Les chambres commerciales internationales de Paris, six ans après
Où en est, aujourd’hui, l’activité des chambres commerciales internationales instituées il y a plus de six ans au sein du tribunal de commerce et à la Cour d’appel de Paris afin de renforcer l’attractivité de la capitale pour le contentieux international des affaires ?
Le 7 février 2018, deux protocoles de procédure signés par l’Ordre des avocats de Paris ont officiellement institué les chambres commerciales internationales de Paris, l’une au Tribunal de commerce de Paris, l’autre à la cour d’appel. La première existe depuis 1995. Lui sont attribuées en priorité les affaires qui comprennent un élément d’extranéité. La seconde n’a véritablement démarré son activité qu’en septembre 2018. Elle est compétente pour connaître des appels des décisions de la chambre internationale du Tribunal de commerce de Paris ainsi que des recours contre les décisions d’arbitrage international (lesquelles étaient précédemment traitées par une autre chambre).
Deux protocoles ad hoc inspirés des standards internationaux
Pour mémoire, les protocoles de ces deux chambres spécialisées qui ont vocation à traiter le contentieux international des affaires intègrent certaines des souplesses de la common law et de l’arbitrage. Ils permettent notamment aux parties de bénéficier d’un calendrier de procédure détaillé et impératif, d’être entendues et de demander l’audition de témoins et d’experts et de procéder à des interrogatoires croisés (cross-examination) de la partie adverse, des témoins et des experts. Sous réserve de l’adhésion au protocole, l’usage d’autres langues que le français est autorisé, à la demande des parties, pour les auditions et les plaidoiries (une traduction simultanée est assurée par un traducteur choisi d’un commun accord par les parties) et pour les pièces (les pièces rédigées dans une autre langue que l’anglais doivent toutefois être produites en français). Les actes de procédure et les décisions sont rédigés en français, accompagnés d’une traduction jurée en anglais.
La création, en 2018, de protocoles ad hoc et d’une cette chambre spécialisée en appel avait pour objectif de renforcer l’attractivité de la capitale pour le contentieux international des affaires, aux côtés des centres d’arbitrage. Cela devait constituer un nouvel atout pour Paris face aux autres grandes places qui attirent ce contentieux – à commencer par Londres, après le Brexit. Un nouvel atout aux côtés des autres : la présence à Paris d’un barreau d’affaires international et le coût très modéré des procédures judiciaires françaises.
Pas d’impact sur le volume des affaires en première instance
Cette innovation de la place de Paris n’a, pour l’heure, pas eu d’impact notable en termes de flux d’affaires devant la chambre commerciale internationale du Tribunal de commerce de Paris. Les neuf juges de cette chambre qui fêtera ses trente ans l’année prochaine traitent en moyenne 400 dossiers par an, dont 200 affaires incluant une dimension internationale. Or, ce volume est resté stable. « En 2023, la chambre a traité 404 affaires, dont 194 à l’international, essentiellement dans les domaines, du transport, en droit des sociétés et en droit de la concurrence », précise sa présidente, Isabelle Ockrent, nommée à cette fonction en janvier 2023, après avoir exercé plus de dix ans en qualité de juge consulaire.
Activité stable en appel, après une montée en puissance progressive
Du côté de la chambre commerciale internationale de la Cour d’appel de Paris, « la montée en puissance a été progressive et, aujourd’hui, l’activité est stable », constate Daniel Barlow, président de la chambre depuis septembre 2022. « Je pense que l’on a acquis une forme de maturité et qu’un point d’équilibre a été atteint. La chambre rend chaque année une centaine de décisions au fond. Depuis six ans, elle a rendu plus de 600 arrêts, dont un peu plus de la moitié concerne des sentences arbitrales internationales. Le reste relève de tout ce que l’on peut mettre sous l’étiquette "contentieux international des affaires", ce qui inclut notamment les affaires qui mettent en cause la compétence internationale de juge français – une problématique récurrente, qui représente environ un quart des décisions. »
Entrée officielle dans le code de l’organisation judiciaire
Une récente évolution législative va toutefois contribuer à faire augmenter le nombre des affaires. La loi du 13 juin 2024 visant à accroître le financement des entreprises et l’attractivité de la France reconnaît à la Cour d’appel de Paris une compétence nationale pour les recours en annulation contre les sentences arbitrales internationales. « Selon les données figurant dans l’étude réalisée lors des travaux préparatoires de la proposition de loi, cela représente une vingtaine d’affaires en plus chaque année », précise le magistrat. Mais là n’est pas le plus important à ses yeux. « L’octroi de cette compétence nationale officialise l’existence de la chambre commerciale internationale en l’inscrivant dans le code de l’organisation judiciaire, alors qu’auparavant elle n’existait qu’à travers son protocole de procédure. »
Juges spécialisés : « nous sommes en capacité de faire du sur-mesure »
La chambre est composée de trois magistrats spécialisés, une juriste assistante et une greffière, et « il arrive que l’on fasse appel à des juges des autres chambres spécialisées du pôle économique pour s’adjoindre une expertise technique particulière », souligne-t-il : « nous sommes en capacité de faire du sur-mesure ». La chambre accueille par ailleurs nombre d’élèves avocats dans le cadre de leur projet pédagogique individuel. « Cela leur permet de découvrir comment nous travaillons, et c’est aussi une forme d’échange enrichissant pour tous. »
Actuellement, la durée moyenne des procédures devant la chambre est d’un an, tous dossiers confondus – un peu plus en matière d’arbitrage et un peu moins pour les questions de compétence. « Mais ce que souhaitent les parties, ce n’est pas forcément d’obtenir une décision très vite. Elles veulent avant tout savoir quand l’affaire sera jugée, pour provisionner une certaine somme pour leur litige et se préparer au mieux. Il faut parfois disposer de temps pour obtenir l’expertise la plus aboutie dans ces contentieux complexes. C’est pourquoi nous définissons très tôt le calendrier de procédure. »
Les parties n’utilisent pas toutes les possibilités offertes par le protocole de la chambre
Toutes les parties n’adhèrent pas systématiquement au protocole de la chambre et « nous ne savons pas véritablement pour quelles raisons, car les avocats n’expliquent pas toujours le choix de leurs clients ». La possibilité de produire des pièces en anglais, non traduites, est très souvent utilisée et les auditions d’experts et de témoins en anglais sont fréquentes. En revanche, les avocats, y compris anglophones, s’expriment essentiellement en français. Autre possibilité offerte par le protocole et assez peu exploitée : « Les parties demandent peu d’auditions, elles pourraient en demander davantage. Cela tient peut-être au fait que l’on est encore dans une tradition de procédure écrite. » Selon les statistiques de la cour au 31 décembre 2023, 53 % des plaideurs sont d’origine européenne (et issus d’une vingtaine de pays), 19 % sont originaires d’Asie, 18 % d’Afrique et 10 % du continent américain. « L’arbitrage international nous apporte beaucoup de dossiers hors Europe. »
Pari réussi car « la chambre répond aux attentes des acteurs économiques »
La création de protocoles ad hoc et d’une chambre spécialisée en appel devait contribuer à attirer le contentieux international des affaires sur la place de Paris. Dans quelle mesure cet objectif a-t-il été atteint ? « La chambre répond aux attentes des acteurs économiques et, de ce point de vue, on peut dire que le pari a été réussi », répond son président. « L’attractivité de la place de Paris s’appuie sur tout un écosystème, incluant l’arbitrage international, et la chambre a pleinement trouvé sa place dans ce dispositif. La spécialisation des juges existait déjà, mais la création de cette chambre a permis de réunir l’arbitrage international et la matière commerciale internationale dans un cadre procédural adapté. Nos décisions sont souvent commentées, ce qui participe de la visibilité et de la promotion de la chambre, et sa reconnaissance dans la loi cette année a été une consécration importante. Mais le choix d’une place de droit plutôt qu’une autre répond aussi à des considérations d’ordre culturel, et il va de soi que nous n’allons pas aspirer tout le contentieux de places telles que Londres… Il est en tout cas certain que, pour le public qui est le sien, l’offre de la place juridique de Paris est aujourd’hui particulièrement attractive. »