L’engagement de payer à première demande les échéances du plan non honorées n’est pas une garantie autonome

Il résulte de l’article 2321 du code civil que le garant autonome s’oblige à payer la dette d’un tiers de manière indépendante et que son obligation a un objet distinct de celle du débiteur principal. Dès lors, l’engagement de payer à première demande les échéances non honorées d’un plan de redressement, qui dépend du respect par le débiteur de ses propres obligations, n’est pas une garantie autonome.

La liberté contractuelle inhérente aux sûretés personnelles est susceptible d’entraîner des difficultés de qualification juridique et, parfois, une méprise quant à la véritable nature de la garantie souscrite. La décision du 13 mars 2024 rendue par la chambre commerciale de la Cour de cassation, témoigne de l’importance de la sémantique employée au sein des stipulations contractuelles. Garantie autonome ou cautionnement ? Telle fut la question posée à la Haute juridiction à propos d’un engagement de payer à première demande les échéances non honorées d’un plan de redressement, dans un contexte de faillites en cascade.

Au sein d’un groupe de sociétés, une société à responsabilité limitée (la SARL Axim Five) a été placée en redressement judiciaire à la suite de difficultés économiques, le 29 octobre 2015. Le tribunal a désigné les organes de la procédure, un administrateur judiciaire (la société Ascagne) et un mandataire judiciaire (la société ML conseils). Le 15 janvier 2017, un plan de redressement par voie de continuation a été adopté en faveur de la société débitrice et l’administrateur judiciaire a été nommé commissaire à l’exécution du plan. Le 10 mai 2017, les deux autres SARL du groupe ont conclu un contrat de garantie aux termes duquel elles se sont engagées « irrévocablement et inconditionnellement à régler directement auprès du commissaire à l’exécution du plan, à première demande de sa part et dans la limite du montant des échéances du plan non honorées par la société Axim Five le tout à hauteur d’un montant maximum de 725 193,86 euros. » Le 29 mars 2018, la résolution du plan de redressement a été prononcée et une procédure de liquidation judiciaire a été ouverte à l’égard de la SARL débitrice, avec désignation du mandataire judiciaire en qualité de liquidateur judiciaire (l’ancien mandataire judiciaire). Le 11 janvier 2021, les SARL garantes ont été mises en redressement judiciaire et deux sociétés (les sociétés A & M AJ associés et MJA) ont été désignées en qualité, respectivement, d’administrateur et de mandataire judiciaires.

Le commissaire à l’exécution du plan et le liquidateur judiciaire ont assigné les SARL garantes des dettes de la société débitrice, à exécuter leur engagement de garantie. À titre reconventionnel, l’une des sociétés garantes (la SARL Numi-technologie) a assigné le liquidateur judiciaire, ès qualités, en paiement d’une somme correspondant aux prestations impayées. Par un arrêt du 30 novembre 2021, la Cour d’appel de Versailles la déboute de sa demande reconventionnelle en paiement.

Entre autres, l’arrêt retient que cet engagement a fait naître à la charge des sociétés garantes une obligation indépendante de celle du débiteur défaillant, de sorte qu’il s’agit bien d’une garantie autonome, peu important que le montant maximum garanti soit réduit d’année en année.

Le mandataire judiciaire, ès qualités, forme un pourvoi en cassation. Un argument est principalement invoqué par la demanderesse. La garantie consentie a pour objet le montant non honoré des échéances du plan de continuation dont bénéficiait la société débitrice. L’engagement de payer qui a pour objet la dette du débiteur principal est dépourvu de tout caractère autonome et doit s’analyser en un cautionnement.

L’engagement de payer à première demande les échéances non honorées d’un plan de redressement peut-il revêtir la qualification de garantie autonome, au sens de l’article 2321, alinéa 1er, du code civil ?

Le 13 mars 2024, la chambre commerciale de la Cour de cassation apporte une réponse négative et cohérente au regard de la jurisprudence antérieure. À travers un premier attendu clair et limpide, elle reprend la définition de la garantie autonome en mettant en exergue ses deux caractéristiques propres : l’autonomie de l’engagement au regard du contrat de base et la distinction entre l’obligation du garant et celle du débiteur principal. Or, en l’espèce, il résultait des clauses de l’engagement litigieux que l’obligation des sociétés garantes avait le même objet que celle de la société débitrice. Dès lors, en retenant que l’engagement de garantie avait fait naître une obligation indépendante, les juges du fond ont violé l’article 2321, alinéa 1er, du code civil. La Cour de cassation casse et annule partiellement l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Versailles en ce qui concerne le rejet de la demande en nullité de la garantie.

Cette décision, qui n’est pas originale en soi, a le mérite de retracer, à la lumière de l’article 2321 du code civil, la frontière entre le cautionnement et la garantie autonome.

L’avènement de la garantie autonome en droit français

Fruit de la pratique bancaire internationale (et substitut au dépôt de garantie dans les rapports entre importateurs et exportateurs), la garantie autonome est apparue dans le paysage juridique français au début des années 1980 et est devenue rapidement une alternative au cautionnement. Sa transposition en droit interne s’est néanmoins réalisée dans le flou juridique en l’absence de critère de distinction avec le cautionnement (S. Atsarias, La protection des garants des dettes de l’entreprise, LGDJ, coll. « Thèses », 2018). Le voile fut levé grâce à la jurisprudence de la Cour de cassation qui est venue révéler la véritable nature de la garantie autonome reposant essentiellement sur l’indépendance de l’engagement par rapport au contrat de base (Com. 20 déc. 1982, n° 81-12.579 et n° 81-14.582). Consacrée plus de vingt ans plus tard par l’ordonnance du 23 mars 2006, la garantie autonome est désormais définie à l’article 2321 du code civil comme étant « l’engagement par lequel le garant s’oblige, en considération d’une obligation souscrite par un tiers, à verser une somme soit à première demande, soit suivant des modalités convenues ».

L’objet de l’obligation du garant, critère de distinction

Après avoir rappelé cette définition, la Cour de cassation met en évidence le particularisme de la garantie autonome. Dans la continuité de la jurisprudence antérieure, « il en résulte que le garant s’oblige à payer la dette d’un tiers de manière autonome au regard du contrat de base et que son obligation a un objet distinct de celle du débiteur principal ». Si la caution s’engage à payer la dette du débiteur principal (C. civ., art. 2288), le garant autonome est tenu au paiement de sa propre dette. En effet, la chambre commerciale a érigé l’objet de l’obligation du garant en critère de distinction entre la garantie autonome et le cautionnement, dans un arrêt du 13 décembre 1994. En l’absence d’assise légale, les juges avaient ainsi procédé à une analyse de l’obligation du garant sous le prisme de l’ancien article 1134 du code civil (Com. 13 déc. 1994, n° 92-12.626, D. 1995. 209 , rapp. H. Le Dauphin , note L. Aynès  ; RTD com. 1995. 458, obs. M. Cabrillac  ; v. aussi, Civ. 1re, 5 oct. 2010, n° 09-14.673, D. 2011. 655 , note O. Gout  ; ibid. 406, obs. P. Crocq ). Désormais, la jurisprudence applique, de manière classique, ce critère de distinction sous le visa de l’article 2321 du code civil. Un engagement ne peut être qualifié de garantie autonome que s’il n’a pas pour objet la dette du débiteur principal (par ex., Com. 3 juin 2014, n° 13-17.643, RTD civ. 2014. 884, obs. H. Barbier  ; Civ. 1re, 12 déc. 2018, n° 17-12.477, AJ contrat 2019. 142, obs. G. Mégret ). Or, en l’espèce, les sociétés garantes s’étaient engagées à payer une somme dans la limite du montant des échéances du plan de continuation dont bénéficiait le débiteur. Contrairement aux juges du fond, la Cour de cassation retient que l’étendue de la garantie litigieuse dépendait du respect, par le débiteur, de ses propres engagements. Ainsi, est dépourvu de caractère autonome l’engagement de régler directement auprès du commissaire à l’exécution du plan, à première demande de sa part et dans la limite du montant des échéances du plan de redressement non honorées.

Notons toutefois que si l’objet de l’obligation est indépendant de la dette principale, la garantie autonome constitue un rapport juridique d’adjonction (garant-donneur d’ordre) à un rapport juridique fondamental (créancier-débiteur). En effet, selon une acception large de l’accessoire, chaque sûreté (personnelle ou réelle) est nécessairement liée « économiquement » au contrat principal (v. not., D. Legeais, La règle de l’accessoire dans les sûretés personnelles, Dr. et patr. 2001. 92). Ainsi, toute référence à la dette principale ne peut être ignorée « tant qu’il ne s’agit pas de l’objet de l’obligation du garant autonome » (P. Puig, Les garanties autonomes, LPA 27 mars 2008, n° 63, p. 9)

La requalification en cautionnement, un inépuisable contentieux ?

La liberté contractuelle attachée à cette figure juridique et le manque de maîtrise du mécanisme en droit interne ont posé des difficultés de qualification soulevées dans des décisions prises par certaines juridictions du fond (Paris, 17 déc. 1992, JCP E 1993. I, n° 243, 29 ; Poitiers, 27 janv. 1993, Juris-Data n° 1993-049703 ; Grenoble, 18 janv. 2000, Juris-Data n° 2000-135586). Compte tenu de la gravité de cet engagement, la jurisprudence a appliqué la même directive d’interprétation que celle initiée à l’égard de la caution, en ce que « le doute doit profiter au garant » (P. Simler, J.-Cl Banque – Crédit – Bourse,  Garanties autonomes : Nature juridique. Caractères. Typologie, fasc 742, n° 45) La consécration de cette garantie en droit français n’a pas épuisé tout risque de contentieux, comme le démontre l’arrêt présentement commenté. La requalification en cautionnement permet au garant qui s’en prévaut de bénéficier des règles protectrices de la caution et de contourner l’inopposabilité des exceptions tenant à l’obligation garantie (C. civ., art. 2321, al. 3). En l’occurrence, l’énoncé du moyen révèle que les sociétés garantes invoquaient la disparition de l’obligation garantie, exception inhérente à la dette principale.

Pour éviter toute tentative de requalification, les professionnels doivent veiller à la rédaction de formules levant toute ambiguïté sur la nature de l’engagement et la volonté des parties (v. en ce sens, G. Piette, La rédaction d’une garantie autonome – conseils pratiques pour éviter la requalification en cautionnement, LPA 30 juill. 2010, n° 151, p. 10). En l’espèce, le fait de s’engager « irrévocablement et inconditionnellement (…) à première demande » ne suffisait pas à retenir l’existence d’une garantie autonome. Bien que les garants s’étaient engagés à régler une somme d’argent déterminée, l’étendue matérielle de la garantie était fixée au regard de l’obligation principale et dépendait du respect, par le débiteur principal, du paiement des échéances du plan de redressement. L’appréciation des clauses de l’engagement litigieux, présenté sous la forme d’une garantie autonome, conduit la Cour de cassation à rejeter une telle qualification.

 

Com. 13 mars 2024, F-B, n° 22-15.438

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