Les contours de la suspension médicale de peine façonnés par la jurisprudence
Le bénéfice de la suspension médicale de peine est réservé au condamné dont le pronostic vital est engagé à court terme. La juridiction de l’application des peines doit tout de même vérifier que le maintien en détention ne constitue pas un traitement inhumain ou dégradant.
Un individu purgeant une peine de dix-huit ans de réclusion criminelle développe des lésions tumorales multiples. Sa demande de suspension de peine pour raison médicale est rejetée par le tribunal de l’application des peines. Pour confirmer ce rejet, la chambre de l’application des peines constate que le pronostic vital de l’intéressé n’est pas engagé à court terme et s’estime incompétente pour examiner la compatibilité de son maintien en détention avec l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Il appartenait donc en premier lieu à la chambre criminelle de la Cour de cassation de déterminer si le pronostic vital d’un condamné devait nécessairement être engagé à court terme pour que celui-ci puisse bénéficier d’une suspension médicale de peine. Elle devait en second lieu indiquer si, à l’occasion de l’examen d’une demande de suspension de peine pour raison médicale, il incombait au juge de l’application des peines de vérifier que le maintien en détention respecte la dignité de la personne et ne constitue pas un traitement inhumain ou dégradant. À ces deux interrogations, il a été répondu favorablement.
L’engagement du pronostic vital à court terme, condition de la suspension médicale de peine
La Cour de cassation a toujours fait montre d’une exigence particulière en matière de suspension de peine pour raison médicale. Dans l’arrêt commenté, elle rappelle que « si l’article 720-1-1 du code de procédure pénale dispose que la suspension de peine peut être ordonnée pour les condamnés dont il est établi qu’ils sont atteints d’une pathologie engageant le pronostic vital ou que leur état de santé physique ou mentale est durablement incompatible avec le maintien en détention, la Cour de cassation a interprété ce texte en ce sens qu’il n’est applicable qu’aux condamnés dont le pronostic vital est engagé à court terme » (pt 10). Ainsi, il ne suffit pas que le pronostic vital du condamné soit engagé, encore faut-il qu’il soit engagé à court terme (v. dans le même sens, Crim. 28 sept. 2005, n° 05-81.010 P ; AJ pénal 2005. 461, obs. M. Herzog-Evans
; RSC 2006. 423, obs. P. Poncela
; Dr. pénal 2005. Comm. 183, obs. A. Maron).
Bien que l’article 720-1-1 ne fixe aucune échéance, l’exigence d’un pronostic vital engagé à court terme serait, selon la chambre criminelle, conforme à la volonté du législateur. La loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé ayant eu pour but de « permettre une suspension de peine à l’égard des personnes détenues en fin de vie dont l’état de santé appelle des soins qu’ils ne peuvent recevoir en prison », le pronostic vital doit être « connu de manière suffisamment certaine » (pt 11). À l’étude des débats qui ont précédé sa création, il apparaît effectivement que la suspension médicale de peine était destinée à offrir aux détenus mourants le droit de ne pas avoir à vivre leurs derniers instants en détention (Avis n° 175 [2001-2002] de M. Pierre Fauchon, fait au nom de la commission des lois, déposé le 16 janv. 2002).
L’exigence d’un pronostic vital engagé à court terme semble toutefois être le fruit d’une assimilation entre proximité et probabilité du décès. En effet, d’après le guide méthodologique relatif aux aménagements de peine et à la mise en liberté pour raison médicale, « le "court-terme" peut s’apprécier par la forte probabilité de la mort du fait de la pathologie dans un délai de quelques semaines, voire quelques mois » (Ministère de la Justice, Ministère des Solidarités et de la santé, Guide méthodologique relatif aux aménagements de peine et à la mise en liberté pour raison médicale, 2018, p. 20). Or, s’il est permis de comprendre qu’en cas d’engagement du pronostic vital à court terme, le décès paraisse irrémédiable, il existe en réalité une probabilité de décès dès lors que le pronostic vital se trouve engagé.
Parce qu’elle ne constitue qu’un pronostic, la détermination de l’échéance du décès est rebelle à toute certitude. Preuve en est qu’en l’espèce, deux expertises avaient été diligentées, l’une ayant conclu à l’existence d’un engagement du pronostic vital à court terme et l’autre ayant estimé que le pronostic vital n’était engagé qu’à moyen terme. Pourtant, l’exigence de deux expertises médicales concordantes a bel et bien été supprimée, au profit d’une seule et unique expertise, par la loi n° 2014-896 du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales. Sans s’en expliquer, les juges du fond ont néanmoins pris en compte les conclusions de la seconde expertise pour rejeter la demande de suspension médicale de peine et il est fréquent que seule l’expertise défavorable au condamné soit retenue en la matière (Crim. 23 juin 2004, n° 04-80.439 P, D. 2004. 2196, et les obs.
; AJ pénal 2004. 373, obs. M. Herzog-Evans
; RSC 2006. 423, obs. P. Poncela
; Dr. pénal 2004. Comm. 153, obs. A. Maron).
Il n’est pas précisé si les experts ont été interrogés sur l’incompatibilité de l’état de santé du condamné avec son maintien en détention, second cas d’ouverture à la suspension médicale de peine prévu par l’article 720-1-1 du code de procédure pénale. C’est qu’en effet, dans ce cas, le pronostic vital ne doit en principe aucunement être engagé, sauf à conditionner le bénéficie d’une suspension de peine pour raison médicale, par une interprétation contra legem, au constat cumulatif de l’engagement du pronostic vital et de l’incompatibilité avec le maintien en détention. Le débat s’est cependant déplacé autour de la question de savoir si le maintien en détention de l’intéressé ne risquait pas de constituer un traitement inhumain ou dégradant.
L’examen de la compatibilité du maintien en détention avec la dignité, partie intégrante de l’office du juge de l’application des peines
La chambre criminelle reproche aux juges du fond d’avoir exclu de leur compétence l’examen de la compatibilité du maintien en détention avec la dignité du condamné et, partant, d’une éventuelle méconnaissance de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. Elle réfute l’argument selon lequel un tel examen serait réservé au cadre du recours contre les conditions indignes de détention prévu par l’article 803-8 du code de procédure pénale (pt 15). À la différence de la suspension médicale de peine, le recours contre les conditions indignes de détention est susceptible de bénéficier à l’ensemble des condamnés, qu’importe leur état de santé ; alors que la première peut être fondée sur l’existence d’une pathologie engageant le pronostic vital (à court terme, comme l’exige la jurisprudence) ou sur l’incompatibilité de la détention avec l’état de santé physique ou mentale du condamné, le second concerne l’indignité de ses conditions de détention.
L’obligation mise à la charge du juge de l’application des peines est bienvenue tant la « dépossession du corps » (J.-M. Delarue, La prison, Dalloz, coll. « À savoir », 2023, p. 146) qu’engendre l’incarcération s’articule difficilement avec la dignité de la personne, a fortiori lorsque cette dernière est malade. Elle tient compte du fait que l’absence d’engagement du pronostic vital à court terme et l’absence d’incompatibilité de l’état de santé avec le maintien en détention ne sont pas exclusives de toute atteinte à la dignité du condamné. Cette obligation constitue une nouvelle illustration du rôle de l’autorité judiciaire en matière de préservation des droits fondamentaux et du contrôle de conventionnalité que celui-ci implique. Ici, c’est la chambre criminelle de la Cour de cassation qui s’est livrée à ce contrôle, que l’on pourra toutefois qualifier de minimal, en constatant qu’aucune atteinte à la dignité n’était à déplorer puisque le condamné bénéficiait d’« une prise en charge hospitalière appropriée » (pt 16).
Crim. 22 janv. 2025, F-B, n° 23-86.433
© Lefebvre Dalloz