Les conséquences de l’absence de mention de l’administrateur judiciaire dans la publication du jugement d’ouverture

L’avis du jugement d’ouverture inséré au BODACC doit préciser le nom et l’adresse de l’administrateur judiciaire. L’omission de cet élément essentiel constitue une irrégularité privant l’avis de ses effets à l’égard des tiers, quel que soit le droit qu’ils invoquent. En particulier, le délai pour déclarer une créance ne commence pas à courir tant que cet oubli n’a pas été rectifié.

La régularité de la publication des décisions rendues à l’occasion d’une procédure collective est cruciale tant les conséquences de l’ouverture d’une telle procédure sont importantes pour les tiers. Il en va ainsi, en particulier, de la régularité de l’avis du jugement d’ouverture inséré au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales (BODACC).

En l’espèce, une société est placée en sauvegarde avec la désignation d’un mandataire judiciaire et d’un administrateur judiciaire. Le greffier du tribunal a adressé une première demande de publication d’un avis de ce jugement au BODACC, laquelle est intervenue le 5 octobre 2018. Cet avis ne mentionnant ni le nom ni l’adresse de l’administrateur judiciaire, il a été suivi de deux autres publiés les 1er et 6 février 2019, précisant qu’ils annulaient et remplaçaient le premier, le dernier avis mentionnant les coordonnées de l’administrateur judiciaire.

Le 6 décembre 2018, l’URSSAF a déclaré une créance à titre privilégié, qui a été contestée, pour tardiveté, par le mandataire judiciaire. Elle a renouvelé sa déclaration de créance le 14 mars 2019 à la suite de la nouvelle publication du jugement d’ouverture, puis saisi le juge-commissaire d’une demande de relevé de la forclusion.

Par une ordonnance du 22 mars 2019, le juge-commissaire a accueilli la demande de relevé de la forclusion. Statuant sur le recours formé par la société débitrice contre l’ordonnance du 22 mars 2019, le tribunal de la procédure collective a confirmé cette ordonnance. La société débitrice a interjeté appel de cette décision.

Par une décision du 17 octobre 2023, la Cour d’appel de Paris a refusé d’accueillir la demande tendant à voir déclarer inopposable aux tiers l’avis publié au BODACC le 5 octobre 2018. La cour d’appel retient que si cet avis a omis de mentionner les nom et adresse de l’administrateur désigné dans le jugement d’ouverture, il comporte, en revanche, les autres mentions prévues à l’article R. 621-8 du code de commerce, en particulier les coordonnées précises de la société débitrice ainsi que celles du mandataire judiciaire et que, la déclaration de créance s’effectuant non pas entre les mains de l’administrateur mais de celles du mandataire judiciaire, les créanciers disposaient dès cette publication de toutes les informations nécessaires pour déclarer leur créance au passif de la société en sauvegarde.

L’URSSAF forme un pourvoi en cassation contre cette décision.

La Cour de cassation a ainsi été amenée à se demander dans quelle mesure l’omission de la désignation de l’administrateur judiciaire dans l’avis publié au BODACC empêche le délai de déclaration de créance de courir.

Au visa de l’article R. 621-8 du code de commerce, la Cour de cassation censure la cour d’appel pour violation de la loi. Elle juge qu’il résulte de ce texte que l’avis du jugement d’ouverture inséré au BODACC doit préciser le nom et l’adresse non seulement du mandataire judiciaire mais également de l’administrateur judiciaire, s’il en a été désigné un, avec l’indication de ses pouvoirs, et que l’omission de l’un de ces éléments essentiels constitue une irrégularité privant l’avis de ses effets à l’égard des tiers, quel que soit le droit qu’ils invoquent.

En somme, la Cour de cassation rend une décision protectrice pour les tiers et qui amène à s’interroger sur les conséquences d’une irrégularité dans l’avis publié au BODACC.

L’ouverture d’une procédure collective emporte des conséquences importantes pour les tiers avant même la publication de cette décision. Rappelons ainsi que l’article R. 621-4 du code de commerce dispose que le jugement d’ouverture de la procédure prend effet à compter de sa date. Les tiers supportent donc dès cette date les conséquences du dessaisissement éventuel du débiteur dans les actes conclus avec ce dernier après l’ouverture de la procédure, alors même que la décision pouvait encore ne pas être connue.

De plus, l’ouverture d’une procédure collective engendre des obligations spécifiques pour les créanciers ou les propriétaires de biens détenus par le débiteur. Les premiers perdent leur droit de poursuite individuelle en paiement contre le débiteur et doivent déclarer leur créance dans le délai de deux mois qui suit la publication du jugement d’ouverture (C. com., art. L. 622-24 et R. 622-24). Les seconds doivent revendiquer dans le délai de trois mois la propriété de leur bien (C. com., art. L. 624-9). Dans ces hypothèses, les délais ne commencent à courir qu’à compter de la publication du jugement au BODACC.

Partant, il est essentiel de savoir à quelles conditions cette publication du jugement d’ouverture leur est opposable. En particulier, il s’agit de déterminer quelle sanction s’applique en cas d’omission ou d’erreur dans l’avis publié.

La question a déjà été posée à la Cour de cassation. Elle a ainsi pu juger qu’une erreur sur la date du jugement d’ouverture, ne serait-ce que d’une journée, est une irrégularité concernant un élément essentiel de la publication. Par conséquent, que cette erreur ait causé un grief ou non au créancier déclarant, l’insertion litigieuse ne peut, en raison du vice dont elle est atteinte et dont l’existence doit s’apprécier objectivement, faire courir le délai de déclaration des créances applicable à tous les créanciers du débiteur soumis à la procédure collective (Com. 12 avr. 2005, n° 03-20.691, D. 2005. 1227, obs. A. Lienhard  ; RTD com. 2005. 601, obs. A. Martin-Serf ).

Au contraire, lorsque l’erreur n’est pas essentielle, elle juge que l’insertion de l’avis au BODACC ne doit pas être annulée. Il en va ainsi lorsque les mentions de l’avis publié au BODACC permettaient l’identification de la SCI malgré l’absence d’indication du numéro d’immatriculation. Dans ce cas, le délai pour déclarer la créance avait commencé à courir au jour de la publication (Com. 5 févr. 2002, n° 99-10.427).

De même, elle a pu juger que lorsque l’avis mentionne une « liquidation judiciaire » au lieu d’un « redressement judiciaire », l’erreur ne porte pas un élément essentiel d’identification. Par conséquent, le délai commence à courir dès la publication du jugement (Com. 9 nov. 2004, n° 02-13.015).

Comment s’inscrit alors la décision rapportée dans cet état de la jurisprudence ? La Cour de cassation juge que la mention du nom et de l’adresse de l’administrateur judiciaire, ainsi que l’indication de ses pouvoirs, constituent des éléments essentiels du jugement. Il est certain que l’identification de l’administrateur judiciaire dans le jugement d’ouverture est essentielle pour la conduite des opérations. Son omission justifiait-elle pour autant d’empêcher le délai de déclaration des créances de courir ?

Ce n’était pas l’avis de la cour d’appel qui soulignait le fait que le défaut de ces mentions était sans conséquence sur la déclaration de créance. Les juges du fond ont ainsi rappelé la position constante de la Cour de cassation selon laquelle l’erreur ou l’omission devait s’apprécier de façon objective, sans qu’il soit nécessaire de caractériser un grief. En jugeant que le défaut d’indication des coordonnées de l’administrateur est sans incidence sur l’identification du débiteur et du mandataire judiciaire chargé de recevoir les déclarations de créance, la cour d’appel souligne que tout créancier pouvait objectivement, au vu de l’avis publié le 5 octobre 2018, procéder à sa déclaration de créance. Dans une certaine mesure, il n’était pas nécessaire de s’interroger sur l’éventuel grief causé à un créancier en particulier puisque, selon le raisonnement de la cour d’appel, aucun créancier ne pouvait être lésé du fait de l’absence de mention de l’administrateur.

Au contraire, en censurant cette décision, la Cour de cassation juge en somme que l’absence de mention de la désignation de l’administrateur est d’une telle gravité que cela équivaut en quelque sorte à une absence de publication du jugement.

L’examen des décisions précitées relatives aux conséquences des irrégularités de l’avis de publication sur la déclaration de créance montre que, si la Cour de cassation n’appliquait pas l’exigence d’un grief au sens de l’article 114 du code de procédure civile, elle vérifiait néanmoins si l’irrégularité dans l’avis pouvait avoir, en soi, des conséquences ou non pour les créanciers.

Par la présente décision, elle semble s’éloigner de cette approche. En effet, comme le soulignait la cour d’appel, l’absence de mention de l’administrateur n’avait aucune conséquence sur la procédure de déclaration de créance. La situation aurait été singulièrement différente s’agissant par exemple de la revendication d’un bien qui doit être adressée à l’administrateur judiciaire (C. com., art. R. 624-13). L’absence de mention de ce dernier dans la publication justifie assurément de retenir que le délai de trois mois n’a pas commencé à courir.

En définitive, il est possible de trouver la présente solution un peu rigide en ce qu’elle sanctionne une omission sans conséquence sur la déclaration de créance. Toutefois, elle présente le mérite d’inciter le greffe à s’acquitter scrupuleusement de sa mission.

 

Com. 2 juill. 2025, F-B, n° 24-11.217

par David Lemberg-Guez, Maître de conférences à l’Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis

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