Les effets de la décision étrangère de divorce passée en force de chose jugée
Une décision étrangère doit être passée en force de chose jugée pour pouvoir produire des effets sur la procédure de divorce en cours devant le juge français. Les mesures provisoires prises antérieurement à la date à laquelle ladite décision est passée en force de chose jugée ne sont pas privées d’efficacité.
Une décision est dotée de la force de chose jugée lorsque le jugement ne peut plus faire l’objet d’un recours suspensif (C. pr. civ., art. 504). Telle doit être la qualité de la décision étrangère pour produire des effets sur la procédure de divorce française. Une procédure de divorce présentant des éléments d’extranéité est en effet susceptible d’être perturbée par l’existence d’une décision étrangère rendue entre les mêmes parties dans le cadre d’un même litige. La question se pose dès lors des conditions de sa reconnaissance en France et de l’étendue de sa perturbation sur l’instance en cours.
L’arrêt de la première chambre civile du 21 mai 2025 intervient dans le contexte de plusieurs procédures introduites par un couple résidant aux États-Unis durant leur mariage. Une première demande en divorce avait notamment été déposée par l’épouse devant les juridictions californiennes par requête du 28 septembre 2018. Le divorce est prononcé le 8 avril 2022 et une attestation de non-appel est dressée par le greffier de la Cour supérieure de Californie le 30 juin 2022. Dans le même temps, une nouvelle demande en divorce est déposée par l’épouse le 17 janvier 2019, devant les juridictions françaises et une ordonnance de non-conciliation est prononcée le 17 juin de la même année. Cette dernière autorise les époux à introduire l’instance en divorce et prévoit diverses mesures provisoires relatives à la résidence des enfants et au versement d’une pension alimentaire. L’époux fait appel de cette ordonnance et invoque le jugement californien rendu le 8 avril 2022, lequel prononçait la dissolution du lien marital. Par un arrêt du 4 avril 2023, la Cour d’appel de Colmar déclare le jugement californien régulier et reconnu de plein droit en France, dit sans objet la demande en divorce portée devant le juge français et affirme que l’ordonnance de non-conciliation n’est plus applicable depuis le 30 juin 2022. D’autres procédures parallèles ont été initiées par le couple.
La question posée à la Cour de cassation ne portait pas tant sur le principe de la reconnaissance en France de la décision californienne mais sur ses effets sur la procédure française, en particulier sur l’ordonnance de non-conciliation. L’époux, à l’origine du pourvoi, contestait notamment le maintien des effets de cette ordonnance depuis son prononcé. Selon la Cour, la décision étrangère doit, pour produire des effets en France, remplir les conditions de reconnaissance posée par le droit commun et être passée en force de chose jugée. Ce n’est qu’à partir de cette date que les mesures provisoires seront considérées comme caduques.
Si l’absence de motivation enrichie peut être regrettée, la publication jointe à l’arrêt des travaux préparatoires démontre la richesse de la question (Rapport de Mme Daniel, conseillère référendaire ; Avis de Mme Picot-Demarq, avocate générale). L’arrêt est ainsi l’occasion de revenir en détails sur les conditions de la reconnaissance de la décision étrangère dans une procédure de divorce en cours et sur l’étendue de ces effets dans le temps.
La force de chose jugée comme condition de reconnaissance
La question de la reconnaissance des décisions étrangères est chose courante sur la scène internationale. En droit commun, la Cour de cassation pose des conditions particulières afin qu’elles puissent produire des effets sur le territoire français. Dans cet arrêt, elle affirme l’existence d’une condition supplémentaire : que la décision soit passée en force de chose jugée.
Retour sur les conditions de reconnaissance d’une décision étrangère de divorce
La Cour rappelle, au visa de son arrêt, que la décision étrangère produit des effets sur la procédure de divorce engagée en France lorsque deux conditions complémentaires sont remplies. La décision doit d’abord remplir les conditions de sa reconnaissance en France ; elle doit ensuite être passée en force de chose jugée. Concernant les conditions de reconnaissance d’une décision étrangère en France, plusieurs cas de figures doivent être distingués. Une première distinction doit être faite quant à la nature du jugement en cause, selon que la décision doive faire l’objet d’une exécution matérielle, ou qu’une simple reconnaissance suffise à lui faire produire des effets dans l’État d’accueil. Dans le premier cas, et selon le droit commun, la décision doit passer le triple test de régularité internationale développé par la jurisprudence (Civ. 1re, 20 févr. 2007, n° 05-14.082, D. 2007. 1115, obs. I. Gallmeister
, note L. d’Avout et S. Bollée
; ibid. 891, chron. P. Chauvin
; ibid. 1751, obs. P. Courbe et F. Jault-Seseke
; AJ fam. 2007. 324
; Rev. crit. DIP 2007. 420, note B. Ancel et H. Muir Watt
) et être exécutoire dans son État d’origine afin de pouvoir faire l’objet d’une demande d’exequatur en France (Civ. 1re, 3 oct. 2006, n° 04-11.447). Les jugements ne nécessitant pas d’exécution matérielle se limitent au triple test, à moins qu’ils n’interviennent en matière de statut personnel. Ces derniers bénéficient d’une reconnaissance de plein droit en France, sous réserve d’un contrôle a posteriori en cas d’irrégularités (Civ. 28 févr. 1860, S. 1860. 1. 210 ; DP 1860. 1. 57). L’arrêt d’espèce concernait une décision de divorce prononcée par le juge californien. Elle bénéficiait par principe d’une reconnaissance de plano en France. La Cour de cassation ajoute pourtant une condition pour que la décision puisse produire des effets dans l’instance en cours : ladite décision doit être passée en force de chose jugée.
La Cour avait déjà admis, dans le cadre d’une instance portant sur l’opposabilité du jugement étranger, que la partie invoquant la reconnaissance de la décision étrangère devait également démontrer que celle-ci était passée en force de chose jugée (Civ. 1re, 19 oct. 1999, n° 97-14.994, D. 1999. 258
; Rev. crit. DIP 2000. 49, note H. Muir Watt
). La question d’espèce se posait de savoir si la décision étrangère invoquée de manière incidente, au moyen d’une fin de non-recevoir, pouvait bénéficier du même régime. Si le droit international privé européen, étudié dans les travaux préparatoires (Rapport Mme Daniel, préc., p. 11), n’impose qu’une simple faculté au juge de surseoir à statuer sur la reconnaissance du jugement étranger si ce dernier fait l’objet de recours (Règl. Bruxelles II ter [UE] 2019/1111 du 25 juin 2019, art. 33), les conventions bilatérales prévoient en principe que seules les décisions passées en force de chose jugée sont susceptibles d’exécution (par ex., Conv. franco-marocaine, art. 1er, décr. n° 83-435 du 27 mai 1983). Dans le même sens, la Cour de cassation a déjà rejeté la fin de non-recevoir opposée à une action en divorce engagée en France au motif que la décision étrangère invoquée faisait l’objet d’un appel (Civ. 1re, 6 mars 1979, n° 77-11.621). Elle impose également, dès 1984, la double condition que la décision étrangère soit internationalement régulière et passée en force de chose jugée pour pouvoir faire obstacle à l’introduction en France d’une demande en divorce (Civ. 1re, 10 juill. 1984, n° 83-10.738).
La décision de la Cour du 21 mai 2025 ne surprend donc pas lorsqu’elle impose qu’une décision étrangère de divorce, pour être reconnue et produire des effets, soit « passée en force de chose jugée remplissant les conditions de sa reconnaissance en France ». Il faut distinguer à ce titre l’autorité de chose jugée, laquelle est rattachée au jugement dès son prononcé (C. pr. civ., art. 480), de la force de la chose jugée, acquise lorsque le jugement n’est plus susceptible de faire l’objet d’un recours suspensif. Cette dernière permet de confirmer le caractère pérenne de la décision étrangère et de protéger ainsi les parties d’un renouvellement de l’instance (M.-L. Niboyet, G. de la Pradelle et S. Fulli-Lemaire, Droit international privé, 8e éd., Lextenso, 2023, § 782). Cette solution est largement admise en doctrine (Rép. pr. civ., v° Jugement étranger : matière civile et commerciale – Efficacité internationale du jugement étranger, par P. de Vareilles-Sommières et F. Marchadier, 2024, § 377 ; v. égal., références citées dans Rapport Mme Daniel, préc., p. 13).
Les effets de la reconnaissance
La reconnaissance de la décision étrangère de divorce dans l’instance en cours entraîne deux effets. D’abord, elle constitue un obstacle à l’introduction d’une nouvelle demande de divorce en France, puisque le lien marital n’existe plus. En l’espèce, elle rend sans objet la procédure de divorce engagée devant le juge français. La décision étrangère rend ensuite caduques les mesures provisoires édictées par l’ordonnance de non-conciliation pour la durée de la procédure de divorce. Pour rappel, l’ordonnance avait été rendue le 17 juin 2019 et prévoyait, entre autres, le versement d’une somme mensuelle au titre du devoir de secours et la fixation d’une contribution à l’entretien et l’éducation des enfants due par l’époux. La caducité est définie comme l’anéantissement des effets d’un acte de procédure considéré initialement comme valable (S. Guinchard et T. Debard, Lexique des termes juridiques, 32e éd., Dalloz, 2024, p. 156). Selon la Cour de cassation, les mesures provisoires sont donc privées d’efficacité par la décision étrangère prononçant le divorce. La Cour maintient à ce titre sa position antérieure (Civ. 1re, 30 sept. 2009, n° 08-18.769, Dalloz actualité, 9 oct. 2009, obs. I. Gallmeister ; D. 2010. 58, note B. Audit
; ibid. 1585, obs. P. Courbe et F. Jault-Seseke
; AJ fam. 2009. 493, obs. A. Boiché
; Rev. crit. DIP 2010. 133, note H. Gaudemet-Tallon
). Il est à noter que la loi applicable aux effets substantiels de la décision étrangère est en principe la loi appliquée au fond du rapport juridique. Concernant spécialement les mesures provisoires, l’application de la loi du for est généralement admise (J.-Cl. Int., v° Procédure civile et commerciale dans les rapports internationaux (DIP) – Domaine de la « lex fori » : jugement et voies d’exécution, par A. Huet et M. Barba, fasc. 582-30, § 26 ; adde M. Barba, Le juge conciliateur statuant sur la loi applicable au divorce, Rev. crit. DIP 2024. 813 s., spéc. n° 26). En l’espèce, les mesures provisoires avaient été prononcées sur le fondement de l’article 255 du code civil français.
La difficulté se révélait en réalité moins dans la question de la nature des effets de la décision étrangère que dans leur temporalité. Il s’agissait ici de savoir si cette caducité ne devait jouer que pour l’avenir – à compter de la reconnaissance de la décision –, ou si elle devait être rétroactive – c’est-à-dire entraîner l’inefficacité des mesures provisoires à compter du prononcé de la décision étrangère, depuis la date à laquelle elle est passée en force de chose jugée, voire dès l’origine de ces mesures (Rapport, préc., p. 2). L’intérêt de l’arrêt résidait à notre sens dans l’identification de la date des effets de la décision étrangère.
La gestion dans le temps des effets de la décision étrangère
Dans son arrêt du 21 mai 2025, la Cour de cassation retient une rétroactivité limitée de la caducité des mesures provisoires entraînée par la décision étrangère, ce qui lui imposait de déterminer la date exacte à laquelle cette décision était passée en force de chose jugée.
La rétroactivité limitée de la caducité des mesures provisoires
La Cour de cassation affirme que la reconnaissance de la décision étrangère rend inapplicable l’ordonnance de non-conciliation, et caduques les mesures provisoires qui y sont liées. Elle précise toutefois que la caducité des mesures ne vaut qu’à partir de la date à laquelle la décision étrangère est passée en force de chose jugée. Les mesures prononcées le 17 juin 2019 demeurent donc efficaces jusqu’à cette date. Il est possible d’appréhender la position de la Cour en deux temps. Dans un premier temps, elle reconnaît à la caducité générée par la décision étrangère un effet rétroactif. Cette rétroactivité ne surprend guère car elle est naturellement rattachée à son objet. La caducité présente à cet égard un effet rétroactif par principe (Rép. pr. civ., v° Caducité – Effets de la caducité, par P. Callé, 2024, § 148). Elle limite, dans un second temps, cet effet rétroactif à la date à laquelle la décision étrangère est passée en force de chose jugée, maintenant par ce biais l’efficacité des mesures antérieures. Là encore sa position était attendue, sa deuxième chambre civile ayant déjà retenu que « la caducité d’un titre exécutoire ne le prive pas de son efficacité pour la période antérieure à la caducité », sur les versements encore dus d’une pension alimentaire antérieure à la caducité de l’ordonnance (Civ. 2e, 6 mai 2004, n° 02-18.985, D. 2004. 1564
; AJ fam. 2004. 284, obs. S. David
; RTD civ. 2004. 559, obs. R. Perrot
). L’effet rétroactif des actes caducs peut ainsi être limité en fonction des effets que ces derniers produisent. Les effets qui se réalisent dans le temps afin de répondre à des besoins journaliers ne peuvent être anéantis (R. Perrot, Titre exécutoire : caducité d’une ordonnance d’homologation sur la pension alimentaire, RTD civ. 2004. 559
). Tel était le cas des mesures en l’espèce. Encore fallait-il identifier le moment exact du départ de la caducité.
La détermination de la date de passage en force de chose jugée de la décision étrangère
La Cour de cassation retient comme point de départ de la caducité la date à laquelle la décision étrangère est passée en force de chose jugée. Plusieurs interrogations peuvent ici être soulevées. À quelle date une décision étrangère est-elle réputée passer en force de chose jugée ? Cette date doit-elle être déterminée par la loi du pays d’accueil ou par la loi étrangère de la procédure ? À en lire l’arrêt de la Cour de cassation, la décision californienne, rendue le 8 avril 2022, n’est passée en force de chose jugée que plusieurs mois plus tard, à savoir le 30 juin 2022, sans qu’il ne soit apportées de précisions supplémentaires. C’est la lecture de l’arrêt d’appel (Colmar, 4 avr. 2023, n° 19/03380) et des rapports préparatoires qui permet de rattacher la date du 30 juin 2022 à la date à laquelle le greffier de la Cour supérieure de Californie a attesté l’absence d’appel et du divorce des parties, légalement prononcé le 8 avril 2022. La Cour de cassation applique donc le droit français pour retenir que ladite décision peut produire des effets en France à condition d’être passée en force de chose jugée et le droit étranger pour déterminer la date de ce passage en force de chose jugée. Cette position convainc. En effet, si seule la loi française peut être compétente pour statuer sur la reconnaissance de l’efficacité substantielle d’un jugement étranger en France, et notamment de la nécessité qu’il soit passée en force de chose jugée (A. Huet et M. Barba, préc., fasc. 582-30, § 25), seule la loi de la procédure du jugement est compétente pour déterminer si la décision rendue est susceptible de recours.
L’enjeu pratique de l’arrêt est évident. Il réside dans le maintien des sommes versées par l’époux à l’épouse depuis le 17 juin 2019. L’apport théorique n’est pas en reste, puisque l’arrêt apporte des informations précieuses sur la réception dans l’espace et dans le temps d’une décision étrangère de divorce. En somme, la décision étrangère passée en force de chose jugée et remplissant les conditions de sa reconnaissance en France peut être reconnue en France, y produire des effets sur les mesures provisoires relatives aux obligations alimentaires telles que prévues par le droit français, à compter de la date à laquelle elle est passée en force de chose jugée en droit étranger. Étant entendu que ce cadre intervient en dehors du champ d’application des instruments européens.
Civ. 1re, 21 mai 2025, F-B, n° 23-17.532
par Marylou Françoise, Maître de conférences en droit privé, Université Lyon 3
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