit qui convoque des connaissances scientifiques », a souligné le procureur. Or, les magistrats sont confrontés à des difficultés avec « l’impartialité des experts, qui peuvent avoir conseillé des entreprises ou des ONG par le passé ». La création de pôles judiciaires spécialisés n’a pas permis, selon lui, de répondre aux besoins d’expertise technique de ce contentieux. « Les pôles régionaux pour l’environnement, ça ne marche pas. Ce sont surtout des parquets spécialisés et souvent des coquilles vides, même si certains parviennent à faire des choses avec les moyens du bord. Tant que ces pôles régionaux ne seront pas mieux formés et staffés, ça ne pourra pas marcher. »

Le corps des gendarmes « verts » s’étoffe

Parmi les récentes initiatives qui devraient, selon le magistrat, contribuer à améliorer l’efficacité du droit de l’environnement figurent la formation de 3 500 gendarmes « verts » cette année et la création, le 1er juillet dernier, du Commandement pour l’environnement et la santé (CESAN) pour piloter ce réseau d’enquêteurs spécialisés dans les questions environnementales. Autre initiative qui qui va dans le sens d’une meilleure efficacité : la création d’un réseau de commissaires de justice spécialisés dans le constat environnemental. Autant d’acteurs spécialisés dans la constitution « des preuves, sans lesquels les magistrats ne peuvent rien faire ».

 

© Lefebvre Dalloz