Les dispositions d’aménagement commercial de la loi Industrie verte

Plusieurs dispositions de la loi Industrie verte publiée au Journal officiel du 24 octobre 2023 intéressent, directement ou de façon incidente, l’aménagement commercial. Elles offrent ainsi un cadre juridique favorable à la mise en œuvre du programme gouvernemental « Un nouvel horizon pour les zones commerciales » lancé le 11 septembre 2023.

Procédure accélérée et absence de saisine a priori du Conseil constitutionnel ont caractérisé l’adoption du projet de loi Industrie verte. Publié au Journal officiel du 24 octobre 2023, ce projet est présenté par ses promoteurs comme un texte pivot au service de la reconquête industrielle du pays, à l’instar de ce que fut le très protectionniste Inflation Reduction Act américain d’août 2022. La loi est a priori toute entière consacrée au secteur de production dit « secondaire » et à la réduction de l’empreinte carbone liée à son implantation, comme nous l’indique son oxymorique intitulé. Une lecture attentive des quarante articles – essentiellement débattus sous l’angle de la libération du foncier nécessaire aux implantations industrielles à l’heure des contraintes de la politique du « zéro artificialisation nette » – révèle néanmoins quelques dispositions qui, sans forcément être des cavaliers législatifs, sont néanmoins un peu hors champ.

Des dispositions intéressant au premier chef l’aménagement commercial se sont ainsi glissées subrepticement au sein du premier titre de la loi, consacré aux « mesures destinées à accélérer les implantations industrielles et à réhabiliter les friches » et en particulier des zones commerciales obsolescentes installées en périphérie des villes. Cela étant, la présence de ces articles légèrement hors sujet n’est pas complètement absurde, quand on sait le proche degré de parenté entre les procédures d’implantation ou de réhabilitation industrielles et celles mobilisées pour les grands projets d’urbanisme commercial. Lesdites mesures, souvent laborieusement rattachées à l’industrie, sont principalement situées aux articles 13 et 22, respectivement relatifs aux friches et au nouveau cadre juridique et opérationnel des projets de redynamisation des zones d’activités économiques (ZAE).

En modifiant ainsi à la marge les codes de commerce et de l’urbanisme, la loi Industrie verte poursuit un double objectif : d’une part, celui de réduire les délais de réalisation de projets de remembrement commercial de grande ampleur – ce qui permet d’implanter de nouvelles activités (industrielles, donc) sur des terrains déjà artificialisés ; d’autre part, celui de faciliter les regroupements au sein des corridors commerciaux d’entrées de ville ou des grandes zones commerciales périphériques, dans le but d’y introduire une mixité fonctionnelle.

L’argument économique n’est jamais très éloigné de l’argument environnemental …

La lutte contre les friches inscrites dans les SCoT

Les friches, ces « traces du passé » dont on peine aussi bien à trouver une définition consensuelle qu’un recensement national exhaustif, sont un vivier important de foncier artificialisé potentiellement disponible. Le rapport de la mission parlementaire sur la revalorisation des friches industrielles, commerciales et administratives (n° 3811, 27 janv. 2021) rappelle à ce titre qu’elles sont « source d’opportunités et d’intérêts divers (…) économiques, sociaux ou encore environnementaux » notamment pour « la lutte contre l’artificialisation des sols, la réindustrialisation du pays ou encore le développement de l’économie circulaire » (p. 7). L’article 13 de la loi Industrie verte inscrit donc la lutte contre les friches au sein des différents volets du schéma de cohérence territoriale (SCoT).

De façon générale, le projet d’aménagement stratégique (PAS) du SCoT, qui définit « objectifs de développement et d’aménagement du territoire à un horizon de vingt ans sur la base d’une synthèse du diagnostic territorial et des enjeux qui s’en dégagent » doit désormais favoriser « une gestion économe de l’espace limitant l’artificialisation des sols, notamment en tenant compte de l’existence de friches » (C. urb., art. L. 141-3).

De façon plus spécifique, la loi Industrie verte ajoute un nouvel objectif au document d’aménagement artisanal, commercial et logistique (DAACL) du document d’orientation et d’objectifs (DOO). L’article L. 141-6 du code de l’urbanisme dispose désormais, en son deuxième alinéa, que « les conditions d’implantation du grand commerce privilégient la consommation économe de l’espace, notamment en entrée de ville, par (…) l’utilisation prioritaire des surfaces vacantes et des friches ».

Cette nouvelle disposition appelle plusieurs remarques.

D’une part, telle que rédigée elle semble redondante si l’on se réfère à la définition de la friche inscrite à l’article L. 111-26 du même code (« tout bien ou droit immobilier, bâti ou non bâti, inutilisé et dont l’état, la configuration ou l’occupation totale ou partielle ne permet pas un réemploi sans un aménagement ou des travaux préalables »). Car au fond, qu’est-ce qu’une friche, sinon une surface vacante (remplissant certains autres critères) ?

D’autre part, on comprend que ces nouvelles dispositions s’appliqueront également aux orientations d’aménagement et de programmation (OAP) d’un plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi) en application sur un territoire non couvert par un SCoT, en vertu du renvoi à l’article L. 141-6 opéré par l’article L. 151-6 du code de l’urbanisme.

Cette mesure risque alors de rester lettre morte pour le moment, au vu du faible nombre de DAACL en vigueur sur le territoire, lequel territoire n’est a fortiori pas entièrement couvert par des SCoT (ni même par des PLUi). Rappelons que dans sa dernière version (incluant le L de « logistique »), ce document date de 2021 (Loi Climat et résilience du 22 août 2021) et que son élaboration demande une ingénierie particulière dont ne disposent pas toutes les intercommunalités, tant s’en faut. Du reste, si les friches commerciales peuvent paraitre facilement mobilisables en raison d’une absence a priori de pollution des sols – quoiqu’il puisse paraitre surprenant, voire contradictoire, de vouloir absolument conserver une vocation commerciale là où elle semble avoir visiblement échoué – ce n’est pas le cas des friches industrielles, lesquelles devront souvent subir une dépollution longue et dispendieuse – l’étude d’impact du projet de loi Industrie verte juge d’ailleurs bon de nous le rappeler (EI, 15 mai 2023, p. 25) – et la mise en place d’un dispositif incitatif, celui du tiers demandeur (créé par la loi ALUR, n° 2014-366 du 24 mars 2014 et amendé par la présente loi), n’y change finalement pas grand chose.

L’urbanisme partenarial pour introduire de la mixité au sein des ZAE

La loi Industrie verte offre, dans son article 22, un nouveau souffle à la grande opération d’urbanisme (GOU). Cet instrument partenarial, créé par la loi ELAN du 23 novembre 2018 et codifié aux articles L. 312-3 et suivants du code de l’urbanisme, a été choisi (par préférence à d’autres) pour être le véhicule juridique privilégié de la réhabilitation des grandes zones commerciales périphériques. Concrètement, il s’agit du volet opérationnel d’un autre instrument contractuel, porté sur les mêmes fronts baptismaux : le projet partenarial d’aménagement (PPA). Ce dispositif bicéphale singulier, fonctionnant par subsumption, a remplacé l’ancienne procédure de projet d’intérêt majeur (PIM), complexe à l’envi et jamais mise en œuvre. Il permet à l’État d’apporter un soutien financier à des projets « complexes ou d’une certaine ampleur », initiés par des collectivités en matière d’aménagement opérationnel (exposé des motifs de la loi ELAN).

Le choix de la GOU témoigne de la volonté des pouvoirs publics de privilégier un urbanisme partenarial pour la requalification des zones d’aménagement commercial. Cela pose cependant question car cet outil, encore dans sa première jeunesse, n’a été que très peu mis en œuvre (on recense seulement deux GOU au début de l’année 2023, à Marseille et Charenton-le-Pont) ; nous ne disposons donc que d’un faible recul sur ses éventuels écueils. Il avait été du reste accueilli avec un enthousiasme modéré, tant par la pratique que par la doctrine (v. par ex., Loi ELAN. Ce qui change pour le logement et la construction, 1re éd., Dalloz Décryptage, 2019) en raison de la présence de points aveugles dans la législation. Les pistes d’amélioration proposées au sein du rapport d’évaluation de la loi ELAN (rapp. n° 5121, 23 févr. 2022, p. 20 s.) ont conduit les rédacteurs de la loi Industrie verte à amender quelque peu le dispositif originel.

Dans la réglementation d’origine, l’intercommunalité chargée du projet s’était vu transférer, à titre dérogatoire, « les compétences pertinentes, notamment la délivrance des autorisations d’urbanisme » afin « d’améliorer et fluidifier le pilotage des projets et la coordination des acteurs ». La loi nouvelle revient sur ce dispositif, vivement critiqué par les élus, en permettant aux maires qui le souhaitent de récupérer cette compétence (C. urb., art. L. 312-5-1 et art. L. 312-7, 2°). En outre, il est désormais possible de déroger aux règles du plan local d’urbanisme (PLU) dans les périmètres des GOU « pour contribuer au développement ou à la revitalisation du territoire et pour faciliter le renouvellement urbain et la maîtrise de l’étalement urbain » (C. urb., art. L. 152-6-4, al. 1er). Enfin, le droit de préemption des communes sur les fonds artisanaux, les fonds de commerce, les baux commerciaux et les terrains faisant l’objet de projets d’aménagement commercial peut être instauré, par délibération motivée, à l’intérieur du périmètre de la GOU afin de favoriser la mixité fonctionnelle (C. urb., art. L. 214-2-1).

Il faut néanmoins émettre quelques réserves sur les chances de succès de la finalité opérationnelle du dispositif – l’instauration d’une mixité fonctionnelle réelle au sein des ZAE – laquelle est soumise à de très fortes vicissitudes. Par hypothèse, la mixité suppose une « acceptabilité sociale des contraintes qu’elle est susceptible d’engendrer pour les riverains » (CCI de Paris IDF, Construction et urbanisme : quelle stratégie pour les villes de demain ?, 16 juill. 2020). Or, si de prime abord la réforme opérée par l’article 22 de la loi Industrie verte est parfaitement légitime dans son esprit (elle permet, dans le même temps, de lutter contre l’étalement urbain et de réindustrialiser le pays), force est de constater qu’elle risque, dans les faits, de se voir opposer certaines dispositions du droit de l’urbanisme (notamment celle d’ordre public de l’art. R. 111-2, relatif à la sécurité) en raison de l’incompatibilité de certaines fonctions urbaines entre elles : une activité industrielle qui engendre des pollutions sonore, visuelle et olfactive sera, en principe, incompatible avec la proximité immédiate de maisons d’habitation. Rappelons au reste que cette même logique était à l’oeuvre concernant la régulation des très controversés dark stores dans les quartiers huppés de la capitale française, avec l’issue que l’on connait (CE 23 mars 2023, n° 468360, Dalloz actualité, 11 avr. 2023, obs. V. Le Grand ; Lebon  ; AJDA 2023. 588  ; D. 2023. 645, et les obs.  ; RDI 2023. 309, obs. P. Soler-Couteaux  ; ibid. 312, obs. P. Soler-Couteaux  ; AJCT 2023. 390, obs. S. Avallone  ; JT 2023, n° 263, p. 6, obs. X. Delpech ) : tandis qu’ils étaient présentés comme réglant certains problèmes logistiques en milieu urbain, ils étaient dans le même temps accusés de causer de nombreuses nuisances et de porter atteinte à la tranquillité publique. La question sous-jacente était donc celle de la répartition entre les fonctions urbaines concernées – en l’occurrence logistique, logement et commerce.

La disparition apparente d’obstacles administratifs à la libération rapide de foncier commercial

L’article 22 de la loi Industrie verte ajoute un substantifique alinéa V à l’article L. 752-2 du code de commerce, relatif aux dérogations au principe de l’autorisation d’exploitation commerciale (AEC) – l’une des rares dispositions d’aménagement commercial à avoir été réellement débattue par les parlementaires et examinée par le Conseil d’État dans son avis sur le projet de loi (CE, avis, 11 mai 2023, n° 407035). Rappelons que le code de commerce assujettit en principe à AEC tout transfert d’activité commerciale au sein des ZAE, ce qui, de l’aveu du Conseil d’État, « constitue un obstacle important ». Désormais, les regroupements de surfaces de vente de magasins situés dans le périmètre d’une GOU relative à la « transformation d’une ZAE afin d’en favoriser la mixité fonctionnelle au profit d’implantations, notamment industrielles » (l’adverbe est important) sont exclus du champ de l’AEC.

Cette exemption, applicable dès la publication de l’acte décidant de la qualification de GOU, ne peut jouer que si les regroupements satisfont à trois conditions cumulatives : contribuer à la réalisation des objectifs de l’opération, sans créer de surfaces de vente supplémentaires ni engendrer d’artificialisation.

Sur le même modèle, est instituée une expérimentation de trois ans applicable en dehors des GOU : l’article 22 prévoit que « les regroupements de surfaces de vente de magasins à l’intérieur d’une même ZAE ou entre différentes ZAE situées dans le périmètre d’un même EPCI, en vue de favoriser la mixité fonctionnelle d’une ou de plusieurs de ces ZAE, au profit d’implantations industrielles, ne sont pas soumis à une AEC lorsqu’ils remplissent les conditions cumulatives mentionnées aux 1° à 3° du V de l’article L. 752-2 du code de commerce ».

Ces mécanismes dérogatoires permettraient alors, à en croire l’étude d’impact de la loi Industrie verte, de libérer un foncier devenu rare depuis les obstacles à la construction institués par la politique de ZAN ; ils seraient toutefois conformes au droit de l’Union – et en particulier à la directive Services de 2006, qui avait tant posé de problèmes au législateur français au moment de la réforme de la loi Royer de 1973. Du reste, ils ne sont pas sans faire écho à la dérogation de l’article L. 752-1-1 du code de commerce, qui institue dans des conditions similaires une exemption d’AEC pour les commerces dont l’implantation est prévue dans un secteur d’intervention d’une ORT sans engendrer d’artificialisation des sols (sous condition de surface).

Une complémentarité logique avec les expérimentations et programmes en cours

Le législateur a souhaité articuler les nouvelles dispositions avec les expérimentations en cours. Tel est le cas, par exemple, de l’article 88, II, de la loi LCAP du 7 juillet 2016 instaurant à titre expérimental le permis d’innover. Son champ d’application initialement restreint aux seules opérations d’intérêt national (OIN) avait été élargi par la loi ELAN aux GOU, aux ORT et au village olympique Paris 2024 ; la loi Industrie verte prolonge l’expérimentation de cinq années. Pensée dans le but « d’inventer collectivement les villes de demain », la mise en œuvre de ce permis restait relativement restreinte en raison du faible nombre de GOU.

Le législateur a également prévu d’aligner certains aspects du régime des projets de réaménagement commerciaux opérés par une GOU avec le régime des ORT (conçues pour renforcer l’attrait commercial des centres des villes moyennes). Cela concerne essentiellement les dérogations à l’AEC : l’article 97 de la loi 3DS du 21 février 2022, qui expérimente pour six années l’absence d’AEC dans certaines communes couvertes par une ORT, est modifié pour accueillir au sein de l’expérimentation « les territoires (…) ayant qualifié de grande opération d’urbanisme prévue à l’article L. 312-3 du code de l’urbanisme une opération d’aménagement portant en tout ou partie sur la transformation d’une zone d’activité économique, au sens de l’article L. 318-8-1 du même code ». Enfin, le nouvel article L. 2243-1-1 du code général des collectivités territoriales dispose désormais que la procédure d’abandon manifeste prévue aux articles L. 2243-2 à L. 2243-4, applicable en périmètre ORT, le sera également dans celui d’une GOU.

Un cadre juridique idoine pour la nouvelle expérimentation du gouvernement

Le 11 septembre 2023, un an après la création d’un groupe pluridisciplinaire de travail sur « l’identification des obstacles » juridico-techniques à la transformation des corridors commerciaux périphériques, le gouvernement a détaillé son programme pour la conversion durable des zones commerciales obsolescentes. On peut lire, dans le dossier de presse qui accompagne la présentation, que la première mesure nécessaire pour mener à bien le chantier de la réfection des entrées de ville réside dans la présence d’un « paquet normatif dans le projet de loi Industrie verte ». Aucun hasard de calendrier a priori : les dispositions d’aménagement commercial de la loi Industrie verte offriront le cadre juridique renouvelé destiné à « faciliter, accélérer et sécuriser la transformation des zones commerciales ». 

 

© Lefebvre Dalloz