Les droits au respect de la vie privée et familiale et à l’exécution d’une décision de justice dans le viseur du Défenseur des droits
Du fait de l’inexécution d’autorisations de sortie sous escorte de deux personnes détenues aux fins de se rendre aux obsèques d’un membre de leur famille, le Défenseur des droits formule plusieurs recommandations.
 
                            Il résulte de l’article 71-1 de la Constitution française que le « Défenseur des droits veille au respect des droits et libertés par les administrations de l’État, les collectivités territoriales, les établissements publics, ainsi que par tout organisme investi d’une mission de service public, ou à l’égard duquel la loi organique lui attribue des compétences ». Il consiste ainsi en une autorité administrative indépendante à dimension constitutionnelle chargée de la protection non juridictionnelle des droits et libertés des personnes physiques ou morales en France et de la promotion de l’égalité.
La décision commentée trouve son origine dans une saisine du Défenseur des droits par deux personnes détenues exécutant une peine privative de liberté n’ayant pas pu assister aux obsèques de leurs père et beau-père et estimant que l’administration pénitentiaire a porté atteinte à leurs droits au respect de leur vie privée et familiale et à l’exécution d’une décision de justice.
Le contexte
Le profil pénitentiaire du premier détenu avait nécessité la mise en place, par l’administration pénitentiaire, de surveillances renforcées et adoptées et commandait notamment la présence d’un gradé et de deux agents lors de l’ouverture de sa cellule et une gestion menottée de ses mouvements avec port d’un gilet pare-lame par les agents. À la suite du décès de son beau-père, l’intéressé a saisi le juge chargé de l’application des peines d’une demande d’autorisation de sortie sous escorte aux fins d’être autorisé à se rendre aux obsèques. Le caractère légitime et le bien-fondé de la demande ont justifié une ordonnance d’autorisation de sortie sous escorte et d’une réquisition d’extraction et de conduite. En l’absence d’appel du parquet, l’ordonnance est devenue définitive. L’administration pénitentiaire a indiqué au Défenseur des droits que l’ordonnance a été communiquée la veille des funérailles et que l’autorité de régulation et de programme des extractions judiciaires (ARPEJ) a été sollicitée l’après-midi même, laquelle a indiqué qu’en raison des délais restreints d’organisation, des huit heures de transport nécessaires pour se rendre sur les lieux et des contraintes sécuritaires, l’escorte était impossible, ce d’autant plus que dix réquisitions dont six présentant un enjeu procédural majeur impliquaient la mobilisation de l’ensemble des effectifs.
Les funérailles du père du second détenu avaient justifié, en raison des motifs graves et des circonstances exceptionnelles liées au décès, une autorisation de sortie sous escorte.
L’ordonnance a été communiquée la veille des obsèques à 17h29. Le chef d’établissement avait immédiatement saisi l’ARPEJ qui avait indiqué ne pas être en mesure d’effectuer l’escorte en ce que les équipes étaient mobilisées sur quatre mandats d’amener ce jour.
Il importe à titre liminaire de rappeler que l’incarcération ne peut engendrer une suppression pure et simple des droits et libertés fondamentaux (hormis la liberté d’aller et de venir) dès lors que la personne détenue prétend au respect de sa dignité (A. Jennequin, La dignité de la personne détenue, RFDA 2015. 1082  ). La présente décision vise spécifiquement le droit au respect de la vie privée et familiale et le droit à l’exécution d’une décision de justice.
). La présente décision vise spécifiquement le droit au respect de la vie privée et familiale et le droit à l’exécution d’une décision de justice.
Le droit au respect de la vie privée et familiale des personnes détenues
Les implications du respect du droit à la vie privée et familiale en détention
Le droit au respect de la vie privée et familiale des personnes détenues a été posé pour la première fois dans un arrêt Messina c/ Italie (CEDH 28 sept. 2000, n° 25498/94, RFDA 2001. 1250, chron. H. Labayle et F. Sudre  ; RSC 2001. 881, obs. F. Tulkens
 ; RSC 2001. 881, obs. F. Tulkens  ). Les juges de la Cour européenne des droits de l’homme ont interprété la Convention européenne comme consacrant des obligations positives et négatives à la charge des autorités. Par les obligations négatives, les États parties doivent s’abstenir de s’ingérer dans l’exercice des droits. Les obligations positives tendent à l’adoption des « mesures nécessaires à la sauvegarde d’un droit » (CEDH 24 août 1994, Hokkanen c/ Finlande, n° 19823/92, RTD civ. 1995. 347, obs. J. Hauser
). Les juges de la Cour européenne des droits de l’homme ont interprété la Convention européenne comme consacrant des obligations positives et négatives à la charge des autorités. Par les obligations négatives, les États parties doivent s’abstenir de s’ingérer dans l’exercice des droits. Les obligations positives tendent à l’adoption des « mesures nécessaires à la sauvegarde d’un droit » (CEDH 24 août 1994, Hokkanen c/ Finlande, n° 19823/92, RTD civ. 1995. 347, obs. J. Hauser  ), autrement dit « des mesures raisonnables et adéquates pour protéger les droits de l’individu » (CEDH 9 déc. 1994, López-Ostra c/ Espagne, n° 16798/90, AJDA 1993. 105, chron. J.-F. Flauss
), autrement dit « des mesures raisonnables et adéquates pour protéger les droits de l’individu » (CEDH 9 déc. 1994, López-Ostra c/ Espagne, n° 16798/90, AJDA 1993. 105, chron. J.-F. Flauss  ; RTD civ. 1996. 507, obs. J.-M. Margénaud
 ; RTD civ. 1996. 507, obs. J.-M. Margénaud  ). En somme, ces dernières exigent une intervention positive de l’État (J.-F. Akandji-Kombe, Les obligations positives en vertu de la Convention européenne des droits de l’Homme. Un guide pour la mise en œuvre de la Convention européenne des droits de l’Homme, Conseil de l’Europe, Précis sur les droits de l’homme, 2006). En matière de droit au respect de la vie familiale, la Cour européenne, dont le positionnement a été repris par les juges français, a indiqué qu’il appartient à l’administration pénitentiaire de prendre, dans toute la mesure du possible, les dispositions permettant à la personne détenue de maintenir des liens avec sa famille (CEDH 28 sept. 2000, Messina c/ Italie (n° 2), n° 25498/94, §§ 61-62, RFDA 2001. 1250, chron. H. Labayle et F. Sudre
). En somme, ces dernières exigent une intervention positive de l’État (J.-F. Akandji-Kombe, Les obligations positives en vertu de la Convention européenne des droits de l’Homme. Un guide pour la mise en œuvre de la Convention européenne des droits de l’Homme, Conseil de l’Europe, Précis sur les droits de l’homme, 2006). En matière de droit au respect de la vie familiale, la Cour européenne, dont le positionnement a été repris par les juges français, a indiqué qu’il appartient à l’administration pénitentiaire de prendre, dans toute la mesure du possible, les dispositions permettant à la personne détenue de maintenir des liens avec sa famille (CEDH 28 sept. 2000, Messina c/ Italie (n° 2), n° 25498/94, §§ 61-62, RFDA 2001. 1250, chron. H. Labayle et F. Sudre  ; RSC 2001. 881, obs. F. Tulkens
 ; RSC 2001. 881, obs. F. Tulkens  ; JCP 2001. I. 291, obs. F. Sudre ; 29 mai 2012, Epners-Gefners c/ Lettonie, n° 37862/02, §§ 60-66 ; 28 févr. 2017, Vonica c/ Roumanie, n° 78344/14, § 58 ; CE 11 juill. 2012, n° 347147).
 ; JCP 2001. I. 291, obs. F. Sudre ; 29 mai 2012, Epners-Gefners c/ Lettonie, n° 37862/02, §§ 60-66 ; 28 févr. 2017, Vonica c/ Roumanie, n° 78344/14, § 58 ; CE 11 juill. 2012, n° 347147).
L’existence de mesures de sortie exceptionnelle
La question du droit au respect de la vie privée et familiale a un sens particulier en cas de décès d’un proche d’une personne détenue.
Bien que prenant la peine d’écarter la consécration d’un droit aux autorisations de sortie pour raisons familiales, les juges européens s’attachent à énoncer que « dans un domaine aussi intime que celui de la séparation définitive d’avec un proche [décès] », il n’y a pas lieu de se prononcer sur « la manière dont l’intéressé a choisi les modalités de cette séparation » (CEDH 28 févr. 2017, Vonica c/ Roumanie, préc., § 59 ; v. aussi, CEDH 25 mars 2014, Banaszkowski c/ Pologne, n° 40950/12). Le droit de bénéficier d’autorisations de sortie n’est pas garanti en tant que tel par la Convention. Néanmoins le refus opposé à un requérant de sortir du monde carcéral pour assister aux funérailles d’un membre proche de la famille doit s’analyser en une ingérence dans le droit de l’intéressé au respect de sa vie familiale (CEDH 12 nov. 2002, Ptoski c/ Pologne, n° 26761/95, §§ 30-39 ; 6 déc. 2007, Lind c/ Russie, n° 25664/05, §§ 92-99). Certains éléments, tels que la gravité des crimes commis par l’intéressé, la distance géographique à parcourir jusqu’au lieu des obsèques ou le délai imparti pour l’organisation de la sortie peuvent justifier un refus de l’autorisation (CEDH 11 avr. 2019, Guimon c/ France, n° 48798/14, § 51, AJ fam. 2019. 288, obs. M. Saulier  ; AJ pénal 2019. 340, obs. M. H-Evans
 ; AJ pénal 2019. 340, obs. M. H-Evans  ; RSC 2019. 713, obs. J.-P. Marguénaud
 ; RSC 2019. 713, obs. J.-P. Marguénaud  ).
).
Toutefois, seule l’autorité judiciaire (C. pr. pén., art. 723-6, juge de l’application des peines lorsque l’intéressé est condamné ; C. pr. pén., art. 148-5, magistrat instructeur dans le cas d’une détention provisoire) est compétente pour autoriser ou refuser la sortie sous escorte d’une personne détenue. Dans le cas d’espèce, les autorités judiciaires ont estimé qu’une autorisation de sortir sous escorte pouvait être accordée aux intéressés. Les ordonnances n’ont cependant pas été exécutées, les privant du dernier « au revoir » auquel ils prétendaient légitimement.
L’exécution des autorisations judiciaires
Un impératif d’amélioration de l’organisation des extractions
Les difficultés posées par l’organisation des extractions ne sont pas nouvelles et ont fait couler beaucoup d’encre. Ces contestations portaient essentiellement sur les extractions judiciaires, c’est-à-dire la conduite des personnes détenues devant le juge. L’Union syndicale des magistrats a d’ailleurs publié le 1er octobre 2019 un livre blanc sur ce sujet (USM, Urgence pour les extractions judiciaires. Les extractions judiciaires mettent les tribunaux dans le rouge).
La décision commentée s’intéresse spécifiquement aux autorisations de sortie sous escorte. Afin de justifier l’absence d’exécution de l’ordonnance, les autorités ont opposé à l’un des deux détenus la réalisation concomitante d’extractions à « enjeux procédural majeur » monopolisant les agents. Ce type d’extraction a été défini par les circulaires du 28 septembre 2017 et du 4 octobre 2019 et implique un délai légal impératif de présentation de la personne détenue devant l’autorité judiciaire, qui, en cas de non-exécution, est susceptible d’entraîner une remise en liberté. Pour le second, l’absence d’exécution était justifiée par la mobilisation des équipes sur quatre mandats d’amener.
Il est évident que l’inexécution des décisions d’autorisation sous escortes est problématique et ce, d’autant plus, lorsqu’il s’agit pour l’intéressé de se rendre aux funérailles d’un membre de sa famille, dès lors que le magistrat a jugé que les conditions nécessaires sont remplies. Les juges européens considèrent d’ailleurs que l’exécution d’une décision de justice, de quelque juridiction que ce soit, fait partie intégrante du procès au sens de l’article 6§1 de la Convention européenne (CEDH 15 mars 2018, Naït-Liman c/ Suisse, n° 51357/07, Rev. crit. DIP 2018. 663, note F. Marchadier  ; RSC 2018. 861, étude C. D. Fabre
 ; RSC 2018. 861, étude C. D. Fabre  ; 19 mars 1997, Hornsby c/ Grèce, n° 18357/91, AJDA 1997. 977, chron. J.-F. Flauss
 ; 19 mars 1997, Hornsby c/ Grèce, n° 18357/91, AJDA 1997. 977, chron. J.-F. Flauss  ; D. 1998. 74
 ; D. 1998. 74  , note N. Fricero
, note N. Fricero  ; RTD civ. 1997. 1009, obs. J.-P. Marguénaud
 ; RTD civ. 1997. 1009, obs. J.-P. Marguénaud  ). Le Défenseur des droits soutient sur ce point que les demandes d’autorisation de sortie sous escorte bénéficient des garanties de cet article. Ce positionnement ne peut qu’être salué.
). Le Défenseur des droits soutient sur ce point que les demandes d’autorisation de sortie sous escorte bénéficient des garanties de cet article. Ce positionnement ne peut qu’être salué.
L’autorité administrative affirme que les considérations liées aux difficultés rencontrées par les pôles de rattachement d’extractions judiciaires à organiser de telles sorties autorisées par le juge, compte-tenu des délais impartis ou des profils pénaux et pénitentiaires des intéressés, de même que l’organisation d’autres extractions présentant un « enjeu procédural majeur » au même moment, ne sauraient justifier leur inexécution.
Le Défenseur des droits formule ainsi plusieurs recommandations au travers de sa décision de février 2024. La première porte sur la suppression de la distinction (et, par là même, la hiérarchisation) entre les extractions à « enjeu procédural majeur » et les autres extractions.
Cette proposition est intéressante dans la mesure où, si la présentation d’une personne détenue est importante, le respect de ses droits fondamentaux l’est tout autant. Cette évolution est d’autant plus fondamentale que, d’une part, le plan d’action relatif au transfert de compétence prévoyait la suppression de la hiérarchisation entre les extractions d’ici fin novembre 2019 et que, d’autre part, ce mécanisme a été mis en place en l’absence de tout fondement légal ou règlementaire.
Le Défenseur des droits recommande par ailleurs qu’en cas de carence de la part des autorités pénitentiaires à exécuter les extractions autorisées par l’autorité judiciaire, un dispositif permettant de pallier cette carence soit mis en place. Pour rappel, les missions d’extractions judiciaires avaient été transférées le 30 septembre 2010 du ministère de l’Intérieur vers le ministère de la Justice. Néanmoins cette nouvelle organisation n’a pas permis de mettre un terme aux problématiques d’exécution en raison de l’insuffisance des effectifs. La circulaire de 2019 prévoit un système palliatif lorsque la réquisition présente un « enjeu procédural majeur » avec une intervention des forces de police ou de gendarmerie nationale territorialement compétentes en cas d’impossibilité, pour les autorités pénitentiaires, d’exécuter l’escorte. Il semble nécessaire d’étendre ce mécanisme à l’intégralité des extractions.
Cette évolution conditionne nécessairement la suppression de la hiérarchisation entre les extractions. Il convient de se rendre à l’évidence : le transfert de compétences réalisé en 2010 et le plan d’action mis en place ultérieurement n’ont pas permis de mettre en terme aux dysfonctionnements.
En l’état de la persistance des carences rencontrées, les recommandations formulées par le Défenseur des droits apparaissent pertinentes et adaptées.
Conséquences de l’inexécution
Parmi les recommandations du Défenseur des droits se trouve également la réparation des préjudices subis par les deux personnes détenues résultant de l’atteinte à leurs droits du fait de l’inexécution des sorties sous escorte régulièrement autorisées par l’autorité judiciaire, dès lors qu’ils en auront fait la demande.
À cet égard, il importe de rappeler le principe de l’indemnisation du préjudice moral résultant de l’inexécution, par l’administration pénitentiaire, de l’ordonnance accordant l’extraction sous escorte d’une personne détenue, en raison d’un manque de moyens nécessaires au temps donné pour le faire (TA Rennes, 16 juin 2023, n° 2202269).
Défenseur des droits, 14 févr. 2024, n° 2024-016
© Lefebvre Dalloz