Les contours du délit d’entrave à l’exercice des fonctions du commissaire aux comptes

Dans un arrêt du 28 février dernier, la chambre criminelle est venue préciser les contours du délit d’entrave à l’exercice des fonctions du commissaire aux comptes en retenant que le simple refus de fournir sur place les pièces nécessaires à l’exercice de ses missions suffit pour caractériser l’infraction. Pour la Cour de cassation, il n’est pas besoin de caractériser, en outre, une volonté du gérant d’entraver la mission de ce dernier.

La communication des pièces nécessaires à l’exercice du commissaire aux comptes le lendemain de la mission sur place

En l’espèce, le commissaire aux comptes d’une société avait dénoncé des anomalies dans la gestion de cette société auprès du parquet. Une enquête était ouverte à l’issue de laquelle le dirigeant de l’entreprise était poursuivi devant le tribunal correctionnel des chefs d’abus de biens sociaux « pour avoir fait consentir, pour des raisons amicales, à la société […], un prêt au profit d’une autre société et pour avoir refusé de communiquer des pièces au commissaire aux comptes dans le cadre de l’exercice de sa mission. » L’intéressé était poursuivi des chefs d’autres infractions et notamment pour escroquerie. D’autres personnes ont également été poursuivies dans ce dossier des chefs d’abus de biens sociaux et de recel d’abus de confiance.

Pour rappel, le délit d’entrave à l’exercice des fonctions du commissaire aux comptes est prévu à l’article L. 820-4, 2°, du code de commerce, lequel réprime le fait pour les dirigeants d’une personne morale ou toute personne au service d’une personne morale tenue d’avoir un commissaire aux comptes, de refuser de lui communiquer sur place toutes les pièces utiles à l’exercice de sa mission.

Dans cette affaire, les prévenus étaient condamnés par la juridiction pour ces infractions. Un appel était par la suite interjeté par les intéressés qui confirmait la décision de première instance. Non satisfait de cette décision, un pourvoi était alors formé devant la chambre criminelle par le dirigeant de l’entreprise.

Devant la chambre criminelle, le requérant fustigeait l’arrêt d’appel d’avoir caractérisé cette infraction dans la mesure où l’entrave à l’exercice des fonctions de commissaire aux comptes suppose la conscience et la volonté d’entraver l’exécution de la mission du commissaire aux comptes, ce qui n’était pas le cas en l’espèce. En effet, parmi les moyens relevés, le requérant critiquait l’arrêt de l’avoir reconnu coupable aux motifs que l’infraction d’entrave à l’exercice des fonctions de commissaire aux comptes était constituée « quand bien même [le prévenu] aurait-il transmis les pièces sollicitées concernant [la société] postérieurement au 14 février 2019 ». Sur ce point, il résultait des faits d’espèce que dès le lendemain de la visite du commissaire aux comptes, soit le 15 février 2019, la société [X] avait transmis l’ensemble des documents demandés. Pour le requérant, cette transmission le lendemain de la visite permettait d’écarter toute volonté d’entraver la mission du commissaire aux comptes. Aussi, en rentrant en voie de condamnation, la cour d’appel aurait violé les dispositions de l’article L. 820-4, 2°, du code de commerce.

La caractérisation de la volonté d’entraver les missions du commissaire aux comptes

Dans le cadre de son arrêt, la chambre criminelle se livrait au contrôle de la caractérisation par les juges du fond de la « volonté d’entraver ». À ce titre, l’arrêt relevait que les juges du fond avaient caractérisé le fait que : « le commissaire aux comptes s’était présenté dans les locaux de la société [X], après avoir pris rendez-vous avec la comptable de cette société, que la comptable était absente et que le personnel sur place a refusé de communiquer au commissaire aux comptes les pièces demandées ». Enfin, ils relevaient que la comptable avait déclaré que [le requérant] lui avait interdit de rencontrer le commissaire aux comptes et lui avait dit de s’absenter, ce que le prévenu avait reconnu.

Écartant les explications formulées par le prévenu et notamment le fait qu’il souhaitait être l’interlocuteur privilégié et qu’il ne pouvait pas être présent le jour de la visite en raison d’un arrêt maladie, les juges du fond relevaient que l’intéressé avait donné des instructions afin que les pièces demandées ne soient pas remises et s’était donc rendu coupable de l’infraction, et ce peu importe la remise intervenue le lendemain desdites pièces.

Une telle lecture était partagée par la chambre criminelle, laquelle écartait le moyen. Elle relevait ainsi : « il résulte que la cour d’appel a établi le refus volontaire du prévenu de communiquer au commissaire aux comptes sur place des pièces utiles à l’exercice de sa mission, et dès lors que la communication de ces pièces le lendemain de la visite du commissaire aux comptes ne présente pas les mêmes garanties que leur remise immédiate, la cour d’appel, qui n’avait pas à caractériser en outre une volonté du prévenu d’entraver la mission du commissaire aux comptes, a fait l’exacte application des textes visés au moyen. »

Ce faisant la chambre criminelle se livrait à une interprétation stricte des exigences prévues par l’article L. 820-4, 2°, du code de commerce en donnant toute sa portée à la nécessité que la remise soit faite sur place afin d’assortir cette communication de garanties plus solides. Cette décision vient ainsi utilement éclairer les praticiens sur une infraction peu usitée en pratique et dont les contours ont rarement fait l’objet de décisions remarquées par la chambre criminelle. 

 

Crim. 28 févr. 2024, F-B, n° 23-81.826

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